« Le divorce et l’avortement »

L'Europe fait poindre le divorce et l'avortement dans le débat

politique à Malte

LE MONDE | 09.06.04 | 15h21

Nouvelle venue dans l'Union, Malte est l'un des rares pays

décidés à s'exprimer massivement le 12 juin, un jour avant la

plupart des autres pays, lors du premier scrutin européen

auquel elle participera : 85 % des Maltais affirment qu'ils se

rendront aux urnes.

Le Parti nationaliste conservateur, en dépit d'un

essoufflement qui a fait bien des mécontents, devrait être, en

bonne logique, "primé", car il avait massivement fait campagne

pour le "oui" au référendum sur l'adhésion, en 2003,

contrairement à son adversaire travailliste, qui avait mené

une virulente campagne anti-UE.

D'autres semblent opter pour une timide troisième voie.

Jusqu'à 9 % pourraient voter pour les Verts d'Alternativa

Demokratika. De l'inédit à Malte.

"Mon ascension dans les sondages, confie le seul candidat

Vert, le professeur et écrivain Arnold Cassola, c'est que les

gens en ont assez du poids du bipartisme, pour une fois ils se

font plaisir." Sa campagne est axée sur la création de travail

et la défense de l'environnement. Ce qui n'est pas un luxe car

Malte, dont les chasseurs, organisés en puissant lobby, sont

accusés de ne pas respecter les oiseaux migrateurs, ne brille

pas non plus pour la qualité de l'eau ou le recyclage des

déchets. "Un environnement bien compris peut favoriser le

tourisme et créer ainsi de nouveaux emplois. Notre programme

est un signe d'ouverture pour Malte", commente M. Cassola.

Cette ouverture atteint pourtant vite ses limites sur le plan

de l'évolution des mœurs. Catholique pratiquante à 90 %,

l'île, qui demande une référence à l'héritage chrétien dans la

Constitution de l'UE, ne connaît ni divorce (il n'existe

légalement que l'annulation du mariage, souvent difficile à

obtenir devant des tribunaux embouteillés, ou la séparation)

ni la moindre amorce de discussion des droits pour les

homosexuels.

Quant à l'avortement, encore illégal et puni de prison, même

en parler reste tabou. Ouvert pourtant à un processus

d'instauration du divorce, Arnold Cassola s'indigne de ce que

des rumeurs aient pu lui attribuer des paroles de soutien à

l'avortement. "Ce sont des manœuvres pour me discréditer en

pleine campagne, tout le monde sait que je suis opposé à

l'avortement", explique-t-il " Malte est ainsi, nos valeurs

font partie de notre identité. Nous ne sommes pas prêts à y

renoncer."

Cependant, cette question n'est pas tout à fait absente de la

campagne et, même si le thème est abordé de façon marginale,

c'est en somme une grande première. Candidat indépendant,

l'avocat Emmy Bezzina, à la tête d'un parti - le Groupe Alpha

- créé pour la circonstance et qui ne compte qu'une poignée de

militants, se présente sous une bannière qui fait scandale :

oui à l'avortement, au divorce, aux droits des homosexuels.

Autant dire que ses chances sont plus que minimes. Ses

adversaires le traitent de "lunatique", de "personnage peu

fiable" et la presse l'ignore en bonne partie. "Vouloir

discuter de ces frivolités libérales quand nous avons un réel

problème d'emploi est plutôt déplacé", estime un élu

conservateur.

La réponse de l'avocat Bezzina est sans complexe : "Il n'y a

pas que les critères de convergences économiques, l'UE est un

tremplin pour faire évoluer notre société qui en a bien

besoin", explique-t-il. Il raconte la grande détresse des

femmes maltaises, contraintes à se rendre incognito dans des

cliniques siciliennes, les plus proches de l'île, pour

avorter. Sans compter l'histoire de cette jeune femme russe

installée à Malte, Nadejda Gavrilova, qui, il y a quelques

mois, s'était vue dans un premier temps, interdire par la

police de quitter le pays, car son compagnon s'était plaint

qu'elle comptait se rendre en Russie pour avorter.

Faisant remarquer la grande "hypocrisie" de la société

maltaise et le manque de courage des partis politiques devant

l'influence toujours très forte de l'Eglise, Emmy Bezzina

conclut : "Il fallait bien mener cette bataille, même perdue

d'avance. L'an dernier, 600 Maltaises ont dû aller

clandestinement avorter en Angleterre. Il est inadmissible que

l'on traite ces femmes de "bouchères" qui ont "assassiné leurs

bébés" et que les droits individuels des femmes ne soient pas

reconnus dans un pays qui fait à présent partie de l'UE."

Marie-Claude Decamps

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 10.06.04