« Donner des leçons »

Leçon d'Europe à Marseille

Par Paul QUINIO

mercredi 26 mai 2004 (Liberation - 06:00)

Juré, craché. Désormais, les socialistes vont

parler d'Europe, rien que d'Europe. François

Rebsamen, le directeur de campagne du PS,

l'avait promis dès lundi : «L'UMP parle de

vote-sanction, nous, on n'en parle pas.»

Illustration hier soir, à Marseille, où Michel

Rocard, tenait son premier grand meeting, avec

François Hollande: le patron du PS a d'abord

insisté sur «l'enjeu politique français». Puis

il a dénoncé «l'incohérence au sommet de

l'Etat», estimant être «face à un pouvoir qui ne

veut pas reconnaître qu'il a échoué». «Fier

d'avoir redressé la gauche», Hollande a prévenu

que «tout se jouera le 13 juin pour ne pas

laisser les mains libres» à la droite jusqu'en

2007. Le président PS de la région Paca, Michel

Vauzelle, a insisté sur «l'élan» du 28 mars «à

confirmer le 13 juin. Les électeurs ont dit non

à la politique de Raffarin, de Jacques Chirac et

du Medef. Il faut leur redire non encore plus

fort !» «La droite est sourde. On est obligé de

répéter le message», a martelé Marie-Arlette

Carlotti, quatrième sur la liste Rocard.

Et puis l'ancien Premier ministre s'est installé

devant le micro. Pour parler de l'Europe, «le

contraire du libéralisme», cette «Europe

instrument de justice et de réponse aux

désordres du monde». Pour convaincre son

auditoire, Rocard est parti de la naissance du

capitalisme, «système génial mais abominablement

cruel», il est passé par Ford, les trois

petits-fils de Charlemagne, Charles Quint et

Milton Friedman. Il a fait du Rocard. Et n'a pas

eu un mot pour Raffarin.

Le «prof» Jospin n'est plus à court d'Europe

A Quimper hier, il a tenté de faire la

démonstration de son intérêt pour la

construction de l'Union.

Par Paul QUINIO

mercredi 02 juin 2004 (Liberation - 06:00)

Quimper envoyé spécial

«Prof» est de retour. D'aucuns s'interrogeaient

sur les raisons de la présence, hier, de Lionel

Jospin à Quimper, pour sa troisième intervention

dans la campagne européenne. A Paris, le 11 mai,

aux côtés de la tête de liste socialiste en

Ile-de-France, Harlem Désir, l'ex-Premier

ministre était dans sa section. A Toulouse

vendredi, avec Kader Arif, il était dans son

ancien fief, la Haute-Garonne. Rien de tel en

Bretagne, même s'il entretient des liens

d'amitié avec Bernard Poignant, le chef de file

du PS dans la région Ouest.

L'ex-candidat à l'Elysée avait choisi la

Bretagne pour délivrer une leçon d'Europe. Une

demi-heure de béton armé à la Jospin, sans rien

qui dépasse. A peine s'est-il permis une

allusion aux interrogations sur ses intentions

de retour : «J'accomplis des gestes simples qui

ne devraient provoquer ni glose, ni spéculation.

Soutenir des amis parce qu'ils me l'ont demandé

(...) est naturel et peut-être utile.» A peine

a-t-il eu un mot désagréable pour la droite : il

y a eu «une part de rejet de la politique du

gouvernement» dans le résultat des élections

cantonales et régionales, s'est-il contenté de

dire sans citer les noms de Chirac ou de

Raffarin. «Il aurait pu en faire un peu plus»,

s'est étonné un des 400 militants à la sortie de

la salle du Chapeau rouge.

Prudence. Mais hier, Lionel Jospin n'était pas

là pour ça mais pour dire : «Je suis Français,

je me sens européen.» Il l'avait déjà dit quand

il était à Matignon, mais sans vraiment

convaincre qu'il s'était débarrassé de sa

prudence sur un sujet largement porté par la

gauche et ses leaders, comme l'a rappelé hier

Bernard Poignant. Histoire de bien assurer qu'il

avait, lui aussi, «la fibre», Jospin a mis en

garde «ceux qui boudent l'Europe. Il faut leur

rappeler ce qu'elle était avant l'Union

européenne : des guerres, des dictatures, des

nationalismes, de l'antisémitisme». Il a aussi

avancé qu'«il faudra sans doute élire un jour le

président de la Commission au suffrage

universel». Il a surtout tenté d'apporter ses

solutions à la période «moins euphorique» que

traverse la construction européenne.

Cette esquisse en cinq points d'un «projet» pour

relancer cette construction, Lionel Jospin l'a

entamé par une évocation de la paix et une mise

en garde. Si la diplomatie française a eu raison

«de ne pas engager le pays dans la guerre en

Irak», la France «n'a pas intérêt à une

confrontation directe avec les Américains. (...)

Gardons à ce grand peuple notre gratitude»,

a-t-il souligné à quelques jours des festivités

commémorant le 60e anniversaire du Débarquement.

Deuxième point de la démonstration jospinienne :

la croissance. «Elle s'est affaiblie en France

plus encore que dans les autres pays. (...) Il

n'y a aucune raison d'accepter que l'Europe soit

une zone de croissance plus faible qu'ailleurs.»

Et l'ancien Premier ministre de juger

«indispensable» la constitution «d'un

gouvernement économique au sein de l'Union pour

mieux coordonner les politiques» et favoriser

«le dialogue entre la Banque centrale européenne

et les gouvernements». Troisième point : «la

justice sociale». Pourquoi l'Europe serait

nécessairement synonyme de remise en cause «des

acquis sociaux», s'est-il interrogé. «C'est à

nous de démontrer que c'est possible et cohérent

de vouloir appuyer l'efficacité économique et la

justice sociale.» Formulation jospinienne pure

beurre.

Larme. Le «prof» a terminé son intervention par

quelques tirades sur la diversité culturelle et

«l'originalité de l'Europe, peut-être cette

première puissance qui ne soit pas une puissance

dominante». Du béton armé donc qui n'a sans

doute pas fait chavirer cette Quimpéroise, la

larme à l'oeil en le voyant arriver. Cette larme

qu'ont parfois les bons élèves quand ils

retrouvent leurs anciens professeurs.