« Influence française au PE »

Européennes 2004

A la veille des élections européennes, Paris tire la sonnette

d'alarme

L'influence française en recul au Parlement européen

Bruxelles : de notre correspondante Alexandrine Bouilhet

[08 juin 2004]

Elèves absents, dispersés, aucune assiduité dans les matières

essentielles : tel pourrait être le commentaire d'un professeur

jugeant le travail des députés français au cours de la dernière

législature. Avec un avertissement en rouge au bas du carnet de

notes : «Risquent d'être noyés dans le prochain Parlement». A la

veille des élections européennes, Jacques Chirac ne dit pas autre

chose. Comme un entraîneur d'une écurie en perte de vitesse, le

président français ne cesse de réclamer des eurodéputés «plus forts»

et «plus actifs».

A Paris comme à Bruxelles, le sujet a été érigé au rang de cause

nationale. «Il faut que la France essaie d'améliorer sa force de

frappe au Parlement européen !», implorait Jacques Chirac, le 2

juin, dans un dernier appel à ses «compatriotes», peu motivés par ce

scrutin. «Nous sommes parmi les plus faibles à Strasbourg, en raison

de la dilution et de la dispersion des représentants français»,

regrette le chef de l'Etat.

L'Elysée n'est pas la seule institution à tirer la sonnette

d'alarme. Le Medef a fustigé le manque d'influence des députés

français, dès le mois de février, dans une étude au vitriol.

Suivait, en mai, un rapport complet de l'Assemblée nationale sur le

déclin de la France dans les arcanes du pouvoir européen, présenté

par le député socialiste Jacques Floch. Fut ensuite publié un

opuscule de la Fondation Robert-Schuman, rédigé par deux chercheurs

français, Yves Bertoncini et Thierry Chopin, donnant plusieurs

pistes à suivre pour enrayer la débâcle. La plus évidente d'entre

elles consiste, à leurs yeux, à voter utile. «Il est

contre-productif d'envoyer à Strasbourg des députés qui seront

inscrits dans des groupes qui n'ont pas d'influence», écrivent-ils.

Autrement dit : hors du PPE et du PSE, les groupes parlementaires

conservateurs et socialistes, et du groupe libéral, point de salut.

A regarder l'Hémicycle, les députés français remportent, il est

vrai, la palme de «l'éclatement» politique. Ils sont les seuls à

être dispersés dans l'intégralité des groupes politiques européens,

de l'extrême droite à l'extrême gauche. Contrairement à l'Allemagne,

au Royaume-Uni, à l'Italie et à l'Espagne, ils sont surreprésentés

dans les formations minoritaires et sous-représentés dans les

principaux groupes. Cette dilution est encore plus visible dans le

Parlement «élargi» à 732 députés depuis le 1er mai, où la France n'a

plus de 78 sièges – contre 87 auparavant. Vu le nombre record de

listes qui s'offrent cette année encore aux électeurs – une

vingtaine de partis par circonscription, soit plus de 120 listes –,

cette tendance à l'éparpillement s'annonce plus forte que jamais,

notamment à droite. Le départ annoncé des élus UDF du groupe

conservateur (PPE), où siège l'UMP, et le succès du vote

protestataire décelé par les sondages promettent une dilution

maximale des eurodéputés français, qui n'est pas étrangère à

l'intervention de l'Elysée dans la campagne.

Une fois élus et assurés de gagner leurs 5 205 euros par mois – un

salaire doublé grâce aux enveloppes de frais –, les députés français

doivent se mettre au travail, un effort qui semble souvent au-dessus

de leurs forces. Il faudrait d'abord qu'ils se déplacent plus

nombreux à Strasbourg. D'après une enquête officieuse fondée sur les

registres de présence en séance plénière – quatre jours par mois –,

les Français, maîtres dans l'art du cumul des mandats, se situent à

l'avant-dernier rang de la classe européenne, avec un taux de

présence très en dessous de la moyenne. Seuls les Italiens, les

mieux payés de l'Hémicycle, les dépassent par leur absentéisme. Les

plus assidus sont les élus allemands, finlandais, luxembourgeois.

Autre caractéristique peu flatteuse des Français : les têtes de

liste sont souvent tentées de quitter l'Hémicycle en cours de

législature pour rejoindre les états-majors de leurs partis

lorsqu'un scrutin national se profile. Ce fut le cas, après les

élections de 1999, de François Bayrou, François Hollande, Nicolas

Sarkozy, Philippe de Villiers, Alain Madelin et Robert Hue. Une fois

installés dans leurs groupes respectifs, les eurodéputés français

délaissent les commissions parlementaires stratégiques, celles qui

influent sur la législation communautaire. Aux commissions

décisives, comme les affaires économiques ou juridiques, les

Français préfèrent les commissions de «bavardage», celles où l'on

débat des droits de l'homme ou de la politique étrangère, deux

matières nobles, mais qui échappent aux pouvoirs du Parlement.

«La France n'a pas encore pris la mesure des pouvoirs du Parlement

européen», regrette un diplomate. Lors de la dernière législature,

la France ne présidait que deux commissions sur dix-sept –

agriculture et culture –, alors que l'Italie en présidait quatre.

Pendant la même période, les députés allemands rédigeaient 299

rapports parlementaires, alors que les Français n'en produisaient

que 199. Le Medef a relevé que le taux d'activité était de 3,45

rapports pour un député néerlandais contre 1,36 pour un Français.

Lorsque vient l'heure du bilan, les plus travailleurs ne sont pas

toujours récompensés par les états-majors de parti à Paris. Ce fut

le cas pour le député Olivier Duhamel, qui n'a pas été réinvesti par

le PS cette année, alors qu'il a joué un rôle décisif dans la

rédaction de la future Constitution.