2) Les sollicitations lectorales des différents contextes fréquentés

L’étude de la construction des habitudes de lecture passe par la saisie des sollicitations lectorales auxquelles les enquêtés ont été confrontés.

Analysant l’une des définitions par les enquêtés des commencements de l’anorexie – celle mentionnant un régime –, M. Darmon identifie « trois types de rôles sociaux et d’acteurs extérieurs particip[ant] [...] à la définition publique de ce régime et au modelage de son déroulement. » : les prescripteurs détenteurs d’une autorité professionnelle, les incitateurs et les accompagnateurs ³⁹⁶ inscrits dans les relations familiales ou amicales des individus, les uns encourageant les individus à commencer un régime, les autres joignant aux incitations l’accompagnement pratique des premières restrictions alimentaires. Ainsi différents types de sollicitations sont identifiables.

Si comme le rapport au corps, l’entretien, le soin et l’alimentation de celui-ci, la lecture bénéficie d’un contexte institutionnel d’enseignement tout en pouvant être encouragée en dehors de celui-ci, l’analogie entre ces pratiques n’a pas lieu d’être poursuivie. L’intérêt porté aux types de sollicitations est en revanche essentiel à l’étude de la constitution ou de la consolidation des habitudes de lecture. A côté des sollicitations qui relèvent d’une logique de prescription, émises par un individu détenteur d’une autorité professionnelle, on peut également identifier des sollicitations qui ressortissent à une logique d’incitation, émises par des proches, et des sollicitations qui s’inscrivent dans une logique de communion où sollicitateur et sollicité lisent les mêmes textes et construisent de la sorte des références communes. Ce qui différencie ces logiques de sollicitations ce n’est pas leur plus ou moins grande efficacité ni leur degré de contrainte, mais leur inscription, ou non, dans un cadre institutionnel détenteur d’une légitimité à dispenser ces sollicitations – notamment sous forme d’enseignement –, d’une autorité pédagogique.

Dans un article analysant les processus de constitution d’habitudes de lecture au sein de la famille, F. de Singly distingue les incitations explicites comme les « encouragements parentaux à la lecture » et les incitations implicites comme par exemple le fait de se donner en modèle de lecteur. Les unes et les autres peuvent relever ou non de stratégies éducatives intentionnelles. Ces distinctions des sollicitations selon des modalités d’incitation et d’inculcation (par voir-faire et ouï-dire), et selon leur inscription dans des perspectives éducatives intentionnelles seront utiles pour caractériser, en propre, les sollicitations auxquelles les enquêtés ont été confrontés durant la période collégienne au sein de différents contextes – scolaires et extra-scolaires – et par le biais desquelles ils ont pu constituer ou consolider des habitudes lectorales – du point de vue des catégories de textes lus.

Par ailleurs, F. de Singly constate l’efficacité variable des incitations explicites en fonction de l’existence d’incitations implicites :

‘« L’encouragement à lire de la part des parents a eu, si les souvenirs ne sont pas exclusivement reconstruction, auprès des étudiants dont le père et la mère lisaient peu ou pas une efficacité certaine. Son action semble, en revanche, quasiment nulle quand les parents lisent beaucoup. La pédagogie explicite ne renforce pas la pédagogie implicite. » ³⁹⁷ ’

Il s’agira d’être attentif aux conditions d’efficacité des différents types de sollicitation, en fonction notamment des différents contextes de constitution ou de consolidation des habitudes de lecture. L’importance de l’encadrement des lectures lors de la familiarisation avec la lecture soulignée dans le chapitre précédent s’ajoute sans doute à la convergence des incitations explicites et implicites. On envisagera le contexte scolaire avant les contextes extra-scolaires de sollicitations lectorales.