« Abstention ou vote sanction »

Entre abstention et vote-sanction, des enjeux très nationaux

LE MONDE | 12.06.04 | 12h40

S'il s'estime conforté depuis le remaniement de son

gouvernement, Jean-Pierre Raffarin se prépare à une nouvelle

défaite, dimanche 13 juin aux élections européennes. Menacée

par la montée de l'UDF et celle des souverainistes, l'UMP

pourrait s'y révéler minoritaire au sein de la droite.

Entre l'Europe des urnes et celle du football, le match n'est

pas gagné d'avance : menacé d'un taux record d'abstention au

terme d'une campagne minée par l'indifférence, le scrutin

européen qui se tient dimanche 13 juin, date de l'entrée en

lice de l'équipe de France au championnat d'Europe de

football, pourrait mobiliser moins de citoyens dans les

bureaux de vote que de supporters devant leur télévision.

En 1999, le taux de participation n'avait atteint que 46,76 %

; cinq ans après, les enjeux directs de l'élection au

Parlement européen restant mal compris, les abstentionnistes

pourraient rester majoritaires - selon le dernier sondage

TNS-Sofres pour Le Monde, RTL et LCI, 64 % des Français se

désintéresseraient de l'élection (nos éditions du 12 juin).

Cette menace se combine, pour le gouvernement, de celle d'un

nouveau vote-sanction, deux mois et demi après la déroute des

régionales.

Le gouvernement fragilisé

Même s'il s'estime conforté par le remaniement gouvernemental

intervenu au lendemain des régionales, Jean-Pierre Raffarin

s'attend à un score médiocre pour l'UMP. Aussi a-t-il assuré

par avance que son "calendrier d'action" était indépendant du

résultat du 13 juin, tout en insistant sur l'enjeu proprement

européen du scrutin : quelle majorité sortira des urnes de

l'Union élargie pour dessiner le nouveau Parlement de

Strasbourg ?

De Matignon à l'Elysée et jusqu'au siège de l'UMP, on invite

aussi à comparer le résultat de l'UMP avec celui obtenu, en

1999, par la liste conduite par Nicolas Sarkozy : 12,8 %. Ce

qui permet de fixer un objectif modeste : "A 14 % c'est une

victoire, a dit François Baroin, secrétaire général délégué du

parti chiraquien. A 15 %, un triomphe. A 16 % c'est l'extase

et au delà, je ne connais pas." Ni le chef de l'Etat ni le

premier ministre n'ignorent, toutefois, qu'une nouvelle

défaite sévère fragiliserait encore davantage le gouvernement.

Le résultat de la majorité se jugera donc aussi sur l'écart

entre l'UMP et le PS, estimé à plus de dix points au premier

tour des élections régionales, le 21 mars - et pour l'heure

situé au même niveau dans la plupart des enquêtes d'opinion.

C'est pourquoi les dirigeants de la majorité ont mené

campagne, cette fois, en insistant sur cette dimension

politique du vote. M. Baroin a invité les siens à ne pas

commettre "la même erreur" qu'au mois de mars. "Nous n'éludons

pas les enjeux nationaux, liés au scrutin européen", a

confirmé Alain Juppé.

Anticipant sur le résultat, les socialistes se sont efforcés

de situer l'enjeu de l'élection sur la personne du premier

ministre. Décidé à confirmer son statut retrouvé de premier

parti politique de France par le nombre de suffrages- "alors

que l'UMP dispose de tous les pouvoirs", souligne volontiers

François Hollande -, le PS se tient prêt à une offensive sur

le thème de la crise de régime. Le président du groupe

socialiste de l'Assemblée, Jean-Marc Ayrault, est allé jusqu'à

demander à M. Raffarin de "se démettre" s'il était "désavoué"

par les urnes. "Si l'UMP fait 16 %, le gouvernement Raffarin

ne peut se maintenir", précise-t-on au siège du PS, rue de

Solférino. Le cas de Pierre Mauroy quittant Matignon après la

déconvenue des européennes de 1984 (20,76 %) est cité en

exemple. Mais la portée de l'argument va au-delà : "Dans les

débats sur la constitution européenne qui s'ouvriront quatre

jours après le scrutin, le président -de la République- sera

très affaibli s'il représente moins de 20 % des Français",

fait valoir François Hollande.

L'UMP minoritaire à droite ?

Pour l'UMP, le scénario catastrophe serait évidemment que

l'UDF se hisse à hauteur, voire qu'elle la dépasse. Ces

derniers jours, plusieurs responsables de la majorité

n'écartaient pas cette hypothèse. "Ce serait la fin de l'UMP",

estime un député proche de M. Juppé. Sans aller jusque-là, si

le score entre les deux partis de la droite gouvernementale -

censée constituer la majorité parlementaire de M. Raffarin -

était trop serré, l'UMP verrait sans doute s'ouvrir en son

sein un vif débat interne, qui pèserait sur la succession de

M. Juppé - et pourrait favoriser Nicolas Sarkozy.

Créée en 2002, après la réélection de M. Chirac, l'UMP devait

rassembler toutes les tendances de la droite et du centre en

un seul parti. Moins de deux ans après, elle doit compter avec

l'UDF. Mais composer avec la formation de François Bayrou - en

lui réservant, par exemple, des places au gouvernement -

pourrait susciter d'autres remous internes : les centristes de

l'UMP, ralliés autour de Philippe Douste-Blazy et de Pierre

Méhaignerie, vivraient mal que des concessions importantes

soient faites à ceux qui ont préféré rester au dehors du parti

majoritaire.

L'émergence d'un pôle souverainiste, même si elle est

classique lors des scrutins européens, avive les inquiétudes.

Philippe de Villiers présente des listes dans les sept

circonscriptions métropolitaines et Charles Pasqua dans six.

Unis en 1999, les deux hommes avaient réalisé le meilleur

score de la droite en recueillant plus de 13 % des voix. Mais

l'UMP n'existait pas encore ; si les listes de M. de Villiers

obtiennent, cette fois encore, un score important - les

sondages lui attribuent autour de 8 % -, la vocation du parti

chiraquien sera mise en cause. L'UMP pourrait même, le 13

juin, apparaître minoritaire au sein de la droite.

La gauche favorite, mais divisée

Faire la course en tête sans apparaître comme trop écrasant :

telle est l'équation difficile posée au PS dans son rapport

aux autres formations de la gauche. Du score des Verts, du PCF

et du PRG dépend aussi le rapport général gauche-droite,

souligne-t-on au PS - en excluant l'extrême gauche de

l'addition. Une domination trop nette consacrerait la

prééminence des socialistes mais pourrait raviver les

inquiétudes des partenaires de l'ex- "gauche plurielle" et

compliquerait le dialogue qui se renouera aux lendemains de

l'élection.

"Le résultat du PS ne se fera pas au détriment de ses

partenaires",a assuré M. Hollande dans les derniers jours de

la campagne, précisant : "Nos alliés ont souvent, par rapport

à nous, des craintes qui ne sont pas justifiées. Un PS fort

est une condition nécessaire pour l'avenir de la gauche, mais

elle n'est pas suffisante." Le premier secrétaire du PS sait

que la période qui s'ouvrira aussitôt après le 13 juin n'est

pas forcément la plus propice. Le PS va être absorbé par

l'élaboration de son projet - qu'il a néanmoins prévu de

présenter à ses partenaires dans ses différentes étapes.

Et puis il y a les Verts. Qu'ils passent la barre des 10 %, et

leur situation de partenaires prépondérante sera

symboliquement confortée, à la faveur d'un scrutin qui leur

est traditionnellement profitable. Le PCF sera attentif à

l'écart qui le sépare des écologistes - il était d'un peu

moins de trois points en 1999 - ainsi qu'à son propre rapport

de force avec l'extrême gauche, c'est-à-dire, pour

l'essentiel, les listes de l'alliance LCR-LO. Aux régionales,

là où il s'était présenté seul sous sa bannière, le PCF était

parvenu à inverser la tendance de l'élection présidentielle de

2002 et à devancer les candidats trotskistes. Il n'est pas

certain de rééditer cette performance.

Service France

M. Dupont-Aignan choisit M. de Villiers

Le député (UMP) de l'Essonne Nicolas Dupont-Aignan a déclaré,

dans Valeurs actuelles daté du 11 juin, qu'il votera "sans

états d'âme", dimanche 13 juin lors du scrutin européen, en

faveur de Philippe de Villiers. Dans un communiqué publié le

même jour, le président du club souverainiste Debout la

République appelle ses adhérents à voter "pour la liste

incarnant le plus l'idée de la France du général de Gaulle".

Tandis que les villiéristes se réjouissaient de cette

"heureuse surprise", Jacques Toubon, numéro trois sur la liste

de l'UMP en Ile-de-France, a accusé M. Dupont-Aignan d'avoir

"fait le choix du passé contre celui de l'avenir".

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 13.06.04