« Le référendum »

Européennes 2004

Alors que les électeurs peinent à s'intéresser aux élections du 13

juin, ils plébiscitent à plus de 80% une consultation directe sur la

future Constitution

A travers l'Europe, le référendum s'invite dans la campagne

Bruxelles : de notre correspondante Alexandrine Bouilhet

[03 juin 2004]

Si les Européens ne se passionnent guère pour l'élection de leur

assemblée commune, ils ne sont pas indifférents à l'avenir de

l'Europe. Au contraire. D'après plusieurs sondages, ils

plébiscitent, à plus de 80%, la tenue d'un référendum sur la future

Constitution. Dans une campagne atone, cantonnée à une juxtaposition

de débats nationaux, ce référendum s'impose comme un sujet de

préoccupation commun aux électeurs des vingt-cinq Etats membres.

Cette exigence de consultation directe vient combler le vide du

discours européen, et apparaît, aux yeux de ses partisans, comme le

seul vrai remède au déficit démocratique dont souffrirait l'Europe.

Face à la pression populaire, les partis politiques et les

gouvernements en quête d'électeurs cèdent à la tentation, si risquée

soit-elle. «Le référendum, c'est l'arme de destruction massive de

l'Europe !», redoute-t-on à la Commission.

A ce jour, 75 partis européens se disent favorables à un référendum

sur la Constitution, affichant même la promesse dans leur programme

de campagne. En France et en Grande-Bretagne, toutes les formations

politiques sans exception réclament une consultation directe des

citoyens. En Allemagne, les Verts et le SPD de Gerhard Schröder

s'abritent derrière sa Constitution fédérale pour refuser de

soumettre le traité constitutionnel à référendum comme le réclament

75% des Allemands dans un dernier sondage.

Au sein de l'Union, neuf Etats membres sur vingt-cinq ont déjà

annoncé qu'ils tenteraient l'aventure, alors que seuls deux d'entre

eux y sont contraints par les textes, l'Irlande et le Danemark.

Ceux qui n'ont pas la culture du référendum, notamment la Belgique

et les Pays-Bas, ont lancé un nouveau concept : le «référendum

consultatif», un vote non contraignant juridiquement, mais

politiquement incontournable.

A terme, si la France, elle aussi, saute le pas, la moitié des Etats

membres pourraient soumettre la future Constitution à référendum.

L'effet de contagion sera, une fois encore, parti de Londres, où

Tony Blair a annoncé, fin avril, qu'il soumettrait la Constitution

au vote populaire pour couper l'herbe sous les pieds des

conservateurs.

Par le biais de ces référendums, la Constitution revient comme un

boomerang à la tête des dirigeants européens qui ont tout fait pour

escamoter le sujet. Les partis politiques nationaux étaient invités

à débattre de tout, sauf du traité constitutionnel, un sujet trop

sensible pour être confié aux préaux de campagne. Les chefs d'Etat

et de gouvernement, qui s'alarment aujourd'hui de la montée de

l'abstention, ont délibérément reporté à l'après-13 juin la clôture

des négociations sur le contenu du traité en vue d'un accord au

sommet de Bruxelles le 18 juin.

D'ici là, ils gardent secret le contenu des dernières réunions de

travail entre diplomates, ce qui leur permet de rester très vagues

sur l'orientation du texte, alors que 99% des points sont déjà

acquis pour accord. Affolées par les résultats des derniers scrutins

européens qui se transforment tous en vote sanction, les capitales

redoutaient que les discussions sur la Constitution européenne ne

viennent polluer les européennes, en donnant un sérieux avantage aux

partis eurosceptiques. Mais le résultat est pire aujourd'hui : non

seulement les partis populistes gagnent des points dans les

sondages, mais les électeurs «pro-européens» réclament des

informations sur une Constitution qui n'est pas arrêtée.

Faute de réponse claire, sur l'Europe sociale ou libérale, fédérale

ou addition d'Etats nations, les plus motivés hésitent à se rendre

aux urnes. «A quoi bon voter, quand les choses importantes se

décident dans notre dos et dans le vôtre», répètent-ils aux

candidats pour le Parlement européen. C'est ainsi que l'abstention

devient un vote protestataire.