« Sanctionner les gouvernements »

Européennes

Election, la menace du vote-sanction

A la différence de 1999, le scrutin européen

pourrait s'affirmer comme un défouloir contre

les chefs de gouvernement en place.

Par Nathalie DUBOIS et Marc SEMO

mercredi 02 juin 2004 (Liberation - 06:00)

es élections européennes sont le plus souvent

l'occasion d'un vote défouloir. Dominé par des

enjeux d'abord nationaux, le scrutin organisé du

10 au 13 juin prochain dans les vingt-cinq pays

de l'UE a toutes les chances de ne pas faire

exception à cette règle. L'«offre» politique

énorme, notamment en France avec 41 partis et

mouvements en lice sur 168 listes, entraînera

probablement une dispersion de ce vote

protestataire de droite (voir page 6) ou

d'extrême gauche. Le ras-le-bol se traduira

aussi par une abstention, qui, à dix jours du

scrutin, s'annonce presque partout très élevée.

«Il n'y a pas seulement une abstention

d'indifférence mais aussi une abstention

protestataire. Dans plusieurs pays dont la

France, elle s'annonce même comme le principal

geste protestataire de ce scrutin», souligne

Pascal Perrineau, directeur du Centre d'étude de

la vie politique française (Cevipof). Dans

l'Hexagone, le nombre des votants risque de

rester sous la barre des 50 %. En

Grande-Bretagne, les derniers sondages estiment

qu'à peine 25 % des électeurs se rendront aux

urnes. En moyenne, guère plus d'un Européen sur

deux compte effectuer son devoir civique, et les

nouveaux entrants ne sont d'ailleurs pas plus

motivés.

Le débat européen est absent et partout la

mobilisation des électeurs se fera d'abord sur

des enjeux internes, ce qui peut avoir aussi

pour effet d'entraîner un choix de vote «utile».

Ainsi, en Italie, où les deux grandes formations

de la gauche (Démocrates de gauche et

Marguerite) sont parvenues à s'entendre pour

affronter ensemble les différentes composantes

de la majorité de centre droit de Silvio

Berlusconi, qui courent chacune de son côté. «Ce

sera une sorte de référendum pour ou contre

Berlusconi, notamment parce que celui-ci a

décidé de se présenter comme tête de liste de

Forza Italia dans toutes les régions. Dans ce

contexte, il n'y a pas d'espace pour le vote

protestataire», explique le politologue Giovanni

Sartori. En Allemagne, le gouvernement de

coalition «rouge-vert» attend aussi les

résultats des européennes avec une certaine

inquiétude. Le SPD pourrait chuter à 25 %, soit

13 points de moins que son score aux élections

législatives de septembre 2002. «Les électeurs

savent très bien qu'ils ne votent pas pour un

gouvernement européen, ils profitent donc de ces

élections de "second ordre" pour manifester leur

mécontentement vis-à-vis de la politique de

réforme du chancelier Schröder», explique

Bernhard Wessels, chercheur en sciences

politiques de Berlin.

Au Royaume-Uni, c'est la question irakienne qui

est au coeur de la campagne, et le New Labour

craint que nombre d'électeurs ne profitent de ce

vote pour sanctionner Tony Blair, déjà usé par

sept ans de pouvoir. Ce ras-le-bol risque en

particulier de s'exprimer par un vote en faveur

d'une formation protestataire, violemment

antieuropéenne, comme le Parti pour

l'indépendance du Royaume-Uni (UKIP), crédité de

10 à 18 % des intentions de vote selon les

sondages (lire ci-contre).

A contrario, cette virulence antieuropéenne ne

fait plus vraiment recette ailleurs, sinon chez

certains des nouveaux pays membres, comme la

Pologne, où des formations populistes ont le

vent en poupe et dénoncent les méfaits d'un

pouvoir supranational. «La facilité avec

laquelle les gens se sont approprié la monnaie

unique montre bien que l'Europe s'impose de plus

en plus comme une évidence auprès des citoyens.

Tandis que les partis eurosceptiques incarnent,

eux, un combat d'arrière-garde», souligne

l'anthropologue Marc Abélès, directeur de

recherches au CNRS. Le Front national ne parle

plus de sortir de l'UE. En Autriche, l'extrême

droite nationaliste du FP÷, laminée par sa

participation au pouvoir aux côtés des

conservateurs, tombera selon les sondages de 23

% à moins de 10 %. Nombre de ses électeurs se

porteront sur le mouvement de Hans-Peter Martin,

ancien député social-démocrate aux accents

populistes qui dénonce les gabegies

bruxelloises. Même dans les pays scandinaves

traditionnellement très méfiants à l'égard de

l'intégration européenne, les mouvements anti-UE

semblent aujourd'hui battre de l'aile.

Un retournement particulièrement évident au

Danemark, où le Mouvement de Juin, parti

eurosceptique créé en 1992 au lendemain du non à

Maastricht, et le Mouvement populaire contre

l'UE, qui ensemble avaient obtenu 23,4 % des

voix en 1999, ne devraient guère engranger plus

de 6 %. Les Danois ont désormais changé

d'attitude face à l'UE et une majorité d'entre

eux voterait aujourd'hui en faveur de l'euro et

de la défense européenne.