La France veut introduire une "clause sociale" dans la
Constitution de l'Union
LE MONDE | 11.05.04 | 13h49
Le PS veut créer un salaire minimum européen.
Bruxelles de notre bureau européen
La construction d'une "Europe sociale" s'annonce comme l'un
des thèmes majeurs de la campagne des élections européennes en
France. Le Parti socialiste en a fait son principal slogan,
mais la droite n'est pas en reste.
Jacques Chirac, dans sa conférence de presse du 29 avril, a
défini l'Europe comme "un grand espace social qui donne toute
sa place à la solidarité et à la justice" et le 1er mai - jour
de l'élargissement -, le gouvernement, par la voix de son
ministre des affaires étrangères, Michel Barnier, demandait le
renforcement de la "dimension sociale" de la Constitution
européenne.
Dans les traités, la politique sociale se fixe pour objectifs
la promotion de l'emploi, l'amélioration des conditions de vie
et de travail, une protection sociale "adéquate". Au sens
large, l'Europe sociale s'oppose, comme l'a rappelé François
Hollande, dimanche soir 9 mai sur France 3, à l'Europe
libérale : elle combat la primauté donnée à la loi du marché.
COMPÉTENCES NATIONALES
La politique sociale inscrite dans les traités concerne, pour
l'essentiel, le droit du travail, à l'exception des
rémunérations, du droit d'association, du droit de grève et du
droit de lock-out, qui n'entrent pas dans le champ
d'intervention de l'Union. L'emploi et la sécurité sociale ne
font pas non plus partie des compétences communautaires, mais,
dans ces domaines, les Etats sont invités à coordonner leur
action. Le traité d'Amsterdam a prévu l'élaboration de "lignes
directrices pour l'emploi" que les gouvernements sont invités
à prendre en compte. Le projet de Constitution reprend telles
quelles ces dispositions. Il réaffirme que l'Union "respecte
pleinement les compétences des Etats membres" en matière
d'emploi et tient compte "de la diversité des pratiques
nationales" en matière de politique sociale. Il rappelle
également "la nécessité de maintenir la compétitivité de
l'économie de l'Union".
Dans la pratique, en dépit de ces limitations, une politique
sociale européenne s'est ébauchée au fil des années. Elle a
pris la forme de nombreuses directives : sur l'égalité entre
les hommes et les femmes, l'aménagement du temps de travail,
la santé et la sécurité au travail, la protection des jeunes,
les licenciements collectifs, l'institution d'un comité
d'entreprise européen, l'information et la consultation des
salariés. Mais l'annonce de la fermeture de l'usine Renault de
Vilvorde, en 1997, a souligné les insuffisances de cette
législation. Des révisions sont en cours qui peinent à aboutir
en raison de l'opposition des pays qui, comme la
Grande-Bretagne, sont hostiles à la mise en place de règles
européennes.
Le PS veut ajouter aux dispositions actuelles un salaire
minimum européen et la réduction de la durée du travail vers
les 35 heures. Il souligne qu'il n'acceptera "aucune remise en
cause des garanties de sécurité sociale et de retraite
existant au plan national". Sur ce point, le traité de Nice a
ajouté aux domaines dans lesquels l'Union "soutient et
complète" l'action des Etats membres "la modernisation des
systèmes de protection sociale" : cette formulation, reprise
dans le projet de Constitution, est interprétée à gauche comme
une remise en cause, au moins partielle, de ces systèmes.
En matière sociale, les innovations majeures du projet de
Constitution sont l'inscription de l'"économie sociale de
marché" parmi les objectifs de l'Union et l'introduction de la
Charte des droits fondamentaux, qui met en avant les principes
d'égalité, de solidarité, de justice. Le gouvernement français
propose d'inclure une clause transversale, qui affirmerait, en
ouverture de la partie consacrée aux politiques de l'Union,
l'importance de la dimension sociale, comme c'est déjà le cas
de la dimension environnementale. Mais le principal sujet de
controverse, en particulier avec les Britanniques, concerne le
champ d'application de la règle de l'unanimité. La querelle se
cristallise sur la question de la sécurité sociale des
travailleurs migrants : Londres remet en cause sur ce sujet la
règle de la majorité qualifiée, retenue par le projet de
Constitution, que M. Barnier se dit résolu à maintenir.
Au-delà de ces mesures particulières, la défense de l'Europe
sociale vaut condamnation du "tout libéral", comme l'a dit
Jacques Chirac en déclarant que "vouloir faire du social et
que du social" ou "vouloir faire du tout libéral" conduisent
dans les deux cas à une "impasse".
L'Europe sociale passe notamment par la défense des services
publics et par celle des politiques communes qui visent à
favoriser la "cohésion sociale". C'est le cas des fonds
structurels, parmi lesquels le fonds social européen, qui aide
les Etats à lutter contre le chômage.
Thomas Ferenczi
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 12.05.04