b. la prise de contact avec les élèves : déjouer et faire avec le filtre de l’institution scolaire

Les premières modalités de prise de contact avec les élèves ont sans doute contribué à ce que ce soit en priorité des lycéens entretenant un rapport heureux à la lecture, et à la lecture scolaire en particulier, et ceux souhaitant faire bonne figure devant leur enseignant de français qui participent à l’enquête (même si ces motifs peuvent s’associer à d’autres : l’opportunité saisie de donner son avis, même négatif, sur l’enseignement, etc.). En effet, la présentation de celle-ci s’est effectuée au sein des cours de français avec, parfois, l’appui des enseignants. Madame B, monsieur C, madame D, madame E ont fortement invité leurs élèves à y prendre part.

Outre l’insistance, lors de la présentation, sur l’intérêt à rencontrer des individus « n’aimant pas lire », « lisant peu », ou « n’appréciant pas les lectures scolaires », ainsi que sur la réalisation des entretiens, anonymes, en dehors des temps scolaires, sur le libre choix du lieu de l’entretien (au domicile des élèves ou au sein de l’établissement), différentes stratégies ont été mises en place pour contrer autant que faire se peut les effets de « l’entrée par le scolaire » sur la constitution de la population 199 .

La distribution d’un questionnaire à l’ensemble des élèves en fin de présentation visait à repérer les élèves pour constituer une population diversifiée. Si elle a permis de collecter des informations sur les enquêtés (caractéristiques sociales, scolaires et lectorales) facilitant la préparation des entretiens, cette méthode n’a en revanche pas atteint son but quant à la constitution raisonnée de la population : n’ont rendu ce questionnaire quasiment que les enquêtés acceptant de participer à l’enquête et d’être rappelés pour fixer un rendez-vous.

Le recours à des intermédiaires ou des intercesseurs a permis parfois de rééquilibrer les différentes catégories d’enquêtés. Le déséquilibre garçons/filles au détriment des premiers lors de l’enquête menée en 1997 a ainsi pu être relativement corrigé. En effet, une enquêtée avec laquelle j’avais réalisé un entretien lors de l’année de maîtrise, Tasmina, m’a aidée à persuader Emmanuel, Stéphane, Kamel qu’elle connaissait « du quartier » (le deux premiers étant comme elle élèves de madame B, le troisième étant élève de madame A). C’est avec l’assurance que l’entretien ne se réaliserait pas à leur domicile mais au sein de l’établissement scolaire qu’ils ont accepté de participer à l’enquête. Monsieur C a accepté de ne solliciter que les garçons (5) bien que gêné de savoir qu’il allait, ce faisant, « décevoir » « les filles » de sa classe. La discussion individuelle de l’enseignant et de moi-même avec chacun des garçons durant une pause transformait le volontariat en quasi-obligation scolaire : j’ai effectivement pu réaliser un entretien avec chacun d’eux.

Bon nombre des entretiens menés avec les élèves du lycée 2 ont été rendus possibles par une présence importante au sein de l’établissement, une disponibilité et une relative improvisation de ma part : entretiens faits à l’occasion d’une rencontre dans la cour ou dans le hall pendant des heures creuses de l’emploi du temps scolaire ont pallié les rendez-vous fixés, souvent manqués 200 , réalisation des entretiens en deux fois lorsque l’heure accordée sur le vif était insuffisante, etc.

Finalement, le nombre d’enquêtés par classe n’est pas équivalent.

Des trois caractéristiques sociales retenues, seul le sexe, plus simple à contrôler sans interroger les individus, distingue en parts égales la population. En revanche, le choix des établissements n’a pas empêché un déséquilibre dans la population au regard du profil scolaire et de l’origine sociale des lecteurs, respectivement appréhendés par l’absence ou l’existence de redoublement 201 et la possession ou non du baccalauréat par au moins un des parents 202 . La part des enquêtés n’ayant connu aucun redoublement est plus importante que celle des enquêtés ayant redoublé au moins une fois au moment de l’entretien. La part des enquêtés dont au moins un des parents possède au minimum le baccalauréat est plus grande que celle des enquêtés dont les parents possèdent des diplômes inférieurs au baccalauréat.

On peut récapituler dans un tableau l’ensemble des informations concernant la population d’enquête (effectif par classe, distribution selon le sexe, le niveau de diplôme des parents et le profil scolaire) 203  :

Tableau 1 Caractérisation de la population enquêtée dans les différentes classes
Tableau 1 Caractérisation de la population enquêtée dans les différentes classes selon le sexe, le niveau de diplôme des parents et le profil scolaire
Notes
199.

D’autres recherches évoquent les avantages et inconvéniens des entrées sur le terrain par les institutions. Sur les avantages et inconvénients de réaliser une enquête sur les ruptures à partir des dispositifs relais, cf. D. Thin et M. Millet, Ruptures scolaires . L’école à l’épreuve de la question sociale, Paris, PUF, 2005, p. 12 et 306-310 : si l’entrée par les dispositifs relais facilite la prise de contact avec des collégiens qu’ils prennent en charge ou dont ils ont repéré l’absentéisme ou la déscolarisation, elle entraîne aussi une perception des enquêteurs par les enquêtés (enfants ou parents) comme des membres de l’institution scolaire ou des professionnels proches de celle-ci qui n’est pas susciter des difficultés pour la réalisation des entretiens (réticences des collégiens à parler et à évoquer des pratiques qu’ils savent illégitimes scolairement). M. Darmon étudie finement les effets d’une « entrée par le médical », pour rencontrer des filles sur lesquelles l’institution a établi le diagnostic d’anorexie, et les manières d’en « tirer parti », montrant par là l’indissociabilité des décisions méthodologiques et de la construction de l’objet, soulignant l’intérêt d’intégrer aux résultats et avancées de la recherche les conditions de production du matériau et la spécificité des matériaux produits, M. Darmon, Approche sociologique de l’anorexie : un travail de soi, Thèse pour l’obtention d’un doctorat de sociologie dirigée par F. de Singly, Paris, Université Paris V, Décembre 2001, « Chapitre 2. Entrer par l’hôpital : enjeux méthodologiques, p. 59-134.

200.

Différents éléments ont contribué, isolément ou de concert, à la difficile réalisation des entretiens : rapport au temps spontanéiste (D. Thin et M. Millet, Ruptures scolaires, p. 82-83), résistance à ce qui est pris comme une ingérence scolaire (D. Thin et M. Millet, Ruptures scolaires, p. 309 ou D. Thin, « Tant qu’on a la santé... ». Des familles populaires et de la santé de leurs enfants, Rapport d’étude, Bron, GRS Université Lumière Lyon 2, 1997, p. 6-11), désintérêt pour le sujet de l’étude, autres priorités parmi toutes les occupations et préoccupations, etc. Enfin, plus tardive dans l’année scolaire, la période de réalisation des entretiens était en outre peu propice à l’enquête au sein du lycée 2.

201.

On a cherché à approcher le profil scolaire des enquêtés, en français, en leur demandant quels étaient leurs résultats actuels et passés, en collectant un maximum de copies de français de seconde, parfois, en ayant accès aux relevés de notes professoraux.

202.

On a retenu ce niveau de diplôme dans la mesure où il a été repéré comme discriminant les pratiques de lecture : « il existe un effet spécifique du diplôme des parents, seulement si le père ou la mère avait fait des études supérieures au bac », F. Dumontier, F. de Singly et C. Thélot, « La Lecture moins attractive qu’il y a vingt ans », op. cit., p. 80.

203.

On a mis en annexe un tableau nominatif des élèves interrogés dans chaque classe.