« Faire du chantage »

Constitution européenne : Londres fait du

chantage

Les Britanniques demandent plus de concessions

sur le projet de VGE.

Par Jean QUATREMER

mercredi 19 mai 2004 (Liberation - 06:00)

Bruxelles (UE) de notre correspondant

ack Straw, secrétaire au Foreign Office, s'est

agacé des critiques de ses partenaires européens

: «Je suis très déçu de subir sans cesse les

piqûres de moustiques contre la position

britannique.» Joschka Fischer, le chef de la

diplomatie allemande, a immédiatement rétorqué :

«Oui, mais ce sont des moustiques proeuropéens.»

Le Français Michel Barnier a enfoncé le clou :

«Je vous rappelle qu'il existe aussi des mouches

tsé-tsé qui essaient d'endormir tout le monde,

et moi je ne veux pas que l'Europe s'endorme.»

Le moins que l'on puisse dire est que l'ambiance

n'était pas au beau fixe, hier, au sein de la

Conférence intergouvernementale (CIG) chargée de

trouver un compromis sur le projet de

Constitution européenne (Libération du 17 mai).

Mauvaise tournure. Réunie depuis lundi pour la

première fois depuis le fiasco du Conseil

européen de Bruxelles, en décembre 2003, la CIG

a rapidement pris une mauvaise tournure. Le

Polonais Wlodzimierz Cimoszewicz, dont le pays a

posé un veto avec l'Espagne au projet de

Constitution, a, dès son arrivée à Bruxelles,

claironné qu'il ne parierait «pas un zloty sur

les chances de succès du sommet de juin», au

cours duquel ce texte est censé être enfin

adopté. Jack Straw n'a pas non plus écarté la

possibilité que les négociations se poursuivent

au-delà de cette date butoir : «Une telle

éventualité existe toujours. Je ne ferai pas de

promesses. Il faut espérer...» De fait,

l'Espagne et la Pologne ont maintenu leur

opposition à ce que le Conseil des ministres

puisse adopter une décision si 50 % des Etats

représentant 60 % de la population européenne

votent pour, comme le prévoit le texte élaboré

sous la houlette de Valéry Giscard d'Estaing.

Référendum. Surtout, la Grande-Bretagne a donné

de la voix pour la première fois depuis

longtemps : elle s'était tenue en retrait après

avoir obtenu satisfaction sur ses red lines

infranchissables (maintien de l'unanimité,

notamment en matière fiscale, sociale ou encore

en politique étrangère). Mais Tony Blair ayant

décidé de convoquer un référendum pour ratifier

la future Constitution européenne, Londres veut

pousser son avantage en demandant plus de

concessions à ses partenaires, en arguant des

risques d'un «non»... Jack Straw veut donc

remettre en question le caractère obligatoire de

la Charte des droits fondamentaux, les

possibilités de créer plus facilement des

«coopérations renforcées» ou encore les percées

du vote à la majorité qualifiée dans les

domaines de la coopération judiciaire. Ses

partenaires ont eu le sentiment qu'il entendait

détricoter le projet de Constitution. Fischer

n'a pas hésité à accuser Straw d'utiliser la

«tactique du salami», qui consiste à découper en

tranches un texte pour le réduire à néant.

Réponse immédiate de l'intéressé : «Les

Allemands sont beaucoup plus habitués au salami

que le ministre britannique des Affaires

étrangères. Personnellement, je préfère autre

chose pour mon petit déjeuner.»

On comprend que le ministre finlandais Errki

Tuomioja ait confié hier qu'il était «plus

pessimiste qu'il y a deux semaines. Désormais,

c'est du 50-50».