« Exercice de la parole publique »

Politique

A droite comme à gauche, on fait le même constat : ce scrutin

intéresse peu les Français car l'enjeu leur paraît lointain

Européennes : en France, les partis peinent à mobiliser

Nicolas Barotte

[01 juin 2004]

A droite comme à gauche, personne ne connaît la formule pour

intéresser les électeurs aux européennes. La campagne officielle a

commencé hier. Au siège de l'UMP, on n'est pas loin de désespérer :

«Les gens ne savent même pas s'il y a un tour ou deux.» Le libéral

Alain Madelin va plus loin dans l'ironie : «Les élections sont le 13

juin. Mais ne le répétez pas, car personne ne le sait !»

C'est un fait, le sujet ne passionne pas. Depuis le 7 avril, le

parti d'Alain Juppé a lancé une pétition en faveur de la

Constitution européenne. «Nous avons obtenu 7 000 signatures», se

réjouit le directeur de campagne Pierre Lequiller, en soulignant

l'effort à réaliser : «Remplir le document, l'envoyer...» Mais, en

mai 2003, une pétition de l'UMP contre le boycott des examens par

les professeurs en grève avait recueilli 200 000 signatures en

quelques semaines...

Dans ces conditions, il est normal que les meetings ne mobilisent

pas les masses. «Les meetings, où ne viennent que des convaincus,

sont peut-être dépassés», s'interroge Dominique Voynet, qui n'a

rassemblé, avec Noël Mamère et Alain Lipietz, que 60 personnes lors

d'une réunion publique à Argenteuil.

Tous, quel que soit le parti, demandent plus de pédagogie sur

l'Europe. Mais chacun se renvoie la responsabilité de cette carence

: «Le gouvernement n'a pas fait le travail d'explication sur

l'importance de cette échéance», a regretté la semaine dernière le

directeur de campagne PS, François Rebsamen. Même son de cloche à

l'UDF, où Marielle de Sarnez, candidate en Ile-de-France, critique

«l'absence absolue de campagne» d'incitation au vote. Les Verts et

les communistes regrettent, pour leur part, le refus des

«socialistes d'engager le débat sur la Constitution». Ce que

Dominique Voynet appelle «l'entourloupe du PS».

Cinq éléments peuvent d'ores et déjà laisser prévoir une abstention

élevée, comme ce fut le cas lors des élections européennes

précédentes :

o Le mode de scrutin est complexe. En mars 2003, le gouvernement a

modifié le mode de scrutin des élections européennes en même temps

que celui des régionales. Désormais, les eurodéputés français sont

élus dans huit grandes circonscriptions. Censé rapprocher l'élection

du citoyen, le nouveau mode de scrutin complique l'organisation du

débat au niveau national sans permettre réellement de campagne

locale. Il rend aussi plus difficile d'obtenir des élus pour les

petites formations. Pour les partisans de ce système, l'élu devra

maintenant rendre des comptes à ses électeurs.

o Les têtes de liste ne sont pas connues. La plupart des

responsables politiques de premier plan ne se sont pas portés

candidats. Le cumul des mandats interdit en effet d'être élu à

l'Assemblée nationale et au Parlement européen. Pour mener leurs

listes, les partis ont souvent fait appel à leurs députés européens

sortants, peu connus des Français. Un seul ministre sera candidat :

Tokia Saïfi, secrétaire d'Etat au Développement durable. Seuls les

leaders nationaux des partis «souverainistes» se sont jetés dans la

bataille : Jean-Marie Le Pen (FN) dans le Sud-Est, Philippe de

Villiers (MPF) dans l'Ouest, Charles Pasqua (RPF) en Ile-de-France,

liste à laquelle il faut ajouter, à l'extrême gauche, Olivier

Besancenot (LCR), lui aussi en Ile-de-France. La multiplication des

listes (une vingtaine en moyenne pas circonscription) contribue à

brouiller l'élection.

o Les enjeux de cette élection sont mal définis. Plusieurs questions

se superposent. Le premier enjeu est bien sûr l'élection des

parlementaires qui siégeront à Strasbourg. Mais leurs compétences

sont mal connues. Le Parlement de Strasbourg apparaît aussi comme le

parent pauvre des institutions européennes. Beaucoup de décisions

sont prises sans son aval. D'autres débats animent cette campagne,

mais l'élection n'aura que peu d'impact direct sur eux. La

Constitution européenne d'abord. La droite et la gauche sont

divisées en leur sein sur ce sujet. Ainsi, le PS n'a pas pris

position officiellement. En outre, le nouveau Parlement européen

n'influera pas sur le texte, rédigé dans le cadre de la Convention

présidée par Valéry Giscard d'Estaing et discuté au niveau

intergouvernemental. Deuxième débat : l'entrée de la Turquie dans

l'Union européenne. A nouveau droite et gauche sont divisées. La

position de l'UMP est ainsi en contradiction avec celle de Jacques

Chirac. Comme pour la Constitution, les députés élus le 13 juin ne

seront pas amenés à trancher cette question.

o Il s'agit du troisième vote en moins de trois mois. Les électeurs

se sont déjà exprimés lors des élections régionales et cantonales

les 21 et 28 mars. La proximité des deux scrutins ne favorise pas la

participation ou le renouvellement d'un «vote sanction» qui a déjà

eu lieu.

o Le gouvernement s'investit prudemment. Même si le premier ministre

a annoncé qu'il participerait à plusieurs meetings, un seul est

indiqué pour l'instant dans son agenda. Il a par ailleurs déclaré

que les européennes ne constituaient nullement son «l'échéance de

son action».