Chapitre 1 : Introduction Générale

1.1 Economie de la prévention

1.1.1 Différents comportements de prévention

La santé est un sujet important aussi bien en sciences économiques qu’en santé publique. Pour l’Organisation Mondiale de la Santé, la santé est la conjonction d’un état de bien-être physique, mental et social. Pour l’économiste, la notion de bien-être renvoie au concept de fonction d’utilité. L’analyse économique conduit donc à considérer que l’état de santé d’un individu est un des arguments de sa fonction d’utilité. Or l’état de santé dépend à la fois des caractéristiques de l’individu et de son environnement. Ces deux facteurs entraînent des maladies. Le risque de santé pousse l’individu à recourir à la médecine préventive.

La prévention fait partie intégrante aussi bien des sciences économiques que des sciences sociales. Son champ recouvre deux aspects principaux, celui de devancer et celui d’avertir. C’est un ensemble d’actions visant à améliorer la santé publique et la qualité de la vie. L’Organisation Mondiale de la Santé distingue trois grands types de prévention contre les risques de santé. La première, la prévention primaire a pour objectif de sensibiliser l’individu aux risques de certains comportements avant qu’ils n’existent afin de réduire le risque d’apparition de la maladie. L’illustration parfaite de cette approche est la vaccination qui protège efficacement chaque individu au sein d’une population. Cette prévention concerne également les modifications comportementales des personnes telles que la consommation d’alcool et le tabagisme. Elle vise également à développer une culture du bien-être, et ce, en pratiquant le sport et en gérant plus le stress. La seconde, la prévention secondaire, a pour but de limiter la gravité d’une maladie et sa durée d’évolution en la diagnostiquant le plus tôt possible, comme par exemple, le dépistage du cancer du sein et du cancer de la prostate. Enfin la prévention tertiaire concerne les activités de prévention qui évitent la rechute.

L’analyse économique de la prévention s’est essentiellement intéressée à l’étude des comportements de prévention de la part des individus et la relation entre la prévention et l’assurance. D’après nos connaissances, les premiers auteurs qui ont introduit la notion de prévention dans le modèle d’espérance d’utilité sont Ehrlich et Becker (1972). Leur apport principal est d’associer la prévention primaire à des comportements d’auto-protection et la prévention secondaire à des comportements d’auto-assurance. Ils montrent que l’auto-assurance est toujours un substitut de l’assurance de marché. En effet, ces deux instruments sont de même nature puisqu’ils impliquent un transfert de richesse entre les différents états du monde. Au contraire, Ehrlich et Becker montrent que dans certains cas l’assurance et l’autoprotection peuvent être complémentaires. Cette complémentarité signifie que les actions d’auto-protection croissent avec le niveau de couverture des assurés.

Néanmoins, il est important de rappeler quatre limites du modèle de Ehrlich et Becker (1972). Tout d’abord, le médecin se comporte comme un agent parfait envers le patient. La deuxième limite est que le modèle d’Ehrlich et Becker (1972) est uni-dimentionnel. La troisième limite est que le modèle d’Ehrlich et Becker (1972) est mono-périodique. En fait toutes les décisions sont effectuées au début de la période. La dernière limite de ce modèle est que l’effort de l’assuré est observable par l’assureur.

Le fait que l’objectif du décideur soit représenté par une fonction d’utilité uni-dimentionnelle dans l’analyse de Ehrlich et Becker (1972) implique certaines limites à la transposition de leurs résultats à des prises de décision médicale. En réponse à cette limite, Eeckhoudt, Godfroid et Marchand (1998) ont repris la démarche de l’analyse de Ehrlich et Becker (1972) mais en utilisant une fonction d’utilité bi-dimensionnelle qui dépend à la fois de la richesse et de la santé. Ces auteurs ont changé également la structure temporelle du modèle de Ehrlich et Becker (1972), et ce, en introduisant la possibilité du recours aux soins curatifs une fois que l’individu tombe malade. Ils montrent que les soins préventifs secondaires et les soins curatifs sont des substituts. Au contraire, la relation entre la médecine curative et la prévention primaire est un peu plus délicate à interpréter : si on consomme moins de soins que dans la situation optimale, on compensera cet effet par une sur-prévention, c’est le cas de substitution. Par ailleurs, si on consomme plus de soins que nécessaire, on fera aussi plus de prévention que nécessaire. En revanche, quel que soit le niveau de prévention choisi, le niveau optimal de soins reste le même. Ce résultat reflète le fait que l’état de santé et les soins qui permettent de l’ajuster au niveau désiré sont les variables centrales qui intéressent l’agent : on utilise la prévention primaire si on n’obtient pas l’optimum de soins, mais on ne la valorise pas en tant que telle. Le fait que la prévention secondaire a un impact plus direct sur l’état de santé, elle constitue alors un substitut plus proche à la médecine curative. Ces résultats sont étendus au cadre de la théorie duale du risque par Courbage (2000). L’objectif de ce dernier était d’étudier le modèle développé par Eeckhoudt, Godfroid et Marchand (1998) conduit dans le cadre du modèle d’Espérance d’utilité qui est fondé sur une certaine axiomatique. Il trouve les mêmes résultats obtenus par Eeckhoudt, Godfroid et Marchand (1998) sauf concernent l’effet revenu. Une contribution récente des mêmes Eeckhoudt, Marchand et Godfroid (2002) a traité aussi la relation entre les soins curatifs et préventifs, mais en introduisant cette fois le choix du régulateur pour le remboursement de ces deux activités médicales ainsi que les choix individuels des patients, ils ont conclu que les soins préventifs et curatifs sont des biens complémentaires.

Par ailleurs, une large littérature s’est intéressée à l’analyse du coût-bénéfice des activités de prévention en utilisant le concept de l’aversion pour le risque, telle que les travaux de Dionne et Eeckhoudt (1985) qui montrent que l’augmentation de l’aversion pour le risque exerce des effets ambigus sur le niveau optimal d’effort de prévention. Chiu (1998) étudie également la relation entre la prévention et l’aversion pour le risque. Il montre, en utilisant le concept de disponibilité à s’autoprotéger, que si la probabilité initiale de perte est suffisamment faible, l’accroissement de l’aversion pour le risque incite à s’auto-proteger. L’interprétation du résultat de Chiu (1998) est que l’augmentation dans le niveau d’auto-protection réduit le risque sur la richesse finale si l’effet diminution du risque à moyenne constante l’emporte sur l’effet accroissement de risque à moyenne constante. Ainsi, le fait que l’effort d’auto-protection réduit le risque de la richesse finale implique que tout individu adversaire du risque préfère investir une somme plus importante dans cette activité préventive. Jullien, Salanié et Salinié (1999) utilisent une définition assez particulière de la prévention pour examiner la relation entre l’aversion pour le risque et la prévention. Ils considèrent que les efforts de prévention permettent à la fois de diminuer la probabilité d’occurrence de la maladie et le niveau de la perte. Ils montrent que si la perte est une fonction décroissante du niveau de prévention alors l’accroissement de l’aversion pour le risque affecte à la hausse l’effort de prévention. Une autre littérature est basée sur le concept de la prudence pour étudier des activités préventifs, telle que le papier d’Eeckhoudt et Gollier (2001). Ces derniers montrent que si la probabilité d’occurrence de la perte est égale à ½ alors l’introduction de l’aversion pour le risque, en absence de la prudence, n’a aucun effet sur la prévention primaire et que la prudence décourage la prévention. Par contre, si p > ½ (resp. p < ½) alors l’aversion pour le risque et la prudence (resp. imprudence) découragent (encouragent) la prévention. Ainsi, l’impact de la prudence sur la prévention dépend de la distribution de probabilité d’occurrence de la perte. En réponse à cette limite, Courbage et Rey (2006) ont étudié l’impact de la prudence sur la prévention primaire, et ce, en introduisant la notion du coût psychologique de la maladie dans une fonction d’utilité bi variée.

Ils montrent, sans aucune restriction sur la distribution de probabilité d’occurrence de la maladie,que la prudence pour le risque de santé est le déterminant principal de la prévention primaire optimale.