« La candidature turque divise »

Européennes 2004

Alors que les électeurs britanniques et néerlandais ont donné hier

le coup d'envoi des élections européennes

La candidature turque divise l'Europe

Laure Mandeville et Arielle Thédrel

[11 juin 2004]

Faut-il ou non intégrer la Turquie dans l'Union européenne ? Bien

qu'elle ne soit pas directement du ressort du Parlement de

Strasbourg, la question a fait irruption dans la campagne des

européennes, damant le pion à la plupart des autres sujets. La

Turquie, dont la candidature a été retenue dès 1999, et qui a engagé

des réformes législatives et constitutionnelles sans précédent pour

se conformer aux critères politiques de Copenhague, espère obtenir

un feu vert de l'Union en décembre. Mais la question de son

intégration divise plus que jamais les Européens, pour la plus

grande inquiétude d'Ankara, qui dépêche à travers toute l'Europe des

«missi dominici» chargés de défendre son dossier.

Alexandre Lefebvre, spécialiste des relations internationales,

explique la levée de boucliers antiturcs par «un décalage entre le

discours officiel et la réalité de l'opinion». Depuis l'accord

d'association de 1963, les gouvernements et la Commission européenne

ont soutenu cette candidature turque, «tout en cherchant à gagner du

temps». Mais «les opinions publiques ne sont manifestement pas

prêtes».

Du coup, nombre de politiques et de partis se mobilisent. Prenant le

contre-pied de Jacques Chirac, favorable à la Turquie, l'UMP a suivi

son président Alain Juppé pour dire haut et fort qu'Ankara n'avait

pas «vocation à intégrer l'UE sous peine de la dénaturer». L'UDF est

sur la même longueur d'onde. Philippe de Villiers a axé l'ensemble

de sa campagne sur le non à la Turquie. Beaucoup de Français ont

tendance à voir en Ankara «un cheval de Troie» de l'Amérique, très

présente en coulisses sur ce dossier.

En Allemagne, où vivent 2,5 millions de Turcs, l'opposition

chrétienne-démocrate (CDU) s'est elle aussi prononcée contre

l'entrée d'Ankara, préférant proposer, comme l'UMP, «un partenariat

privilégié». Cette opposition, malgré le tropisme traditionnellement

pro-turc de l'Allemagne, tranche avec le soutien sans réserve

apporté par le chancelier Schröder à Ankara.

En Autriche, où vit également une forte minorité turque, l'ensemble

des partis sont turcosceptiques. Ce même sujet divise largement les

partis traditionnels du nord de l'Europe, comme au Danemark.

Derrière les slogans antiturcs, brandis notamment par les populistes

et l'extrême droite, se profile partout le thème d'un nouvel afflux

potentiel d'immigrants d'origine musulmane. «Il ne serait pas juste

que nous payions pour la crise d'identité de l'Europe», s'étonne un

homme d'affaires turc.

Le débat a gagné aussi certains pays entrants. La Pologne notamment,

qui insiste tant pour que la future Constitution européenne fasse

référence aux racines chrétiennes de l'Europe élargie. Varsovie

soutient officiellement les efforts d'Ankara pour rejoindre l'UE,

mais de plus en plus de voix, comme l'ancien premier ministre

Tadeusz Mazowiecki, soulignent que la Turquie, en adhérant, risque

de «remettre en cause une part importante de son identité, ce qui

pourrait renforcer la mouvance intégriste». Ankara dispose pourtant

de quelques alliés de taille, notamment à Londres, en accord sur ce

point avec Washington ; et à... Athènes, qui estime qu'il sera plus

facile de régler les contentieux existants, une fois la Turquie

intégrée.