2) La constitution sociale d’une prédisposition aux lectures individuelles : précocité de la familiarisation avec les imprimés

A partir des discours rétrospectifs des enquêtés ayant eu des lectures individuelles régulières durant l’enfance en dehors des obligations scolaires, on peut reconstruire la manière dont ils y ont été initiés ou dont ils ont constitué une telle prédisposition à cette pratique. Différentes expériences, conjuguées ou non, semblent avoir joué un rôle essentiel dans la constitution sociale de cette prédisposition : d’abord les histoires lues,entendues et écoutées durant l’enfance, ensuite la manipulation précoce d’imprimés que certains disent avoir feuilletés, regardés et sus par cœur avant de maîtriser le déchiffrage, enfin la constitution de la maîtrise de la lecture – et parfois même de la lecture individuelle – comme un enjeu important. Au cours de cette familiarisation, les actions familiales et scolaires sont, pour ces enquêtés, complémentaires.

Le premier trait qui caractérise leurs récits d’enfance est le fait d’avoir entendu et écouté des histoires lues dès leur plus jeune âge, avant de savoir lire 291 . A l’instar d’Emilie, Habiba, Esther, Stéphane ou Maxime, de nombreux enquêtés déclarent les plaisirs de ces activités et en soulignent la récurrence :

‘« Généralement le soir... avant de me coucher... [mes parents] me lisaient des petites histoires [...] J’aimais bien ! [...] On ouvrait le bouquin d’histoires » (Emilie ; père : contrôleur aérien, bac+2, ENAC ; mère : institutrice)’ ‘« Mon père i nous lisait des histoires... Et puis c’est tout ! (T’aimais bien quand i te les lisait ?) Ouais... ! Ouais, c’est sûr... » 292 (Habiba ; père : maçon, en invalidité depuis l’enfance d’Habiba, école primaire en Algérie ; mère : femme au foyer, école primaire en Algérie)’ ‘« (Quand t’étais petite on te racontait des histoires [...]) Ben... mon père me lisait des... on appelait ça les Monsieur et Madame... Alors je sais pas si tu vois ce que c’est... c’est des tout petits / (/ Les gros bonhommes, là ?) Ouais ! Ben voilà, i... c’étaient des personnages assez... Et quand j’étais toute petite, i me lisait ça et moi j’adorais ça [...] Mon père me lisait un Monsieur et Madame tous les soirs... [je ris un peu] Je le choisissais quoi, i me les lit, i m’en lisait un tous les soirs avant de me coucher » (Esther ; père : officier de police judiciaire, licence de philosophie ; mère : femme de ménage, enfance en Espagne, non scolarisée)’ ‘« [Mes parents] me lisaient des livres ouais, ouais ma mère mais... Avant de m’endormir ouais (C’était quoi ?) Je m’en rappelle d’une [...] c’est euh... un p’tit pingouin qui avait perdu son bateau [...] Je m’en rappelle que de celle-là, mais c’est... c’est parce que celle-là elle me la lisait tous les soirs presque » (Stéphane ; père : plombier zingueur, certificat d’études ; mère : secrétaire, école primaire en Italie, école ménagère en France)’ ‘« (Tu te souviens si euh... quand t’étais plus petit tes parents i te racontaient des histoires... ou des trucs comme ça ?)Ben oui... ! [petit silence] 'Fin ma mère plutôt, parce que mon père, non, pas trop [...] (Tu te souviens de ce que c’était ?) En fait c’était un livre avec plusieurs histoires pour euh... chaque jour, je crois... J’aimais bien les histoires [...] Sinon... elle lisait des livres aussi... [petit rire] pour petit enfant et des trucs comme ça... Nils Holgersson » (Marc ; père : médecin, docteur en médecine ; mère : femme au foyer, docteur en médecine)’ ‘« (Quand t’étais plus petit, est-ce que... tu te souviens si on te racontait des histoires, on t’en lisait, on te...) Bien sûr, ouais euh... bon ben les contes ! [...] Ma grand-mère quand elle me lisait des contes ouais je m’en rappelle, c’était... ouais même ma mère aussi. Mais mon père non [...] Le petit conte du Chaperon rouge, ou le petit conte de... je me souviens plus [...] Quand on est petit, on les aime bien ! » (Maxime ; père : visiteur médical, bac+4 ; mère : secrétaire, bac) ’

« Avant de me coucher », « chaque jour », « tous les soirs », « avant de s’endormir » sont autant d’expressions qui soulignent la récurrence de ces activités. Ces dernières semblent être essentielles dans la relation adultes-enfant pour ces enquêtés. Les exclamations du type « bien sûr ! » ou « ben oui ! » par lesquelles les enquêtés répondent à mes questions témoignent des statuts de nécessité, d’évidence de ces activités qui vont sans dire, propres aux expériences des socialisations primaires 293 .

Selon le niveau de diplôme et la disponibilité des parents, voire des grands-parents, selon la répartition sexuée des tâches éducatives, selon les modes de garde 294 et selon la place dans la fratrie des enquêtés, les adultes-lecteurs qu’ont connus les enquêtés varient (ou parfois s’ajoutent les uns aux autres) : la mère, le père, les grands-parents, les oncles et tantes, les frères et sœurs aînées ou bien les personnels d’une bibliothèque ou de l’école fréquentées peuvent jouer ce rôle. Ainsi Elodie, Esther, Clara, Maxime, Thierry, etc. se souviennent des histoires lues par leurs grands-parents lorsqu’ils dormaient ou passaient leurs vacances chez eux :

‘« Tous les mardis soirs j’étais... chez mes grands-parents parce que... je revenais tard. J’étais à la danse et je rentrais très tard, et je couchais chez eux parce qu’i z’habitaient pas loin de mon école [...] (Ouais, et donc eux i te racontaient des histoires) Ouais, ma grand-mère tous les soirs, tous les mardis soirs, ça je m’en souviens [...] Le Chat botté , c’étaient toujours les mêmes [petit rire], je la connaissais par cœur, mais je lui disais jamais. Ça me faisait toujours plaisir qu’elle me les relise [...] Elle avait pas beaucoup de stocks [petit rire des deux] Elle devait avoir quatre ou cinq livres » (Elodie ; père : responsable d’affaires, IUT d’automatisme, ingénieur ; mère : professeur de comptabilité en lycée, maîtrise et CAPES)’ ‘« (Tu te souviens, si quand t’étais petite, on te racontait des histoires ? 'Fin soit tes parents, soit tes grands-parents, soit... ?) Ouais ! Euh... ! Ouais ouais, ben... ben ma mamie qui est là [paternelle], je me rappelle tous les soirs... enfin quand on dormait chez elle, on adorait les petites histoires... c’est trop mignon quoi ! [petit rire] [...] J’avais un gros livre [...] y avait une histoire, et donc un petit conte... pour tous les jours ! Et donc... ben... avant le... on allait dîner et... elle nous disait, i faut pas oublier la journée, donc on avait un livre pour bien nous souvenir des journées » (Clara ; père : ingénieur en informatique, bac et école supérieure d’électricité au Maroc ; mère : pédicure, podologue en disponibilité, études non spécifiées)’ ‘« (Tu te souviens si quand t’étais plus petit... on te racontait des histoires... ?) Euh... pff’... ouais, je me souviens, ouais c’étaient des petits, ouais, avant de me coucher [...]  ç a pouvait être mes grands-parents, ça pouvait être mes parents [...] (Tu les voyais régulièrement [tes grands-parents] ? Ou tu les vois... ?) Euh... ouais, pendant les vacances... Ouais assez régulièrement pendant les vacances » (Thierry ; père : ingénieur EDF, diplôme d’ingénieur ; mère : femme au foyer, donne des cours de catéchisme, docteur en pharmacie)’ ‘« (Tu te souviens si quand t’étais petite [...] on te lisait des histoires, ou euh...) Ouais... ouais on me racontait des histoires quand j’étais petite [...] Mes parents, mes grands-parents... mes tantes, euh... tout le monde ! » (Belinda ; père : ingénieur en télécommunication par ordinateur, bac S, DUT, ENIC ; mère : enseignante dans une école de puéricultrice, BEP sanitaire et social, DE infirmière, DE puéricultrice, licence de management)’

Certains enquêtés, dont les parents ont suivi des scolarités courtes en France ou à l’étranger, peu familiers de l’écrit et/ou peu disponibles pour ce type d’activités, évoquent les histoires lues et racontées par leurs frères et sœurs aînés 295 . Samia s’est fait lire des Contes de Grimm par sa sœur aînée. Quémandées – et peut-être sous l’influence de l’institution scolaire –, ces lectures n’ont, dans les souvenirs de cette enquêtée, pas le charme des histoires inscrites dans une tradition orale, racontées et non lues par sa mère par « instinct » maternel :

‘« (Et tu te souviens quand t’étais p’tite... si... soit tes frères et sœurs, soit... ton père, soit ta mère te racontait des histoires ou...) Ouais j’aimais bien que ma mère elle me raconte des histoires(Ah ouais ?) Hum (C’était quoi qu’elle te racontait ?) De tout. Les histoires du Petit Poucet... Des fois elle me les lisait même pas, elle les imaginait [petit rire] (Ouais ?) Ouais, enfin, elle les imaginait pas. Elle nous a dit que c’étaient des histoires qui se perpétuaient(Hum) Elle racontait des trucs... [petit silence] Je crois que c’était la nostalgie du pays qui faisait ça ou je sais plus trop quoi, mais elle me racontait des histoires aussi du pays (Ouais ?) Et euh... elle était originaire d’Algérie ma mère (Hum) Donc elle me racontait des choses... Sinon c’étaient les grands contes, euh... Cendrillon... Le Petit Poucet... J’aimais bien les/ J’avais... ma sœur elle lisait un bouquin aussi – ça c’est ma mère qui me racontait tout ça [contes et histoires d’Algérie] (Ouais) – mais ma sœur elle me lisait... des histoires c’étaient... Les Contes ... de Grimm (Ouais) ç a elle me l’avait fait lire 296 . I me faisait peur ce livre... je sais pas pourquoi. Je sais pas, j’étais p’t-être marquée par l’image qu’y avait : c’était un espèce de lion... je sais plus ce que c’était mais ça me faisait peur. Mais j’aimais les histoires qu’i y avait dedans (Ouais) ça j’aimais bien... (Et elle te les lisait quand ? dans la journée ou... plutôt le soir /) / Quand je lui demandais parce que en général... c’était plus ma mère qui me lisait les... enfin qui me racontait, elle me lisait... (Ouais) Ma sœur c’était quand je lui demandais ‘‘Ben tiens lis-moi tel truc, lis-moi ça’’. Sinon... elle venait pas d’elle-même me dire ‘‘Ah ben ce soir on va’’ / (/ Ah ouais ?) Nan ! (Hum hum) Je crois qu’elle avait autre chose à faire [petit rire des deux ; petit silence] Tandis qu’avec maman c’était instinctif... (Ouais) Elle venait... elle savait que... avant de dormir j’avais besoin de... d’une petite histoire... Jusqu’à un certain âge parce qu’après... après j’appréciais plus trop ça » (Samia ; père : ouvrier dans le bâtiment à la retraite, scolarité primaire en Algérie ; mère : femme au foyer, scolarité primaire en Algérie)’

De ce point de vue Samia, comme Habiba, a été familiarisée tôt à des histoires pour les unes inscrites dans une culture écrite, pour les autres dans une culture orale – approchée, on le verra, par de nombreux enquêtés du deuxième groupe. Livio et Gaspar, dont les parents ont suivi des études secondaires courtes en France et au Laos et qui sont pris par leur travail, bénéficient des histoires lues par leurs aînées fortes lectrices et amatrices de littérature. De la même manière Lamia et Najia, dont les parents ont suivi des études primaires en Algérie et secondaires au Maroc, profitent de leurs sœurs aînées :

‘« (Tu te souviens, si quand t’étais petit, on te racontait des histoires, ou on te lisait des histoires...) Mouais ouais ! (Ouais ?) Oui, ben oui ! (Tes parents, ou... ?) Mes parents, et puis mes sœurs aussi (Ouais ? C’était quoi ? Comme...) Ben des histoires de gosses ! Je sais pas moi... des Contes de Perrault, des... ou... plein de trucs. Ou alors... des histoires assez brèves, pour les enfants : ‘‘Le petit lutin qui va là-bas, qui... joue’’ et tout, des petits contes de fées, je sais pas, des trucs comme ça [...] Je réclamais, j’aimais bien » (Livio ; père : boulanger, CAP ; mère : aide-soignante, études inconnues)’ ‘« (Tu te souviens si quand t’étais plus petit on te... racontait des histoires, lisait des livres... ? Et cetera) Euh... j’aimais bien les Contes de Grimm quand j’étais petit, euh... Sinon les histoires en tout genre j’aimais bien qu’on m’en raconte ouais... (C’était qui qui... te racontait des histoires ?) Ah c’était soit mes sœurs, soit mes parents mais vu que mes sœurs étaient un peu plus disponibles, c’est souvent elles qui me les racontaient » (Gaspar ; père : pasteur ; mère : ouvrière ; ont tous les deux suivi des études jusqu’en troisième au Laos) ’ ‘« Un livre que j’ai vraiment aimé je l’ai lu je crois : Han... ! Euh... cinq fois je crois ou... quand j’étais petite c’était... je sais pas c’étaient deux filles, je m’en rappelle plus c’est quoi le nom... avec leur tante... Hum hum... avec/ Euh Les Contes du chat perché, voilà (Ouais ?) Ouais, et ben ça je le lisais tout le temps(Et tu l’avais euh... connu comment ce livre ?) Ben en fait il était chez moi et mes sœurs... elles l’avaient pris, ben comme elles c’étaient des grandes sœurs et puis j’avais... les deux mêmes livres chez moi (Ouais ?) Et puis j’en avais un autre c’était... i z’avaient pas les mêmes couvertures [...] J’étais petite et puis ma sœur tout le temps elle me le racontait avant de dormir... (Ouais !) Et tout le temps je le prenais et... je lui demandais » (Najia ; père : tourneur, en invalidité depuis 5 ans après accident du travail ; mère : auxiliaire de vie en maison de retraite, bac au Maroc)’

C’est parfois de manière subreptice que les histoires lues par autrui sont entendues. Ainsi en plus des histoires racontées par sa mère, Valérie se souvient avoir écouté sa sœur aînée apprendre à lire et déchiffrer les albums de Walt Disney avant d’apprendre à lire à son tour :

‘« [Nos parents] nous avaient offert toute la collection des... des petits bouquins Walt Disney, ’fin... on doit en avoir au moins... quarante quoi. On les garde pour nos enfants [petit rire] [...] C’étaient... ouais des histoires, je sais pas Peter Pan... des choses comme ça (Et c’est toi qui les lisais ou c’étaient... tes parents qui te les lisaient ?)ça dépend, je m’en rappelle, pff’... Au début... des fois c’était ma sœur qui les lisait quand elle était petite alors moi j’écoutais quand elle apprenait à lire, et... Après... j’ai aussi appris à les lire et ma mère elle nous en racontait aussi » (Valérie ; père : informaticien, bac et IUT informatique ; mère : ATSEM, CAP assurance puis CAP d’employée de bureau)’

C’est à la bibliothèque dont ils sont usagers depuis leur plus jeune âge, ou à l’école, que Sylvia et Salah ont, pour leur part, entendu des histoires :

‘« (Tu te... te rappelles si on te racontait des histoires... et tout ? Ou ta tante ou euh... tes grands-parents... ?) Nan... pas trop nan, c’était pas... [...] (C’était plus à la bibliothèque que... ?) Ouais ! Et puis à l’école... (C’est avec l’école que t’y allais ?) Ouais ! » (Sylvia ; père : lamineur ; mère : femme au foyer après avoir été ouvrière au Portugal dès l’âge de 12 ans ; scolarité primaire au Portugal pour les deux parents)’ ‘« (Quand t’étais plus p’tit est-ce qu’on te racontait des histoires ?) [...] Des contes [...] [avec un petit rire :] Le Petit Chaperon rouge, des trucs du genre [...] Mais c’était très rare quoi, voilà. Parce que y avait d’jà la télé, y avait l’école maternelle, y avait tout ça quoi, donc... c’était pas nécessaire » (Salah ; père : ouvrier qualifié, a suivi des études secondaires en Tunisie mais n’a pas pu passer un équivalent baccalauréat, il a passé un BEP mécanique en France ; mère : femme au foyer, CAP couture en Tunisie)’

La situation d’enquête a sans doute acculé Salah à souligner le caractère « pas nécessaire » de la lecture parentale, du fait d’autres activités et d’autres lieux de lecture ; il a peut-être éprouvé le besoin de se justifier et de justifier ses parents de l’absence d’une pratique éducative légitime 297 . Cependant, sa réponse est également signifiante de la relation de complémentarité des contextes scolaire et familial. En effet, l’école maternelle permet à cet enquêté comme à d’autres – et pas forcément de milieux populaires – d’entendre des histoires. Il en va de même pour Karine qui participait, par le biais de son école, à des animations contes :

‘« A la bibliothèque... on y allait avec l’école... Et... c’était une fois par mois, je crois, y avait... le mercredi après-midi de conte ! Donc on y allait, et puis... ben... y avait une dame qui venait nous... nous lire des livres ! » ; « (Quand... t’entendais des contes, là, à la bibliothèque, t’aimais bien ou... t’aimais pas trop ?) Si j’aimais bien ! [petit silence] Si, c’était rigolo. I nous mettaient dans le noir, 'fin... y avait juste une petite lumière... on était tous ensemble assis en rond... [petit rire] C’était marrant : quand on est petit, on aime bien en général [...] En fait c’était la maternelle ! » (Karine ; père : technico-commercial au chômage au moment de l’entretien, a été informaticien, bachelier ; mère : comptable dans l’informatique, bachelière)’

Ainsi, la diversité des adultes prenant en charge les histoires lues aux enfants augmente parfois les possibilités de récurrence des histoires entendues et écoutées durant l’enfance, qui ont précédé les lectures individuelles enfantines. Plus souvent cependant, cette diversité manifeste l’hétérogénéité des enquêtés rassemblés dans ce groupe.

Si elles ont été précoces et récurrentes, les histoires lues, entendues ou écoutées durant l’enfance par les enquêtés de ce groupe sont variées. Leur évocation témoigne en effet de l’entrée en littérature par différentes portes : si certains enquêtés ont découvert des œuvres classiques de la littérature enfantine, d’autres ont d’abord entendu des adaptations de ces dernières (sans forcément connaître le statut d’adaptation 298 ), et d’autres encore des textes issus de la « grande production » 299 . Le partage selon l’origine sociale des enquêtés n’est pas mécanique : des enquêtés dont les parents sont fortement diplômés ont pu entrer en littérature par le biais des Monsieur et Madame des éditions Hachette quand d’autres, initiés par les frères et sœurs aînés, ont d’abord mais plus tardivement, découvert les Contes du Chat perché, les Contes de Grimm, Perrault, etc. également étudiés en classe :

‘« Quand j’étais petite oui, forcément [...] y avait aussi des histoires... ou de loups / Parce qu’avant j’habitais à la campagne, donc... chaque soir j’avais le droit à une histoire de loup [petit rire] (C’étaient tes parents qui te les racontaient ?) [...] Ouais ouais » (Eléonore ; père : ingénieur ; mère : sans profession, bénévole dans une association d’accompagnement à la mort ; ne connaît pas les études de ses parents)’ ‘« (Est-ce qu’on te lisait des histoires ?) Euh... ouais ! Des contes, genre... Andersen, ou Les Contes de Grimm... Je m’en rappelle [petit rire] y en avait un ou deux que... que j’ai demandés plusieurs fois comme... je sais plus ce que... Les Musiciens de la... fanfare de Brême ou un truc comme ça [...] C’étaient des livres que j’aimais bien » (Ophélie ; père : conseiller en recrutement, niveau bac ; mère : styliste dans l’entreprise paternelle que l’une de ses sœurs a reprise, baccalauréat, propédeutique, diplômée de l’ISIT – traduction –)’ ‘« Y avait des petits livres Monsieur et Madame [...] ça j’aimais bien ! Sinon... plus des contes [...] C’était vraiment plus pour avoir quelqu’un qui me raconte une histoire [...] C’était pas très important, en fait, l’histoire, le contenu. C’est... plus, surtout, ouais, les images et tout quoi ce qui comptait » (Thierry ; père : ingénieur EDF, diplôme d’ingénieur ; mère : femme au foyer, donne des cours de catéchisme, docteur en pharmacie)’

En plus d’indiquer les premières découvertes littéraires, les évocations des lectures enfantines laissent souvent paraître – comme on le notait en introduction – l’appréhension actuelle qu’ont les enquêtés de la production littéraire. Certains ont une appréhension plus ou moins analytique et guidée par des principes littéraires de classement (noms d’auteurs, titres d’ouvrages, etc.). Ainsi, bien qu’écoutant des histoires toutes « mignon[nes] » de Oui-Oui et Jojo Lapin, Esther ne manque pas de préciser d’une part la collection dans laquelle elles sont publiées, d’autre part qu’elles ont été écrites par le même auteur :

‘« On m’a lu[...] des Oui-oui , et Jojo Lapin , c’est le même auteur [E. Blyton], donc... la Bibliothèque rose quoi ! [...] Quand je passais mes vacances chez mes grands-parents, ben... ma grand-mère elle me lisait une histoire de Jojo Lapin, de Oui-Oui, ce genre de trucs. Les trucs bien tout mignons quoi ! » (Esther ; père : officier de police judiciaire, licence de philosophie ; mère : femme de ménage, enfance en Espagne, non scolarisée)’

Maniant des principes de distinction de la production littéraire enfantine moins aiguisés qu’Esther, mais ayant intériorisé la plus ou moins grande légitimité possible des lectures, Eléonore souligne le caractère peu « culturel » de ses lectures d’enfance :

‘« (Qu’est-ce que tu lisais avant ?) [...] A part les livres... pour bébé quand j’étais plus petite (Ou même les, ouais, et même les livres pour bébé quand t’étais plus p’tite c’étaient quoi ? [petit rire]) Euh... hou là là, pff’... c’était genre Mickey dans la ville, ou des trucs comme ça [rire] Mais rien de très culturel là-dedans... (Mais t’aimais bien ? quand t’étais petite) Ah ben quand j’étais petite oui, forcément (Eléonore ; père : ingénieur ; mère : sans profession, bénévole dans une association d’accompagnement à la mort ; ne connaît pas les études de ses parents)’

Avant l’ordonnancement de la littérature jeunesse selon les auteurs et les collections, c’est, on l’a vu plus haut, le lien entre son lieu d’habitation, « la campagne », et le contenu des histoires racontées, « de loups », qui fait sens pour Eléonore qui témoigne d’une appréhension pragmatique des textes.

Outre les histoires lues, entendues et écoutées, le maniement précoce d’imprimés constitue un deuxième trait caractéristique de la familiarisation avec la lecture de ces enquêtés, et des souvenirs qu’ils en ont. Cette familiarisation avec la lecture s’approche en cela des modalités d’initiation au métier de paludier que les enfants d’agriculteurs connaissent en jouant, à côté des marais salants où leurs parents travaillent, à reproduire les gestes professionnels sur des petites salines que leurs pères a parfois fabriquées 300 . Avant même qu’ils ne sachent lire, certains racontent en effet qu’ils ont manipulé seuls les imprimés que leur lisaient leurs proches. Ils racontent aussi qu’à force d’avoir entendu les histoires, ils les ont sues par cœur et pouvaient jouer à faire comme s’ils les lisaient :

‘« [A] la maternelle [...] [on avait] des petits livres où y a les cassettes qui accompagnent [...] et c’est vrai qu’en général i nous passait la cassette pendant la maternelle (Hum hum) Et puis après on pouvait acheter le livre ! Donc ça j’en ai encore plusieurs chez moi [petit rire] ça, si, j’aimais bien aussi ouais... A chaque fois, à chaque fois je / (/ Tu demandais à tes parents... ?) D’acheter le livre ? (Ouais !) Ouais ! A chaque fois ! [rire des deux] Mais c’était pas tout le temps, ça c’est... [un vendeur] venait... une fois tous les deux ou trois mois (Hum hum) et donc... Ouais mais en général j’aimais bien ! (Et ça t’as, ouais ! ça... ça te plaisait de lire... une/ même si tu connaissais déjà l’histoire... et tout ?) Ouais ! Ben... je sais que moi à cette époque-là, je pouvais lire plein de fois le même livre(Ouais !) Main’nant je peux plus relire mais... En plus vu que c’est des livres... courts (Hum hum) c’est vrai que je mets la cassette et puis... je m’entraînais à lire... Parce qu’en maternelle on sait pas... on sait pas vraiment lire hein ! (Ouais !) Donc c’est vrai que c’est un peu avec ces livres que j’ai appris... (... à lire !) que je faisais semblant... de lire, comme ça [petit rire des deux] (De déchiffrer... [petit rire]) Ma mère, elle arrivait... [le ton de voix signifie ‘‘déjouant le leurre avec amusement’’ :] ‘‘C’est pas la bonne page...’’ [petit rire des deux] C’est pas grave... [petit rire] » (Karine ; père : technico-commercial au chômage au moment de l’entretien, a été informaticien, bachelier ; mère : comptable dans l’informatique, bachelière)’ ‘« J’avais Le Petit ours brun et euh Martin pêcheur. I me semble que c’est les deux trucs... et ma mère me lisait ça... Ah aussi Monsieur et Madame... Monsieur Costaud, Madame... Farfelue. Ouais ma mère me lisait ça. Et puis à la fin comme je connaissais par cœur je reconnaissais les images alors... je commençais... je récitais en fait. Elle croyait que je lisais mais... en fait je lisais pas » ; « [C’est] ma mère qui m’a un peu... éduqué à lire quand j’étais tout tout petit [...] (En te lisant ben... Monsieur, Madame et tout ?) Voilà. Et puis après c’est moi qui lisais et voilà ! C’était fait je lisais et... j’avais envie de lire alors c’était bien » (Jean ; père : directeur marketing dans une entreprise pharmaceutique, doctorat de biologie ; mère : conseillère en formation pour cadres licenciés, bac, études supérieures « de base » en psychologie)’ ‘« Quand on est petit aussi on aime bien relire les mêmes livres... tout le temps. Et donc... (Hum. Et toi tu relisais tout le temps les mêmes livres ?) Ouais, j’avais un livre, c’était un... les Monsieur, je relisais tout le temps les Monsieur et Madame, je me souviens, je les connaissais pratiquement par cœur [petit rire des deux] Donc voilà... Ouais puis c’est... Ouais puis j’ai appris à lire sur ceux-là quoi (Ah ouais t’as appris... chez toi en fait à lire ?) Je... ouais ! Je... je commençais à déchiffrer, ouais, à cinq ans... juste avant le CP » (Thierry ; père : ingénieur EDF, diplôme d’ingénieur ; mère : femme au foyer, donne des cours de catéchisme, docteur en pharmacie)’

Stéphane pour sa part se souvient de la fierté éprouvée lors de la première lecture à ses parents d’une phrase apprise par cœur à l’école :

‘« Je me rappelle de la première fois qu[e mes parents] m’avaient fait lire : j’avais, c’était en CP, c’était le premier jour de l’école, [petit rire] je suis revenu avec mon livre, j’étais tout content et tout. Je faisais lire ça, classe, en fait c’est parce que je connaissais par cœur la phrase » (Stéphane ; père : plombier zingueur, certificat d’études ; mère : secrétaire, école primaire en Italie, école ménagère en France)’

La distinction réalisée par ces enquêtés entre mémorisation et déchiffrage ou lecture souligne l’identification de ces activités et le statut d’objectifs à atteindre qui leur est attribué. Par ailleurs, que la mère de Jean ait réellement cru à ses compétences lectorales ou qu’il ait simplement éprouvé du plaisir à le croire, il reste que l’acquisition de ces compétences comme possibilité d’une lecture individuelle était fortement investie, tant par l’enfant qui apprend et feint, que par la mère qui surveille et témoigne de l’attention à cette activité. Pour ces enquêtés, durant l’enfance, la lecture occupe une place analogue à celle de la musique dans la relation nouée entre Mozart et son père 301 . La maîtrise du déchiffrage et celle de la lecture individuelle jouent le rôle de la composition ou de l’interprétation de partitions musicales : elles nourrissent les relations socio-affectives unissant parents et enfants et sont objets d’attention.

Enfin, le troisième trait caractéristique de la constitution sociale d’une prédisposition à la lecture individuelle tient dans la désignation de la maîtrise du déchiffrage et de la lecture individuelle comme enjeux importants. La constitution comme enjeu de la maîtrise de ces compétences se perçoit d’une part dans les moyens que déploie l’entourage pour favoriser l’acquisition de ces compétences et aider les enfants à surmonter les difficultés (accompagnement des premières lectures à voix haute), d’autre part dans l’explicitation et la valorisation de la maîtrise du déchiffrage et de la lecture individuelle.

L’encadrement des lectures ne cesse pas dès les premiers moments de l’acquisition de compétences lectorales. Si les proches ne lisent plus d’histoires, la lecture à haute voix ne s’arrête pas nécessairement mais cède la place à une inversion des rôles entre adulte et enfant : l’enfant lit et l’adulte écoute. L’encadrement des premières lectures enfantines accompagne l’entraînement des enquêtés à la lecture individuelle et permet sans doute une consolidation des compétences et des habitudes. Parfois, cet accompagnement traduit des difficultés initiales ou a été attribué à de telles difficultés. Ainsi Habiba estime avoir lu à voix haute devant ses parents, des enseignants ou des personnels de la bibliothèque pour surmonter un manque de « don » :

‘« Avant j’étais pas très douée [...] La lecture orale, je lisais pas très bien. Donc [mes parents] i me faisaient lire souvent mais... c’était plus à l’étude que je faisais... (Ouais !) A l’étude ouais... Mais quand j’étais petite... Ouais, je me souviens pas trop quand j’étais petite ! [petit silence] J’étais obligée de lire devant eux pendant une heure mon livre... [petit rire] Mon... mon histoire quoi ! Mais bon... (C’était quand t’étais euh... ?) Ouais ! C’est quand j’étais au CP ! [...] Les trucs qu’on avait en français à lire... (Ouais voilà !) Quand y avait des textes qu’elle disait de lire quoi ! [...] Bon ben après j’ai lu toute seule... » ; « (T’as commencé à aller à la bibliothèque... à quel âge à peu près ? [petit silence] Si tu te souviens... ?) Ben je crois que... je sais pas mais... vers les dix douze ans [...] I faisaient des petites animations en fait, on était tous assis autour/ en rond. Et puis y avait une... femme à la bibliothèque qui lisait des histoires... I nous demandaient de lire un passage et... I faisaient des trucs d’animations et puis mon père i m’avait inscrit. C’était le mercredi après-midi, je me souviens (T’y allais tous les mercredis ?) Ouais. 'Fin pas tous les mercredis, c’était peut-être un mercredi sur deux, 'fin ça dépendait [...] C’était un petit atelier qui durait quarante-cinq minutes, et puis i nous lisaient des petit contes, je m’en souviens [...] (Et t’aimais bien, ou euh... ?) Ben, au début pas trop en fait parce que j’étais timide et puis j’ai... quand on me disait de lire les passages j’aimais pas trop ça » (Habiba ; père : maçon, en invalidité depuis l’enfance d’Habiba, école primaire en Algérie ; mère : femme au foyer, école primaire en Algérie)’

La confrontation à des camarades de classe de tout autre milieu social n’est sans doute pas pour rien dans cette perception de soi en termes de « pas très douée ». En effet, la famille d’Habiba vit dans un quartier dont la population est majoritairement composée de familles de milieux aisés dont les enfants ont potentiellement encore, plus précocement qu’elle, été familiarisés et entraînés à la lecture à voix haute.

Pour sa part, Raoul renvoie à l’exigence maternelle d’un apprentissage lectoral plus rapide, les lectures à voix haute qu’il faisait à sa mère parfois jusqu’à des heures avancées de la nuit et dans un climat plus ou moins tendu :

‘« Y a des livres encore à la limite, mais ça ma mère elle me les a fait lire très très jeune, c’est... Le Tour du monde en quatre-vingt jours... mais ou sinon les livres de Jules Verne aussi j’aime bien... Voyage au centre de la terre ou... c’est Jules Verne ? Ouais je crois [...] Je veux dire c’est... ça donne envie de lire ! » ; « [Ma mère] elle prenait des crises même des fois pour... que je lise... [je souris] Pour... pour apprendre à lire plus vite [...] Ben le... Le Tour du monde en quatre-vingt jours(Ouais ?) Et ben on l’a lu ensemble [...] le soir on finit par... lire jusqu’à... minuit... parce qu’on le lisait un peu tous les soirs, et comme ça... et voilà. Du coup, on y est arrivé... Sinon on a lu après Don Quichotte 302  ! [...] un résumé » (Raoul ; père : cadre à EDF, bac C ; mère : dentiste, bac C, doctorat de médecine)’

On perçoit l’ambivalence de cet encadrement maternel : s’il est contrôle des pratiques et exigence jugée démesurée, il manifeste aussi temps et attention accordés à l’enfant. Raoul reconnaît lui devoir la découverte de livres qui lui ont plu. La contrainte et l’imposition maternelles des lectures à haute voix ne signifient donc pas pour cet enquêté comme pour d’autres une dépréciation des livres lus ni même de la pratique.

De manière plus claire encore, des enquêtés ne voient pas dans le prolongement de l’accompagnement des lectures enfantines une marque de moindre reconnaissance des compétences lectorales. Pour eux, l’accompagnement caractérise simplement les modalités d’acquisition et de consolidation de leurs compétences lectorales ; c’est d’autant plus le cas qu’il est marqué par une inversion des rôles entre adultes et enfants : les enfants ayant désormais la charge de la lecture. Ainsi Samuel se souvient avoir lu à sa tante paternelle « des petits livres... du genre... Papa loup est beau », « des histoires sur les animaux », « des petits livres pour enfants... des livres cartonnés... de cinq pages... ». Emilie raconte que « dès le CP [...] [avec mes parents] on lisait toujours... à haute voix pour la maison... ».Esther raconte comment elle a appris à lire avant même d’entrer à l’école primaire, avec sa grand-mère, ancien professeur de français et latin en collège :

‘« Moi c’est ma grand-mère qui m’a appris à lire et je sais que en fait c’est moi qui voulais vraiment [...] Ma grand-mère [...] m’avait dit que... une fois justement, elle me lisait un livre et... justement un de ces petits livres... Et y avait le mot... [articulant les différentes syllabes] ‘‘consciencieusement’’ [je ris un peu] Et je lui avais demandé de me montrer... le mot quoi. Et tu vois ! Je sais pas, j’étais vachement, 'fin moi je... j’avais une envie de lire quoi, je voulais vraiment... je voulais vraiment... lire. Et c’est vrai, enfin... en fait on m’en a lu, enfin... on m’en a lu peu ! Mais... parce qu’après je voulais tout de suite lire toute seule... et tout, je voulais... (Ah ouais ?) Ah ouais ouais. Je voulais vraiment être indépendante pour ça » (Esther ; père : officier de police judiciaire, licence de philosophie ; mère : femme de ménage, enfance en Espagne, non scolarisée)’

Certains enquêtés soulignent l’importance des relations fraternelles dans l’acquisition des compétences lectorales. Ainsi Elodie évoque les conditions favorables ayant permis son apprentissage rapide de la lecture :

‘« Même en... CP, avec mon livre de lecture je cherchais toujours à avoir de l’avance, pour comprendre la suite [petit rire] et euh... c’était pas en fait pour le plaisir d’être en avance sur les autres c’était juste pour le plaisir de comprendre et... donc du coup ben je lisais mon livre de français, mon livre de... mon livre de lecture en fait et après je suis passée sur les Walt Disney dès que j’arrivais à lire trois mots. Y avait mon frère qui me la f’sait un peu la lecture, parce que lui il était en apprentissage donc [petit rire des deux] I s’exerçait sur moi en fait » ; « Vu qu’y a toujours eu mon frère avant, quand il apprenait à lire j’étais toujours à côté (A h ouais ?) pour essayer de comprendre ‘‘Et pour, et pourquoi ça ça fait ce son et pourquoi’’ Donc j’ai toujours eu un ton d’avance quand j’arrivais en classe » (Elodie ; père : responsable d’affaires, IUT d’automatisme, ingénieur ; mère : professeur de comptabilité en lycée, maîtrise et CAPES)’

Isabelle quant à elle se trouve en position de pouvoir initier son petit frère à la lecture :

‘« J’ai vite lu quand même, je lisais bien ouais, ça allait. Et même [...] je m’en rappelle quand j’étais en CP, ou en CE1 je m’en rappelle plus, c’est moi qui avais... commencé à apprendre à lire à mon frère. Je lui avais appris l’alphabet, des choses comme ça et que... ‘‘m et e ça f’sait me’’ [petit rire] Tous des trucs comme ça, voilà... Parce qu’on avait un petit tableau et... j’ui écrivais des lettres [petit rire] comme j’étais petite, je faisais la maîtresse [petit rire des deux] » (Isabelle ; père : policier, niveau bac ; mère : vendeuse, après avoir été modiste, arrêt des études à 14 ans)’

Les sociabilités alors entretenues témoignent d’une répartition et d’une division des tâches et des rôles entre pairs qui ne sont pas exemptes de hiérarchisation et que l’expression « transmission horizontale » tend à masquer 303 . Quoi qu’il en soit, comme Esther, Elodie ou Isabelle, la plupart des enquêtés de ce groupe soulignent non seulement la précocité de leur apprentissage de la lecture individuelle par rapport au programme scolaire ou au reste de la classe, mais aussi leur impatience et leur satisfaction à pouvoir enfin lire seuls, leur entourage leur ayant fait miroiter les plaisirs d’une telle lecture ou les laissant expérimenter cette lecture 304  :

‘« Je sais lire... ma mère elle m’a dit depuis la maternelle(Ah ouais ?) Ouais... [petit rire] » (Philippe ; père : électricien, CAP ajusteur mécanicien ; mère : aide comptable, CAP employée de bureau)’ ‘« (Ta marraine en fait elle te racontait souvent des histoires ?) ouais, quand j’étais petite, que je savais pas encore lire, elle me racontait des histoires et elle me disait ‘‘Quand tu seras grande c’est toi qui liras’’ [petit rire] Mais je m’en rappelle elle me lisait les Astérix, c’était bien, avant de m’endormir » (Sophie ; père : médecin, doctorat de médecine ; mère : sans profession, garde des enfants à domicile, a été laborantine, bac technique ; elle vit avec sa mère, parents séparés depuis l’âge de 5 ans) ’ ‘« J’aimais bien qu’on me raconte des histoires moi quand j’étais petite [petit rire] Après... dès que je... j’ai su lire un peu par moi-même, je préférais lire toute seule, mais... (Ah ouais ?) Ouais [petit rire des deux] Ouais ça sert à rien... » (Belinda ; père : ingénieur en télécommunication par ordinateur, bac S, DUT, ENIC ; mère : enseignante dans une école de puéricultrice, BEP sanitaire et social, DE infirmière, DE puéricultrice, licence de management)’ ‘« D’après ce qu’on m’a dit je crois que je me suis... mis très vite à... à lire toute seule [...] On m’en a lu au début et puis après ben je m’y... je m’y suis mise toute seule ! [...] Une fois que j’ai su lire et ben... ben ah y est c’était... [sourire] c’était parti quoi ! » (Marie-Eve ; père : ingénieur en fluides, bac+5 ; mère : statisticienne, bac+5, économie)’ ‘« ça s’est arrêté assez tôt quand même. Je suis rentrée au CP je veux dire... i me racontaient plus d’histoires » (Véronique ; père : cadre commercial au chômage, équivalent baccalauréat ; mère : hôtesse d’accueil, études d’hôtesse de l’air)’ ‘« ([...] Tu te souviens si on te lisait des histoires... ou des trucs comme ça ?) Nan moi on m’a rarement lu d’histoires en fait (Ouais ?) Parce que j’en ai... j’en ai jamais euh... éprouvé le besoin aussi parce que moi j’ai... Comment ? Et j’ai, j’ai tout le temps voulu lire... par moi-même mis à part quand je savais pas lire [...] Dès que j’ai su lire... donc je l’ai... je l’ai fait par moi-même » (Rodolphe ; père : directeur financier, bac, DESCF ; mère : secrétaire, bac)’

Ecole et famille offrent chacune un accompagnement de la constitution des habitudes lectorales. La reconnaissance des compétences acquises qu’elles manifestent parfois attise les plaisirs de cette maîtrise 305 . Non sollicitée par des questions systématiques, l’évocation des réactions parentales ou professorales aux premiers apprentissages de la lecture n’a pas toujours trouvé sa place dans l’entretien. En revanche, les ressentis et plaisirs des enquêtés sont mentionnés. De manière générale, l’enfance a été une période faste pour la lecture et la reconnaissance des lecteurs que sont ces enquêtés :

‘« Quand j’étais... en primaire [...] on m’a dit que je lisais bien [...] Ma prof disait que... Dans mon bilan, elle mettait toujours que j’avais... des capacités à lire... et qu’i fallait que je les exploite, et qu’i fallait que... Je lisais beaucoup et elle disait que par rapport aux autres élèves... bon c’était p’t-être... la seule chose que je savais faire puisque... faire des calculs et tout ce qui était calculé, ce qui... : j’étais pas trop trop dedans [...] Dès le CP... quand on avait appris à lire, j’ai appris rapidement. C’était pas... Encore, écrire, pas trop. J’ai mis du temps à bien écrire, à avoir une écriture soigneuse. Mais je lisais... je lisais vraiment bien à voix haute, je lisais... trop sur mon livre de lecture, même à le relire plusieurs fois, j’aimais bien. » (Lamia ; père : ouvrier en usine puis patron de café avec l’un de ses fils, décédé lorsqu’elle était en 6ème, scolarité en Algérie, savait lire et écrire en arabe ; mère : sans profession, scolarité non évoquée)’ ‘« Au CP quand on allait à la/ J’étais en avance pour apprendre à lire(Ouais ?) Je lisais plus facilement que les autres » (Sylvia ; père : lamineur ; mère : femme au foyer après avoir été ouvrière au Portugal dès l’âge de 12 ans ; scolarité primaire au Portugal pour les deux parents)’ ‘« Je m’exerçais, moi en fait, j’ai su lire... ben en fait tôt ! (Ouais ?) Et... parce que j’ai... je sais pas ! Parce que je m’entraînais beaucoup chez moi. Je lisais tout le temps. Et après on m’a mis dans une classe... où y avait... où en fait j’étais en CP, je suis restée quinze jours en CP. Après on m’a mis dans une classe où y avait [...] des CE1 [...] Tout le long de l’année,ben on a étudié... on a fait des trucs avec eux  ! Parce qu’on savait lire en fait... On n’avait rien à faire en... CP parce qu’on avait tout... on savait écrire, on savait lire et... on savait parler quoi... Donc après on est tout de suite passé » (Najia ; père : tourneur, en invalidité depuis 5 ans après accident du travail ; mère : auxiliaire de vie en maison de retraite, bac au Maroc)’ ‘« Dès le CP en fait moi j’ai commencé à lire » (Emilie ; père : contrôleur aérien, bac+2, ENAC ; mère : institutrice)’ ‘« Quand j’étais petit quoi j’avais... sept dix ans [...] moi je lisais assez bien quand même au C, au... CE2 et tout ça, je lisais assez bien. » (Livio ; père : boulanger, CAP ; mère : aide-soignante, études inconnues)’ ‘« Au CM2 [...] j’aimais les petits livres comme ça quoi mais je lisais pas mal... Mais bon je vivais à, j’avais... j’ai eu un bon niveau jusqu’en quatrième » (Clara ; père : ingénieur en informatique, bac et école supérieure d’électricité au Maroc ; mère : pédicure, podologue en disponibilité, études non spécifiées)’ ‘« Moi quand j’ai commencé à lire, t’sais vers six sept ans comme ça, euh... ouais je lisais des livres comme ça. J’étais toute fière de pouvoir aligner trois mots écrits sur un papier et donc... je lisais [...] Je prenais des tout petits livres tu vois ? (Ouais) Et puis je faisais de la lecture comme ça... tranquille dans mon coin. Toujours tranquille dans mon coin [petit rire] (Eléonore ; père : ingénieur ; mère : sans profession, bénévole dans une association d’accompagnement à la mort ; ne connaît pas les études de ses parents)’

Si certains expriment les plaisirs d’avoir été plus rapides que d’autres camarades de classe dans l’acquisition des compétences lectorales, ou meilleurs qu’eux, d’autres soulignent au contraire les désagréments d’un enseignement scolaire à l’organisation collective et à la progression réglée, qui sont autant de freins à l’entraînement des savoirs et savoir-faire lectoraux. La manière dont Marie-Eve reconstruit son entrée dans la lecture est significative du statut secondaire qu’elle reconnaît à l’institution scolaire par rapport au contexte familial. L’école contrarie de maintes façons les désirs de cette enquêtée : d’abord en ne prévoyant l’enseignement de la lecture qu’en CP, ensuite, en imposant un rythme collectif et lent d’apprentissage et des modalités concrètes de lecture qui semblent ralentir l’exercice d’une lecture plus virtuose :

‘« On m’a... toujours dit [...] que j’avais euh très tôt demandé à apprendre à lire, que quand j’étais arrivée à la maternelle, j’avais été déçue de savoir qu’on n’apprendrait pas à lire à la maternelle(Ouais ? [petit rire des deux] [...] Et t’as attendu l’école quand même pour apprendre ?) Nan j’ai... commencé avec maman !(Ouais ? [petit rire]) J’avais commencé à apprendre ! Et euh... du coup ben en CP ben... à la fin du premier trimestre je savais lire quoi. Donc je me suis embêtée tout le reste du CP ! [petit rire des deux] Mais bon ! [...] Parce que bon ben... y en avait... pas mal qui savaient pas encore lire et euh... Bon je me rappelle, on était obligé chaque fois qu’i y avait un texte de suivre avec le doigt et ça me cassait les pieds ! Voilà ![petit rire] [...] J’avais envie d’accélérer et puis d’enlever mon doigt ! De pas être obligée de suivre avec le doigt ! [petit rire des deux] » (Marie-Eve ; père : ingénieur en fluides, bac+5 ; mère : statisticienne, bac+5, économie)’

Rodolphe déplore également le trop lent rythme collectif de lecture au sein de la classe :

‘« Je m’en rappelle qu’à l’école [...] on en lisait certains mais... en fait c’était assez lent quoi. On mettait vraiment du temps parce que... on essayait vraiment d’apprendre les bases et... Et puis y en avait pas mal qui avaient des problèmes de lecture aussi. Donc [...] je trouvais que ça allait assez lentement [...] [Des livres] j’en lisais un pour moi et puis je lisais... çui de la classe mais... je sais que j’avais très vite fini... çui de la classe quoi donc euh... Donc je lisais l’autre à côté quoi (Ouais !) Et je sais que [en primaire] c’était la période où je lisais... le plus quoi ! » (Rodolphe ; père : directeur financier, bac, DESCF ; mère : secrétaire, bac)’

Ainsi, selon l’articulation entre contextes scolaire et non scolaire pour la constitution des habitudes lectorales notamment, l’appréciation de l’institution scolaire par les enquêtés varie. Quand elle a une relative exclusivité de l’enseignement de la lecture du français (si ce n’est de la familiarisation avec cette pratique) du fait d’une origine sociale moins élevée ou d’une immigration parentale (par exemple Stéphane, Isabelle, Lamia, etc.), elle est appréhendée de manière plus positive que lorsque les enquêtés peuvent se passer d’elle pour l’acquisition des compétences lectorales (Rodolphe, Marie-Eve, etc.). Toutefois, le monopole de l’institution scolaire pour la certification de certaines compétences lui donne un statut particulier que la dépréciation de son enseignement et de son organisation n’entame pas : elle reste objectivement le lieu légitime de reconnaissance des compétences.

La constitution sociale d’une prédisposition à la lecture individuelle passe donc par la précocité d’une familiarisation avec les textes par le biais des histoires lues, entendues par les enfants, par l’intermédiaire d’une manipulation fréquente et précoce d’imprimés à lire et par l’encadrement scolaire et familial de la maîtrise du déchiffrage qui a été constituée comme enjeu socio-affectif important.

L’entourage familial offre ensuite un encadrement propice à l’actualisation de cette prédisposition socialement constituée à la lecture individuelle.

Notes
291.

Arthur, Bruno, Benjamin et Rodolphe ne se souviennent pas de s’être fait raconter des histoires durant leur enfance. S’il est remarquable que quatre garçons fassent cette déclaration et peut faire penser à une socialisation différenciée selon le sexe, le matériau ne permet toutefois pas de trancher sur les déterminants d’une telle distinction.

292.

En plus des histoires lues par son père, Habiba écoutait les histoires que lui racontait sa mère : « Ma mère [...] c’est des histoires qu’elle racontait, elle. ’Fin je sais pas si elles étaient inventées. ’Fin elle me les disait, elle me les disait en arabe [...] (C’était quoi ? Tu sais... tu te souviens ?) Ah nan, je m’en souviens plus... C’étaient des histoires de petite fille quoi ! Je m’en souviens plus du tout... ! C’est vachement vieux... ».

293.

P. Berger et T. Luckmann, La Construction sociale de la réalité, op. cit., p. 185 : « la certitude de la première aube de la réalité adhère encore au premier monde de l’enfance. La socialisation primaire accomplit ainsi (après coup, bien sûr) ce qu’on peut considérer comme le plus important tour que la société joue à l’individu – faire apparaître comme nécessaire ce qui n’est en fait qu’un paquet de contingences – et ainsi rendre signifiant l’accident de sa naissance. » A propos de l’acquisition de savoirs et savoir-faire par les enfants dont les parents travaillent dans les marais salants, G. Delbos et P. Jorion écrivent « Bien davantage que des instructions explicites, le savoir qui passe à l’enfant, sans être transmis [mais par le fait de partager le quotidien avec les adultes], car il va sans dire, est de ce type particulier : une cosmologie, une représentation du monde ordonné », G. Delbos et P. Jorion, La Transmission des savoirs, op. cit., p. 114. Ici, la lecture faite aux enfants le soir permettrait la transmission et la construction de cette activité comme naturelle et évidente.

294.

Aucun des enquêtés ne mentionne avoir été gardé par une nourrice ou autre.

295.

F. de Singly souligne le rôle possible des sœurs aînées dans l’accompagnement scolaire et lectoral des enfants d’immigrés, F. de Singly, « Savoir hériter », op. cit., note p. 71. Notons toutefois que le fait d’avoir des aînés peut jouer en faveur des pratiques de lecture dans d’autres milieux qu’en milieu populaire et qu’il ne constitue pas un facteur explicatif mécanique.

296.

Ces lectures dont on ne sait pas si elles sont finalement réalisées par Samia ou par sa sœur sont peut-être un accompagnement scolaire, par l’aînée, des devoirs que sont les lectures-déchiffrages. Cf. infra.

297.

On rejoint ici la question des liens entre objets de recherche, sciences, méthodes d’enquête et rapports de domination symbolique abordée dans C. Grignon et J.-C. Passeron, Le Savant et le populaire, notamment les p. 53-54 et p. 57-58. En effet, on a opté pour la réalisation d’entretiens semi-directifs abordant systématiquement tous les points envisagés, même avec les enquêtés non concernés par certaines pratiques de lecture. Ceux-ci pouvaient alors éprouver un sentiment d’illégitimité à ne pas avoir telle ou telle pratique.

298.

Une enquête sur la perception des comédies musicales et films adaptés d’œuvres de la littérature classique montre que ce sont essentiellement les enfants de milieux favorisés qui font le lien entre ces adaptations et le répertoire patrimonial, C. Détrez (dir.),« Vues à la télé : Cosette, Nana, Juliette et les autres... », Réseaux. Les Nouvelles formes de la consécration culturelle, P. Le Guern et D. Pasquier (dir.), n° 117, 2003, p. 133-152.

299.

P. Bourdieu, La Distinction, op. cit., p. 376. Pour l’analyse du fonctionnement et de la structuration du marché des biens symboliques, cf. P. Bourdieu, Les Règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris, Seuil, 1992, p. 201-245.

300.

G. Delbos et P. Jorion, La Transmission des savoirs, op. cit., p. 107. La dînette ou les camions-miniatures, comme tant d’autres jeux enfantins commercialisés, favorisent également l’apprentissage d’activités domestiques ou d’un métier par la reproduction, en miniature et en faux-semblants, des gestes adultes. Les auteurs soulignent que la transmission du métier de paludier ne s’effectue toutefois pas seulement par l’imitation : dès que l’enfant est en mesure d’occuper une place, il doit réaliser des tâches sans reproduire les gestes de l’adulte qui est alors libéré pour d’autres pratiques, p. 128-129.

301.

N. Elias, Mozart. Sociologie d’un génie, Paris, Seuil, 1991, p. 92-93 : « Leopold Mozart salua, les larmes aux yeux, les premiers essais de composition de son fils. Il s’établit une forte relation affective entre lui et son fils, ce dernier recevant une prime d’amour supplémentaire pour chacune de ses performances musicales, et ce fut certainement bénéfique au développement de l’enfant dans le sens qu’avait souhaité son père. » Le sociologue avance que la rivalité fraternelle pour la conquête de l’attention paternelle avait conduit le petit Mozart à vouloir apprendre le piano que sa sœur aînée pratiquait avec son père. Cette configuration relationnelle (la rivalité entre frères et sœurs) n’est sans doute pas le seul moteur des désirs enfantins. Isabelle se souvient par exemple avec plaisir des moments où, avec son petit frère, elle écoutait sa mère lire des histoires : « (Tu te souviens si i te lisaient des histoires quand t’étais plus petite ?) Oui ma mère, oh là là tous les soirs, elle nous lisait une... une histoire. Elle prenait le gros livre là, des petites histoires ou... les contes, et elle nous lisait une euh... une histoire [...] On lui demandait, avec mon frère ‘‘Maman tu nous lis une histoire’’. Et puis... bon ben le soir on se mettait tous sur un lit et elle nous racontait. Main’nant elle le fait plus hein [petit rire des deux] mais... Nan c’était sympa. C’était bien » (Isabelle ; père : policier, niveau bac ; mère : vendeuse, après avoir été modiste, arrêt des études à 14 ans).

302.

La lecture d’extraits de ce roman est suggérée pour la découverte d’un ouvrage classique étranger en classe de Troisième.

303.

D. Pasquier évoque les « mécanismes de socialisation horizontale » dans Cultures lycéennes, op. cit., p. 160. Elle met en évidence différentes tensions auxquelles les adolescents peuvent être confrontés dans des sociabilités de « liens faibles » : « forte pression à la conformité et peu de tolérance à la différence » (p. 60). En revanche, elle s’intéresse peu aux hiérarchisations qui trament ces sociabilités amicales et s’apparentent aux « mécanismes de socialisation verticale » (renvoyés à l’institution scolaire et aux relations enfants/parents). La manière dont D. Pasquier revient sur les travaux de P. Bourdieu et J.-C. Passeron exacerbe une conception légitimiste de la culture. Tant et si bien que l’on peut, en outre, se demander s’il peut y avoir des mécanismes de socialisation verticale entre parents/enfants au sein des familles populaires.

304.

Au sein de l’institution scolaire, une telle lecture, individuelle, est conçue et décrite comme premier pas vers un comportement autonome en matière de savoirs scolaires. Comme tel, elle est fortement valorisée. Cf. B. Lahire, « La Construction de l’‘‘autonomie’’ à l’école primaire : entre savoirs et pouvoirs », Revue française de pédagogie n° 135, av.-mai-juin 2001, p. 151-161. L’article met en évidence les dimensions tant cognitives que comportementales de l’autonomie que l’école primaire entend développer (et définir). Il mentionne aussi les différents domaines dans lesquels cette autonomie peut s’actualiser et se construire (gestion du temps, des activités, des déplacements, etc.).

305.

P. Bourdieu, Méditations pascaliennes, p. 197-200. L’auteur reprend l’idée selon laquelle l’acquisition des compétences ne va pas sans une forme de reconnaissance de l’individu par son entourage. P. Bourdieu fait de la reconnaissance de soi un des moteurs de l’action et de la socialisation : les individus sont supposés persévérer dans une pratique où ils sont reconnus. On peut préciser que la reconnaissance n’est pas nécessairement évaluation positive. On l’a vu pour les lectures-déchiffrages que Raoul réalise avec sa mère. Suscité par des incompétences enfantines, l’accompagnement d’une pratique par un adulte n’en constitue pas moins une forme de reconnaissance et d’attention qui se manifeste par le temps passé avec l’enfant et dégagé pour lui.