Partie I : Demande de soins curatifs, l’auto-protection et l’auto-assurance

Chapitre 2 : Demande de soins préventifs et curatifs

2.1 Introduction

La relation entre les différentes activités médicales et la gestion du comportement des patients joue un rôle essentiel dans les choix en matière de santé et de politique publique.

Pour un individu confronté à un risque de maladie, les instruments pour s’en protéger sont doubles. Soit il s’assure contre les conséquences financières de ce risque, en payant une prime auprès d’une compagnie d’assurance maladie, ce qui lui permet d’obtenir une indemnisation en cas de maladie. Soit il adopte un comportement plus actif, en effectuant des actions de prévention. Dans un article très répandu en finance, Ehrlich et Becker (1972) ont étudié l’articulation entre ces deux instruments.

Comme pour les risques financiers, la médecine distingue essentiellement deux grands types de soins préventifs. Les soins préventifs primaires - ou auto-protection - ont pour objectif de réduire la probabilité d’occurrence de la maladie et les soins préventifs secondaires - ou auto-assurance - ont pour but de réduire la gravité ou l’étendue de la maladie.

Une large littérature s’est intéressée aux déterminants de la demande de soins curatifs telle que les travaux de Dardanoni et Wagstaff (1989) qui ont étudié l’effet de l’incertitude sur le recours aux soins curatifs. Une autre littérature, en économie du risque et de l’assurance, traite les choix de prévention ou d’autoprotection, mais peu de travaux examinent le lien entre les deux activités médicales, malgré le fait que l’interaction entre ces deux types de soins est d’importance dans le cadre de l’élaboration d’une politique publique optimale de remboursement de soins. A priori, la prévention devrait réduire les dépenses curatives (en espérance) puisque la probabilité d’occurrence de celle-ci sera moindre. Cependant, ce raisonnement fait abstraction de l’ajustement des comportements de demande de soins curatifs des individus qui tombent malades. Une amélioration des soins préventifs peut en effet conduire à un accroissement ou à une diminution de la demande de soins curatifs selon que ces soins sont substituables ou complémentaires. A notre connaissance, seuls Eeckhoudt, Godfroid et Marchand (1998) ont fait le lien entre ces deux littératures. Ces auteurs se sont intéressés aux propriétés des soins curatifs en relation avec les soins préventifs, en utilisant une fonction d’utilité additive. La grande limite de ce modèle est l’imposition de restrictions sur les préférences des agents, notamment en fixant le signe de la dérivée de l’utilité croisée. En utilisant une fonction d’utilité bivariée, Flochel et Rey (2002) mettent en évidence le rôle crucial joué par la dérivée seconde de l’utilité croisée entre richesse et santé. Cependant, ces derniers focalisent leur analyse sur les choix d’assurance. L’objectif de ce chapitre est de tester la robustesse des résultats d’Eeckhoudt, Godfroid et Marchand (1998), et ce, en utilisant une fonction d’utilité bivariée.

Nous cherchons, en premier lieu, à déterminer la relation entre les soins curatifs et préventifs. En introduisant la possibilité du recours aux soins curatifs, une fois que l’individu tombe malade, au modèle de Ehrlich et Becker (1972), Eeckhoudt, Godfroid et Marchand (1998) montrent que les soins préventifs secondaires et les soins curatifs sont des substituts alors que la relation entre les soins préventifs primaires et les soins curatifs est ambiguë. Dans ce chapitre, on s’interroge sur cette dernière relation dans un cadre où le type de risque de santé, sévère ou non, est explicité. En second lieu, nous présentons les déterminants de la demande de prévention et du problème d’aléa moral ex post. Enfin, nous examinons la pertinence de l’augmentation des tickets modérateurs qui représente une pratique largement utilisée par les responsables des systèmes publics d’assurance maladie.

Ce chapitre est organisé comme suit. Le modèle est présenté dans la section 2.2. Les déterminants du comportement optimal de l’individu à recourir aux soins curatifs ainsi que l’impact d’un choc exogène sur la demande de soins préventifs primaire sont présentés dans la section 2.3. Dans la section 2.4, nous examinons les propriétés de la demande de prévention secondaire. Nous examinons, dans la section 2.5, Les résultats de la statique comparative. Dans la section 2.6, nous étudions le subventionnement optimal des soins, avant de conclure le chapitre.