« Des modes de scrutin différents »

Européennes 2004

Faute d'accord, chaque Etat membre accommodera à sa façon la règle

européenne de la proportionnelle

Vingt-cinq modes de scrutin différents

Par Bernard Dollez (*)

[02 juin 2004]

Le nouveau Parlement européen ne sera pas élu en juin prochain selon

une «procédure uniforme». Il aurait fallu, pour cela, un accord

unanime des Etats membres, en vertu de l'article 190 alinéa 4 du

traité CE. Le Conseil est néanmoins parvenu à s'entendre sur des

«principes communs», selon l'expression du traité d'Amsterdam, aux

premiers rangs desquels figure le choix d'un scrutin de type

proportionnel. Le Royaume-Uni, qui fut longtemps le seul Etat à

pratiquer le scrutin majoritaire, s'y est ainsi rallié depuis 1999.

Mais d'un Etat à l'autre, les modalités concrètes du scrutin

demeurent profondément différentes. Il y a presque, aujourd'hui,

autant de régimes proportionnels que l'Union européenne compte

d'Etats membres. Petit tour d'horizon des différences qui affectent

les pays de l'Union.

Une ou plusieurs circonscriptions ?

Dans la majorité des Etats, le territoire national constitue une

circonscription unique. En créant 8 circonscriptions électorales

pour le scrutin de 2004, la France a rejoint le camp des Etats qui

ont fait le choix de découper leur territoire, tels la Belgique, le

Royaume-Uni ou l'Irlande, en y organisant l'ensemble des opérations

électorales, à savoir l'enregistrement des candidatures, le

recollement des votes et la distribution des sièges en fonction des

suffrages recueillis. Parfois, le découpage du territoire national

s'impose presque «naturellement» au regard des considérations

nationales (les antagonismes régionaux et linguistiques en Belgique,

par exemple). Parfois, le morcellement du territoire national est un

simple choix d'opportunité. Choisir le niveau d'organisation du

scrutin n'est pas neutre : plus la magnitude (c'est-à-dire le nombre

de sièges en jeu) est faible, moins l'effet proportionnel du scrutin

est important. Fractionner le territoire aboutit mécaniquement à

défavoriser les petits partis.

Certains Etats souhaitent concilier une organisation régionale du

scrutin, sans pour autant édulcorer sa proportionnalité. Cela

suppose l'adoption d'un système complexe, articulé sur deux niveaux.

Le premier type de système complexe est la représentation

proportionnelle à plusieurs niveaux de candidature. Les formations

politiques peuvent présenter des listes soit au niveau national,

soit au niveau régional, mais la répartition des sièges s'effectue

au niveau national. En Allemagne, par exemple, les partis ont la

possibilité de présenter des listes de candidats, soit à l'échelon

national, soit à l'échelon des Länder, pour tenir compte du

particularisme bavarois et permettre à la CSU de présenter ses

propres candidats. Un dispositif similaire existe également en

Finlande, mais en 1999 tous les partis finlandais avaient décidé de

présenter des listes nationales. Deuxième type de système complexe :

la représentation proportionnelle à plusieurs nivaux d'attribution

de sièges. Ainsi, en Italie, le quotient électoral est calculé au

niveau national, les sièges sont répartis au quotient dans les

circonscriptions régionales et les restes sont additionnés au niveau

national, permettant par conséquent d'accroître la proportionnalité

du système et d'offrir une meilleure représentation aux petits

partis.

Scrutins de liste (1) : listes bloquées, panachage, vote

préférentiel

En France, mais aussi en Allemagne, en Grèce, au Portugal, au

Royaume-Uni ou en Espagne, les listes sont bloquées. Parmi les

nouveaux Etats membres, l'Estonie, la Hongrie et la Pologne ont

également opté pour ce système. L'électeur doit se contenter

d'arbitrer entre les listes candidates, sans pouvoir choisir parmi

l'ensemble des candidats en compétition : il ne peut ni panacher son

vote, c'est-à-dire voter pour des candidats de listes différentes,

ni même établir un classement préférentiel entre les candidats d'une

même liste. L'ordre de présentation des candidats sur les listes a

donc une importance décisive, laissant ainsi aux formations

politiques le soin de désigner pratiquement les futurs élus.

Mais, dans une majorité d'Etats, les listes ne sont pas bloquées :

les électeurs peuvent alors indiquer leurs «préférences», et donc

modifier l'ordre des candidatures établi. C'est notamment le cas de

l'Autriche, l'Italie, des pays du Benelux et de ceux d'Europe du

Nord (Danemark, Finlande, Suède) mais aussi, parmi les dix nouveaux

membres, de la Lituanie, de la Slovaquie ou de la Slovénie. D'un

Etat à l'autre, les modalités d'application du vote préférentiel

sont elles-mêmes variables. Elles peuvent laisser une liberté totale

aux électeurs ou au contraire être assez strictes. Deux limites

peuvent notamment être apportées au vote préférentiel : la première

concerne le nombre de candidats dont la place peut-être modifiée et

la seconde, l'exigence d'un nombre minimum de «préférences» pour

modifier in fine l'ordre des candidatures. La règle électorale

applicable en République tchèque fournit, sur ces deux points, un

bon exemple : les électeurs peuvent modifier la place de deux

candidats maximum sur la liste qui recueille leur suffrage ; les

préférences exprimées ne sont prises en compte que si le candidat

concerné a obtenu au moins 5% de voix préférentielles.

En Suède et au Luxembourg, les électeurs peuvent non seulement

indiquer leurs préférences, mais aussi panacher leur vote, en votant

pour des candidats issus de listes différentes. Au Luxembourg,

chaque électeur dispose de six voix, soit autant qu'il y a de sièges

à pourvoir. Les listes en compétition peuvent compter jusqu'à douze

noms. Les électeurs ont trois possibilités : attribuer la totalité

de leurs suffrages en bloc à une liste, voter pour les candidats

d'une même liste en indiquant leurs préférences, répartir leurs

suffrages entre des candidats de différentes listes. Les sièges sont

ensuite répartis à la proportionnelle entre les différentes listes

en fonction du nombre de suffrages qu'elles ont recueillis, puis

entre les différents candidats en fonction des préférences

manifestées par les électeurs.

Scrutins de liste (2) : formule électorale et seuil

Certains Etats, comme la France, l'Allemagne et l'Italie, utilisent

des systèmes à quotient. La France utilise le quotient de Hare, qui

s'obtient en divisant le total des voix exprimées par le nombre de

sièges à pourvoir. L'Allemagne utilise la méthode dite de

«Hare-Niemeyer», où le calcul du quotient ne prend en compte que les

suffrages des seules listes ayant franchi le seuil des 5% des

suffrages exprimés. Le nombre de voix recueillies par chaque liste

est ensuite divisé par le quotient ainsi obtenu. S'il reste des

sièges à pourvoir, ceux-ci peuvent être attribués selon deux

méthodes : la «plus forte moyenne», en vigueur en France ; le «plus

fort reste», en vigueur en Allemagne et en Italie (après agrégation

des restes au niveau national).

Mais la plupart des pays ont opté pour des systèmes à diviseur. La

méthode élaborée par le mathématicien belge Victor d'Hondt,

équivalente à la proportionnelle à la plus forte moyenne, est la

plus fréquemment utilisée. Appliquée pour la première fois en 1899

pour les élections législatives belges, elle consiste à diviser le

nombre de suffrages obtenus par chaque liste par une suite d'entiers

naturels (1, 2, 3, 4, 5...). Les sièges à pourvoir sont ensuite

attribués aux listes en compétition dans l'ordre décroissant des

quotients ainsi obtenus, jusqu'à concurrence du nombre de sièges à

pourvoir. Dans l'exemple suivant, où trois listes sont en

concurrence pour six sièges, le premier siège est attribué à la

liste A, arrivée en tête avec 6 millions de suffrages exprimés. Les

sièges suivants sont attribués respectivement à A, B, A, B et C. Les

listes A, B et C recueillent respectivement 3, 2 et 1 sièges. (voir

notre graphique ci-dessous)

La méthode d'Hondt avantage les grands partis, surtout quand la

magnitude (le nombre de sièges à pourvoir) est faible. Le

mathématicien français Sainte-Lagüe proposa en 1910 d'utiliser une

suite de diviseurs impairs (1, 3, 5, 7...), afin d'accroître la

proportionnalité du système. Mais cette fois, ce sont les petits

partis qui sont avantagés. Le système «Sainte-Lagüe modifié», moins

défavorable aux grands partis que le précédent, n'utilise pas comme

premier diviseur 1 mais 1,4. D'application fréquente dans les pays

nordiques, il est utilisé par la Suède pour les élections au

Parlement européen.

Certains Etats prévoient en outre un seuil d'accès à la

représentation : 5% en Allemagne et en France, 4% en Autriche et en

Suède, 3% en Grèce. Quand la magnitude est importante, notamment

quand le territoire national constitue une circonscription unique

(la France de 1979 à 1999), ce seuil a pour effet d'exclure de la

représentation une liste qui a pourtant recueilli suffisamment de

voix pour obtenir des élus. Quand la magnitude est plus faible

(France, 2004), le seuil de 5% ne joue qu'un rôle théorique,

puisqu'il faut en pratique recueillir une proportion de voix

supérieure pour espérer obtenir un élu. Le «seuil effectif» est

alors plus élevé que le seuil légal.

Le vote unique transférable : l'Irlande et Malte

La représentation proportionnelle ne suppose pas nécessairement un

scrutin de liste, contrairement à une idée reçue en Europe

continentale. Le vote unique transférable, d'inspiration

anglo-saxonne, permet à chaque électeur de voter pour les candidats

de son choix, comme au scrutin uninominal ou plurinominal, tout en

étant d'esprit proportionnaliste. Il est appliqué pour les

européennes en Irlande et à Malte, mais aussi en Irlande du Nord.

Concrètement, les noms des candidats figurent par ordre alphabétique

sur le bulletin de vote. L'électeur classe les candidats par ordre

de préférence. Pour l'électeur, cela revient à voter pour un

candidat, et à indiquer dans l'ordre les candidats auxquels doit

aller sa voix au cas où celui-ci obtiendrait un nombre de voix

supérieur à celui nécessaire pour être élu (ou serait au contraire

éliminé faute d'avoir recueilli suffisamment de suffrages). En

pratique, le vote unique transférable est proche d'un scrutin de

liste proportionnel avec panachage et vote préférentiel.

(*) Maître de conférences à Paris-I.