« Faire un dernier tour »

Ultime campagne du président de l'UMP avant son

départ et son procès en appel.

Juppé, dernier tour avant de tourner la page

Par Antoine GUIRAL

mardi 08 juin 2004 (Liberation - 06:00)

erniers meetings, derniers frissons. Chef de

file autoproclamé de la campagne européenne,

Alain Juppé effectue son ultime tour de piste

avant d'abandonner la présidence de l'UMP à la

mi-juillet, son mandat de député en septembre et

sa mairie de Bordeaux fin 2004. L'ex-Premier

ministre, qui veut «prendre du recul», va vite

retrouver les flashs. Du 13 au 29 octobre, il

sera de retour face à la justice, avec l'espoir

que la cour d'appel de Versailles infirme sa

condamnation du 30 janvier à dix-huit mois de

prison avec sursis et dix ans d'inéligibilité,

dans le cadre de l'affaire des emplois fictifs

du RPR.

Pour l'heure, Juppé trimballe de ville en ville

une étonnante bonne humeur. Meurtri au plus

profond de lui-même d'être contraint à renoncer

à son «destin présidentiel», il fait son job de

chef de parti : discours incisifs, rencontre

avec les militants et salves contre

l'opposition, qu'elle soit PS ou UDF. Comme

libéré d'une campagne sans enjeux pour lui, il

affiche même une certaine décontraction en

pratiquant l'autodérision, l'une de ses

spécialités. «Je connais l'angoisse ou

l'impatience qui vous taraude...», répond-il à

propos de la date de son départ. «Avec toutes

mes imperfections, j'essaie de porter un message

européen dans les débats», explique-t-il en

s'essayant à la modestie. «Il a des hauts et des

bas en permanence, mais pour une fois ce n'est

pas trop désagréable de travailler avec lui»,

assure un des cadres du parti (lire ci-contre).

Sans nostalgie ni regrets, les élus et les

dirigeants de l'UMP ont tourné la page Juppé.

«Dans le regard des gens, il est déjà parti»,

note un de ses collaborateurs. Même Sarkozy qui

le considère désormais hors jeu n'a pas hésité

la semaine dernière à s'afficher à ses côtés.

Soldat. Fidèle soldat de la Chiraquie, le

président de l'UMP a donc accepté de se lancer

dans un combat électoral incertain. «Ce type est

inhumain jusqu'au bout. Il continue son parcours

christique pour Chirac, incapable de tout

envoyer valdinguer», soupire un député qui le

connaît bien. Bouclier du président de la

République et du Premier ministre qui ne se sont

guère montrés dans cette campagne, il sera en

première ligne pour endosser le résultat d'un

«vote-défouloir contre le gouvernement, dans le

droit fil des élections régionales», comme dit

un conseiller de Jacques Chirac. En bon patron

de la majorité, Juppé a déjà prévenu tous ceux

qui s'attendent à ce que le chef de l'Etat tire

les enseignements politiques d'un mauvais

résultat : «Vous n'allez pas nous refaire le

coup des régionales. Ce n'est pas non plus avec

des élections européennes que l'on change de

majorité.» Et donc de Premier ministre. A

l'Elysée, son influence reste intacte. Il suffit

que Juppé fustige l'idée de François Bayrou de

créer son propre groupe au sein du futur

Parlement européen pour que Jacques Chirac

relaie cette thématique en Conseil des ministres

et appelle au regroupement des eurodéputés.

Alain Juppé est «incorrigible», a répliqué hier

François Bayrou : «Je lui dis sans aucune

agressivité, il y a des millions de Français qui

n'ont pas envie d'être sous son autorité, ni en

France ni en Europe.»

Tous ceux qui ont eu le tort de manifester de la

convoitise pour lui succéder à la présidence de

l'UMP ­ Raffarin inclus ­ se sont vu sèchement

répliquer par Juppé lors d'une conférence de

presse : «Ma succession sera ouverte le jour où

je l'annoncerai.» Très mystérieux sur son avenir

personnel, il ne dit rien à ses proches, qui

n'osent pas évoquer le sujet avec lui. «On lui

trouvera une occupation à la hauteur de son

personnage», affirme une de ses collaboratrices.

Fantaisistes, les rumeurs qui agitent la droite

le donnent conseiller à l'Elysée, ambassadeur à

Washington et... futur secrétaire général de

l'ONU. «Et pourquoi pas pape ou Dieu, s'amuse un

cadre de l'UMP. Il faudra surtout qu'il se

trouve un job compatible avec une condamnation

judiciaire.»

«Has been». En meeting à Strasbourg, jeudi aux

côtés de Helmut Kohl, Alain Juppé a pu mesurer à

quel point les élus apprécient, à travers leurs

hommages appuyés, les antiquités ou les has been

de la politique, qui ne présentent plus aucun

danger pour eux. «Avec mon ami Alain, nous avons

connu dans nos vies des sommets et des vallées»,

a lancé l'ex-chancelier allemand. Dans son

discours, Juppé, lui, est resté dans l'action et

a brossé le tableau de toutes les réformes et

gros dossiers qui attendent le gouvernement :

«Nous en reparlerons dans les mois et les

semaines à venir.» Sans doute, mais sans lui.