« Être une porte vers la Russie »

L'Estonie veut faire ses preuves comme porte vers la Russie

Article paru dans l'édition du 16.05.04

Le plus petit des Etats baltes a planté un million d'arbres pour fêter son adhésion

Près la Pologne, la Hongrie, la Lettonie et la Lituanie, nous poursuivons la publication d'une série d'articles consacrée aux nouveaux membres de l'Union européenne.

C'EST UNE PELLE à la main que de nombreux Estoniens ont célébré l'entrée de leur pays dans l'Union européenne (UE). Pour marquer cet événement, les autorités du plus petit des trois Etats baltes avaient convié la population à participer à la plantation d'un million d'arbres, étalée entre le ler et le 15 mai.

Le pays, qui n'a jamais manqué ni de pins ni de bouleaux, a toutefois vu une partie de son parc forestier disparaître ces dernières années, à la faveur de la reprivatisation des terres. De nombreux propriétaires ont vendu des parcelles entières pour améliorer la vie quotidienne, qui reste souvent difficile dans les campagnes.

« L'Estonie est désormais implantée dans l'UE », a titré très symboliquement, le 3 mai, le quotidien Postimees (www.postimees.ee). Au-delà de ce jeu de mots, le journal a salué l'initiative gouvernementale, menée sous le slogan : « Sauvons au moins une forêt... », citation d'une chanson populaire chère à l'âme estonienne. Les manifestations officielles et populaires liées à l'entrée dans l'UE ont attendu la journée du ler mai, la nuit précédente étant traditionnellement dédiée à la fête des sorcières et des étudiants... Une coutume que les Estoniens ont respectée, malgré le caractère extraordinaire de l'événement. Postimees l'a admis bien volontiers dans un éditorial publié à la veille de l'entrée de l'Estonie dans l'Union européenne : « Bien que les Estoniens n'aient pas l'intention de devenir euphoriques (...) le plus critique d'entre eux ne pourra pas nier que l'entrée dans l'UE est un moment historique. »

Annexée par l'Union soviétique en 1940, comme la Lettonie et la Lituanie, l'Estonie n'a pu recouvrer son indépendance qu'en 1991. « Nos arrière-grands-parents, a repris le journal, n'auraient jamais même rêvé d'assister un jour aux changements dont les récentes générations ont été témoins : six décennies de paix, la chute de l'empire soviétique, la reconquête de l'indépendance sans verser une goutte de sang, puis l'entrée dans l'OTAN et dans l'UE. » Dans une tribune publiée par le quotidien, le président de la République, Arnold Ruutel, estime que « les Estoniens peuvent penser à l'adhésion avec fierté ». Postimees ne se berce toutefois pas d'illusions : « Evidemment, l'UE n'est pas le paradis sur Terre. Ceux qui s'attendent à une réussite rapide et à un bonheur immédiat seront déçus. » Le fait de pouvoir, « pour la première fois, influer sur le futur, à l'intérieur d'un grand système » , aura un certain prix.

« Les Estoniens ont encore à découvrir l'Europe. L'UE aussi possède un centre et des périphéries », pointe le journal, en allusion à l'ex-URSS. « En tant qu'Etat-frontière de la nouvelle UE, l'Estonie devra faire ses preuves dans le rôle de porte vers Saint-Pétersbourg et la Russie », précise le quotidien.

« LA VALSE DE LA VODKA »

Postimees, qui est désormais la propriété du groupe de médias norvégien Schibsted (éditeur également du gratuit d'informations 20 Minutes, distribué notamment dans plusieurs villes de France), a publié ces derniers jours divers articles soulignant les risques liés, selon lui, à l'adhésion : l'intensification de la criminalité économique et du trafic de drogues, la hausse des prix, en particulier des carburants et du sucre, denrée que les Estoniens ont stockée massivement avant le 1er mai.

« Découvrir l'Europe signifie faire face au multiculturalisme, mais aussi aux inégalités sociales. Dans les premiers temps au moins, il y aura une Europe à deux niveaux. Nul doute, toutefois, que l'Estonie pourra utiliser la liberté de circulation des biens et des services pour accroître le niveau de vie de la population », assure Postimees.

Comme les autres journaux du pays, Postimees s'est également intéressé aux premiers effets concrets de l'adhésion. La suppression des limites d'importation des boissons alcoolisées s'est traduite par une arrivée massive de touristes nordiques à Tallinn. Les Suédois, mais surtout les Finlandais, dont la capitale, Helsinki, est à moins de 90 kilomètres par bateau, ont tenu à profiter immédiatement des effets de l'élargissement. « La valse de la vodka », a ironisé le journal.

Antoine Jacob

« Plus d’autonomie vis-à-vis de Madrid »

Au nom de l'Europe des régions, la Catalogne veut encore plus

d'autonomie vis-à-vis de Madrid

LE MONDE | 10.06.04 | 14h10

Les nationalistes et les indépendantistes comptent sur les

socialistes du PSOE pour faire entendre leurs revendications à

Bruxelles.

Barcelone de notre envoyée spéciale

80 % des Espagnols se disent proeuropéens et les Catalans ne

sont pas en reste. Ils ont toujours voulu jouer leur propre

rôle dans l'UE et l'ont répété tout au long de la campagne

pour les élections européennes du 13 juin.

Ils revendiquent notamment l'usage du catalan comme langue

officielle de l'Union et une présence accrue de leur région en

Europe.

Jordi Pujol, qui a présidé le gouvernement catalan pendant

vingt-trois ans, à la tête du parti nationaliste modéré,

Convergence et Union (CiU), a toujours œuvré en ce sens. En

janvier 2003, il a remis au président de la Convention, Valéry

Giscard d'Estaing, un document intitulé "La Convention

catalane pour le débat sur le futur de l'Europe", réalisé par

trois cents personnalités de la société civile catalane,

syndicalistes, homme d'affaires ou politiques.

Cet "apport des Catalans" au projet de Constitution consistait

à demander, outre la reconnaissance du catalan, une

participation "active et directe" au sein de l'UE des "régions

disposant de compétences législatives". Ce dernier point n'a

jamais été appuyé par le Parti populaire (PP) et le

gouvernement de José Maria Aznar qui s'y sont vivement

opposés.

Toutefois, en un an, la situation politique a totalement

changé. La Catalogne est gouvernée depuis novembre 2003 par

une coalition tripartite du Parti socialiste catalan (PSC),

des communistes et des Verts d'Initiative pour une Catalogne

Verte (ICV) ainsi que des nationalistes indépendantistes

d'Esquerra Republicana (ERC). Tandis qu'à Madrid, le Parti

socialiste (PSOE) a ravi le pouvoir au PP à l'occasion des

législatives du 14 mars.

Quelle incidence cette nouvelle équation aura-t-elle sur les

élections européennes ? Si les socialistes catalans sont

affiliés au PSOE, et figurent sur sa liste pour le scrutin de

dimanche, ils restent toutefois "catalanistes". Or les

relations entre les deux formations ne sont pas de tout repos.

Il a fallu au secrétaire général des socialistes catalans,

José Montilla, nouveau ministre de l'industrie, beaucoup de

diplomatie pour vaincre les réticences de la direction du

PSOE, qui voyait d'un mauvais œil l'arrivée des

indépendantistes d'ERC au gouvernement catalan.

En effet, ERC, qui s'est conforté comme le troisième parti de

Catalogne derrière CiU et devant le PP aux élections

régionales, fait figure de loup dans la bergerie. Son leader,

Josep Lluis Carod-Rovira, a dû démissionner de son poste de

premier ministre catalan pour avoir rencontré secrètement, en

janvier, des membres d'ETA - l'organisation séparatiste basque

responsable d'attentats.

DROIT À L'AUTODÉTERMINATION

La crise politique qui a suivi a obligé Pasqual Maragall, le

président du gouvernement catalan, et José Luis Rodriguez

Zapatero, l'actuel président du gouvernement espagnol, à

déployer toute leur diplomatie pour éviter l'implosion du

gouvernement catalan, attaqué par le PP et les barons du PSOE.

Mais M. Maragall n'a pas l'intention d'oublier qu'il a été de

ceux qui ont porté M. Zapatero à la tête du PSOE, en juillet

2000, et que sur les 11 millions d'Espagnols qui ont voté

socialiste le 14 mars, il y avait 1,5 million de Catalans. Il

n'hésitera pas à rappeler au gouvernement central les

revendications "catalanistes", en particulier, un nouveau

statut pour la Catalogne, avec plus d'autogouvernement et

davantage de moyens financiers.

Jusqu'alors, le PSC s'est fait entendre à Bruxelles sur

l'usage du catalan dans l'UE et sur la place que pourrait

tenir la Généralité, au côté du gouvernement central, par la

voix du candidat tête de liste du PSOE, Josep Borrel, ancien

secrétaire général du parti, lui-même catalan.

M. Carod-Rovira lui aussi veut faire pencher la balance, "Nous

avons voté l'investiture de José Luis Rodriguez Zapatero, mais

ce n'est pas un chèque en blanc ! Le PSOE a l'opportunité de

montrer que le gouvernement espagnol a un projet d'Etat qui

n'est pas celui de la droite. On espère qu'il sera

multilangue, multiculturel, multinational et fédéral." Et il

n'hésite pas à ajouter, "sinon, l'option indépendantiste

catalane va aller croissant".

Le candidat d'ERC aux élections européennes, Bernat Joan, a

d'ailleurs déclaré que seule la création d'un "Etat propre et

indépendant des Pays catalans", comportant outre la Catalogne

espagnole, la "Catalogne française", la Communauté de Valence

et les îles Baléares, permettrait d'affronter les défis

économiques, industriels culturels et politiques de la

Catalogne. Il a ajouté, dans un débat à la télévision

catalane, qu'il fallait défendre la présence politique de ces

"Pays catalans"dans l'Union, en tant qu'eurorégion avec droit

à l'autodétermination.

Ces revendications purement catalanes, véritable casse-tête

pour la direction nationale du PSOE, n'ont toutefois trouvé

aucun écho dans le reste de l'Espagne, où la campagne s'est

centrée sur des questions de politique intérieure.

Martine Silber

Les sondages donnent l'avantage au PSOE

Selon les sondages, le 13 juin, le Parti socialiste ouvrier

espagnol (PSOE) obtiendrait de 24 à 27 sièges sur les 54 dont

dispose l'Espagne au Parlement, contre 22 pour le Parti

populaire (PP). Les communistes de la Gauche unie auraient 2

ou 3 sièges, tout comme les partis nationalistes ou

régionalistes, qui présentent des listes communes. Il n'y a

qu'une seule circonscription en Espagne, contre 8 en France,

ce qui profite aux deux grands partis nationaux, les partis

nationalistes ou régionalistes ne pouvant trouver d'électeurs

que dans leur propre région. Ils se sont donc regroupés. Trois

listes ont été ainsi formées, Galeuska, L'Europe des peuples

et Coalition européenne. - (Corresp.)

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 11.06.04