« Rappeler une tradition »

Européennes

A Carmaux, Krivine creuse son filon au pays de

Jaurès

Devant 66 personnes, la tête de liste LO-LCR

dans le Sud-Ouest puise dans la tradition

politique ouvrière.

Par Gilbert LAVAL

samedi 12 juin 2004 (Liberation - 06:00)

Carmaux (Tarn) envoyé spécial

«C'était pas évident... Cette élection

européenne, excusez-moi, mais tout le monde s'en

fout.» La tête de liste LO-LCR dans le Sud-Ouest

remercie tout de suite son auditoire d'avoir

fait le déplacement. Depuis qu'il est en

campagne, Alain Krivine n'a eu pour public

qu'une centaine de personnes à Tarbes ou une

quarantaine à Auch. La toute petite cité minière

de Carmaux lui en dépêche 66 ce soir-là,

essaimées sur les chaises de la salle Bérégovoy.

«Logique, se satisfait-il en aparté. Il n'y a

plus de mineurs dans la ville de Jean Jaurès,

mais des comportements sont restés.» Le

porte-parole de la Ligue communiste

révolutionnaire (LCR) engloutit le radis au foie

salé du restaurant de la Mouette et se régale du

vin de Gaillac avant de monter sur scène. Le

leader carmausin de la LCR, Gilles Jeanjean,

fait ses comptes sur un coin de nappe : «C'est

ce bassin qui nous a donné les meilleurs scores

dans le département aux régionales : 9 % à

Carmaux, 10 % à Saint-Benoît et 11 % à

Blaye-les-Mines.» Les deux trinquent d'un coup

d'oeil à la bonne nouvelle : les trotskistes

peuvent se voir en animateurs modernes de la

tradition politique ouvrière.

Vote utile. Le député européen sortant Alain

Krivine n'exploitera pas le filon symbolique

carmausin. Il préfère se contenter des faits que

cet ancien bastion des luttes ouvrières lui

propose : celui qui a été à côté de lui à table

est un ancien mineur; son voisin de tribune au

meeting en est un autre. Autant de personnes

auxquelles il peut parler de lutte de classe

sans avoir l'air de prononcer des gros mots.

La gauche socialiste aujourd'hui ? «C'est elle

qui a mis en place l'Europe libérale quand elle

dirigeait 11 gouvernements européens sur 15.» Et

le PCF ? «Le ministre Gayssot n'a pas

démissionné du gouvernement Jospin quand ce

dernier a avalisé à Barcelone l'ouverture au

privé du capital d'EDF après celui de France

Télécom.» Le vote utile aux travailleurs,

conclut-il, «c'est nous».

Après les derniers puits, c'est la mine à ciel

ouvert qui a fermé ici en 1997. Les unes après

les autres, les entreprises autour ont disparu

en même temps que le charbon. Plus d'usines,

plus de sorties d'usine...

C'est aux étudiants de l'antenne universitaire

ou aux salariés de l'hôpital du Bon Sauveur à

Albi, que les militants sont allés annoncer la

venue d'Alain Krivine. Tandis qu'à Carmaux, une

distribution de tracts sur le marché du vendredi

a appelé au meeting. «Une réunion politique dans

une petite ville est toujours un événement»,

commente la tête d'affiche.

Décontraction. Alain Krivine fait son numéro

debout, en toute décontraction et sans notes. Il

parle de ce «rêve révolutionnaire qui aide à

lutter contre le monde libéral». «Je suis

heureux de rêver, reprend-il, alors que les

sociaux-démocrates devenus des sociaux libéraux

me reprochent mon manque de réalisme.» Le

porte-parole de la LCR sourit en retournant

s'asseoir. Dans une campagne électorale dont

«tout le monde se fout», un «événement» à 66

spectateurs suffit à son bonheur.