Formes discursives Le Figaro discours européen

« Le tabou des OGM »

International

BIOTECHNOLOGIE La Commission de Bruxelles devrait donner son feu

vert pour la commercialisation d'un maïs génétiquement modifié.

Cette autorisation met fin

Bruxelles brise le tabou des OGM

Yves Miserey

[19 mai 2004]

L'autorisation d'importer en Europe du maïs transgénique Bt 11

devrait être prise aujourd'hui à Bruxelles lors de la réunion

hebdomadaire des commissaires. Cette initiative marquera la fin du

moratoire européen sur les OGM. Décidé en juin 1999, ce dernier

avait été demandé par cinq pays, dont la France, qui exigeaient

avant tout préalable la mise en place d'une réglementation sur

l'étiquetage et la traçabilité des OGM.

Cette réglementation étant entrée en vigueur le 18 avril dernier, il

n'y a donc plus d'obstacle de principe à ce que soient instruits les

dossiers d'introduction de nouveaux OGM. Une trentaine de plantes

transgéniques (maïs, soja, betterave, pomme de terre) attendent

depuis quatre ans que la situation se débloque, que ce soit pour la

consommation humaine ou la culture en plein champ. L'Union

européenne importe d'ores et déjà pour le bétail des millions de

tonnes de soja génétiquement modifié des Etats-Unis et d'Argentine.

La Commission de Bruxelles ne pouvait prolonger indéfiniment le

moratoire. En effet, les producteurs d'OGM accusent depuis plusieurs

années les Européens de protectionnisme. Les Etats-Unis, le Canada

et l'Argentine ont déposé une plainte contre l'Union européenne

auprès de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Un panel

d'arbitrage doit se réunir début juin pour auditionner les parties

avant de rendre une décision dans quelques mois. «Nous ne sommes pas

inquiets. L'objectif des plaignants est de dissuader les pays comme

le Brésil, l'Inde et la Chine ou les pays africains, qui refusent

l'aide alimentaire transgénique, d'adopter des règles comme les

nôtres», affirme une source communautaire citée par l'AFP.

En autorisant la commercialisation du maïs Bt, la Commission fait

montre de sa bonne volonté même si elle affirme ne pas agir sous la

pression de l'OMC. Elle prend surtout un risque conséquent car les

consommateurs de nombreux pays membres sont hostiles aux aliments

OGM. La Commission a néanmoins écarté l'idée de prendre cette

décision après les élections européennes de juin, estimant que cela

«ne serait pas honnête».

La Commission a été obligée de jouer les premiers rôles dans cette

affaire car les gouvernements européens ne sont jamais parvenus à un

accord sur cette question. Le 26 avril dernier, lors de la réunion

des ministres de l'Agriculture des Quinze qui examinaient la

candidature du maïs Bt, aucune majorité qualifiée n'avait pu se

dessiner (nos éditions du 14 mai 2004) ni dans un sens ni dans

l'autre. Six pays (Irlande, Royaume-Uni, Pays-Bas, Suède, Finlande

et Italie) s'étaient prononcés en faveur du BT 11. Trois autres

(Allemagne, Belgique et Espagne) s'étaient abstenus et les six

derniers (France, Autriche, Luxembourg, Danemark, Portugal et Grèce)

avaient voté contre.

Des produits alimentaires issus de 16 OGM avaient déjà été autorisés

avant 1999, y compris le maïs Bt 11, mais sous forme d'huile et non

de maïs en boîte, d'où la nécessité d'une nouvelle autorisation. Le

maïs Bt 11 est doté de deux gènes étrangers. Le gène de la toxine Bt

est issu d'une bactérie (Bacillus thuringiensis) dont les propriétés

insecticides naturelles sont utilisées depuis plusieurs années en

agriculture biologique. On trouve aussi un gène de résistance à un

herbicide (glufosinate ammonium).

Le maïs doux Bt 11 commercialisé par le groupe suisse Syngenta sera

autorisé exclusivement pour la consommation (pop-corn et boîte de

conserve de maïs cuit), il ne pourra pas être cultivé en Europe. Le

maïs de Syngenta sera autorisé pour dix ans et devra porter

l'étiquette «ce produit contient des OGM». Cultivé en Argentine, au

Canada, au Japon, en Afrique du Sud, en Uruguay et aux Etats-Unis,

le maïs Bt est déjà autorisé pour l'alimentation dans treize pays,

parmi lesquels la Chine, la Russie, l'Australie.

Comme on pouvait s'y attendre, l'autorisation annoncée du maïs Bt 11

a déjà soulevé un tonnerre de protestations (ci-dessous). Le rejet

des OGM par les consommateurs européens est tel que l'avenir des OGM

sur le Vieux Continent reste encore en pointillé. Les agriculteurs

du sud-ouest de la France, une région traditionnelle de production

du maïs doux, ne se précipiteront pas pour cultiver du Bt 11. Ils en

sont réduits aujourd'hui à espérer que l'arrivée d'un maïs

transgénique ne freinera pas les ardeurs des amateurs de pop corn.

Quant à Jean-Michel Wal, spécialiste de l'allergie alimentaire

(Inra-CEA), qui a participé à un programme européen sur l'évaluation

de la sécurité sanitaire des cultures alimentaires OGM

(Entransfood), il confie être frustré par les maigres résultats de

quatre années de recherche. «Nous n'avons pas mis en évidence de

risque adverse. Rien de significatif statistiquement.» Une seule

chose est sûre : les aliments traditionnels n'ont jamais été étudiés

d'aussi près que les OGM.