« Enjeux nationaux et manque d’enthousiasme »

En Allemagne, la campagne a été conduite sans enthousiasme sur

des enjeux d'abord nationaux

LE MONDE | 12.06.04 | 12h40

Seuls les Verts ont misé sur ce scrutin, en s'affichant comme

"clairement européens". Les autres partis se réservent pour

les douze prochains rendez-vous électoraux de l'année.

Berlin de notre correspondant

A l'indice de la sensibilité européenne, ce sont les Verts qui

remportent l'épreuve ! Des 22 listes (23 en Bavière) qui se

partageront, dimanche 13 juin, les suffrages des électeurs

convoqués pour élire leurs députés au Parlement, la formation

écologique est la seule qui a fait une réelle campagne adaptée

à l'événement, déclinant les thèmes de sa personnalité

politique dans une perspective franchement européenne.

Les autres listes se sont contentées, presque avec lassitude,

de montrer qu'elles étaient présentes, mettant en avant leur

leader national et leur tête de liste, inconnus du grand

public, égrenant quelques slogans généraux tout juste

agrémentés du mot "Europe".

A côté des retraités des Panthères grises, des trotskistes de

la IVe Internationale, des Républicains et néofascistes du

NPD, des Amis des animaux, etc, seuls les six partis

traditionnels représentés au Bundestag (chrétiens-démocrates

de la CDU et de la CSU, sociaux-démocrates du SPD, Verts,

libéraux du FDP, néocommunistes du PDS) ont des chances de

placer des élus. Le plus récent sondage, publié mardi 8 juin

par le magazine Stern, crédite la CDU et la CSU de 45 % des

suffrages, suivis du SPD (28 %), des Verts (13 %), du FDP (6

%) et du PDS (4 %). Les autres listes se partageant les 4 %

restants.

Hormis celui des Verts, les scores de ces partis recoupent

assez fidèlement ceux que leur attribuent les sondages faits à

propos d'éventuelles élections législatives, laissant présager

qu'en Allemagne les électeurs confirmeront d'abord leurs choix

de politique nationale. Quant aux Verts, Daniel Cohn- Bendit,

l'une des deux têtes de liste des écologistes, estimait

récemment que le résultat attendu de son parti reflétait son

bon étiage actuel augmenté d'une prime à l'Europe décrochée

grâce à une campagne très européenne. "Nous sommes clairement

identifiés comme européens et nous sommes les seuls à l'être,

estime le président du groupe écologiste à Strasbourg. Là où

les Verts sont forts, ils le seront encore plus."

ABSTENTION

Le score des abstentionnistes fera l'objet des premiers

commentaires. Comme dans les autres pays européens, il devrait

être élevé : reflet d'une campagne qui n'est pas parvenue à

trouver son rythme ni à enthousiasmer les électeurs. Sans

doute plus que chez d'autres, l'idée européenne est en

Allemagne fortement ancrée, seule référence idéologique sur

laquelle le pays a rebâti une légitimité après la catastrophe

du nationalisme hitlérien. Sur un sujet évident, les partis

ont eu de la peine à se différencier, écartelés entre

l'invocation sans substance et le rappel de leurs désaccords

habituels.

Cela a donné une campagne molle, à peine assumée par les

grands ténors des partis qui ont, à l'évidence, économisé leur

enthousiasme. Les partis, qui entrent dans une période où les

électeurs, au niveau régional ou communal, seront appelés aux

urnes une bonne douzaine de fois jusqu'à la fin de l'année,

ont également voulu limiter leurs dépenses pour mieux les

consacrer aux prochaines élections, accentuant d'autant le

caractère secondaire du combat européen.

Les appareils politiques allemands regarderont les résultats

des élections européennes d'abord comme un indice des

élections suivantes. L'opposition compte sur les résultats de

dimanche pour illustrer sa thèse d'une coalition rouge-verte

bien engagée sur son dernier chemin ; sociaux-démocrates et

Verts espèrent pouvoir faire la démonstration inverse.

Mais c'est vers l'Est, en Thuringe, que les deux groupes se

tourneront d'abord. Ce même 13 juin, les électeurs y sont

invités à renouveler le Parlement régional (Landtag) où la CDU

dispose d'un peu plus que la majorité absolue. Chacun des

grands partis en a fait un objectif symbolique évident. La CDU

espère bien s'y maintenir, et ses adversaires spéculent sur

son échec qui, pensent-ils, marquerait le début de son reflux.

Pour les néocommunistes qui y sont la deuxième force

politique, les élections de Thuringe sont aussi importantes

que celles du Parlement européen. En net recul depuis deux

ans, le PDS joue dans ces deux élections une bonne part de sa

crédibilité électorale. En cas d'échec, la crise de direction,

qu'il contient avec difficulté, ne manquerait pas d'éclater.

Le même scénario risque, d'ailleurs, d'affecter les libéraux.

Depuis l'échec des élections législatives de 2002, le FDP est

toujours en crise. Sa faiblesse devient un handicap pour ses

éventuels alliés chrétiens-démocrates, qui redoutent de ne

pouvoir compter sur lui pour bâtir une majorité.

Georges Marion

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 13.06.04