a. la littérature recommandée : une référence commune

Quels que soient l’appréciation des livres lus au sein des cours de français et l’intérêt porté par les élèves à leur endroit, la quasi-totalité des enquêtés (75/77) se souviennent avoir lu intégralement au moins une œuvre littéraire figurant sur les listes de suggestion durant leur scolarité collégienne. Autrement dit, a minima, l’institution scolaire fonctionne bien, auprès d’une population relativement sursélectionnée scolairement 409 , contre une répartition socialement et sexuellement différenciée des lectures, notamment littéraires.

En considérant lecteur d’une catégorie de textes tout enquêté ayant déclaré la lecture d’au moins une œuvre – en mentionnant un titre ou un auteur –, on peut récapituler les littératures appréhendées par les enquêtés par l’intermédiaire de l’institution scolaire durant la période collégienne :

Tableau 5 Enquêtés ayant déclaré la lecture d’au moins une œuvre de littérature classique, jeunesse et/ou ne figurant pas sur les listes de suggestion
Tableau 5 Enquêtés ayant déclaré la lecture d’au moins une œuvre de littérature classique, jeunesse et/ou ne figurant pas sur les listes de suggestion

Lecture : Les prénoms des enquêtés ayant déclaré la lecture d’au moins une œuvre soit de littérature classique, soit de littérature jeunesse apparaissent dans un style normal. Les prénoms des enquêtés ayant déclaré la lecture d’au moins une œuvre de littérature classique et d’au moins une œuvre de littérature jeunesse sont mis en gras. Les prénoms des enquêtés ayant déclaré la lecture d’au moins une œuvre ne figurant pas sur les listes de suggestion sont suivis d’un astérisque. On rappelle les niveaux de diplôme des parents et le sexe des enquêtés.

Si le prénom de Belinda figure dans la première colonne, en gras suivi d’un astérisque, c’est que, fille de bacheliers, elle a déclaré entre autres lectures scolaires, « Le Bourgeois gentilhomme, euh... on avait fait... Le Malade imaginaire... » classé en littérature classique, mais aussi « Le sac de billes, ça m’avait bien plu » classé en littérature pour la jeunesse sur les listes de suggestion, et encore « on avait lu des Stephen King... en Troisième », classé en littérature ne figurant pas sur les listes de suggestion. Si celui de Véronique ne figure pas en gras, c’est qu’elle n’a pas évoqué d’œuvres de littérature classique à côté de La Nuit du renard, classé en littérature pour la jeunesse.

L’identification des lectures mentionnées par les enquêtés conforte l’idée de la priorité accordée à la littérature classique au sein de l’institution scolaire. Une majorité d’enquêtés (51/77) a lu au cours du collège des « textes porteurs de références culturelles » et des textes de « littérature jeunesse ». Quand ils n’ont lu que l’une ou l’autre des sous-catégories de littérature recommandée, les enquêtés n’ayant lu et mémorisé que des textes de littérature classique sont plus nombreux (15) que ceux n’ayant lu et mémorisé que des textes de littérature jeunesse (6 enquêtés). Sur les 16 enquêtés ayant lu une œuvre de littérature ne figurant pas sur les listes de suggestion, seuls Peggy et Bruno ont des parents non bacheliers. Tous mentionnent ces lectures scolaires aux côtés d’autres œuvres classées dans la littérature recommandée (classique ou jeunesse). Autrement dit, les écarts par rapport aux recommandations officielles sont extrêmement rares et n’apparaissent que lorsque le répertoire défini comme prioritaire a déjà été fréquenté.

Deux éléments atténuent cependant le constat de l’efficacité des sollicitations lectorales scolaires auprès de la population interrogée. Le premier concerne l’existence d’enquêtés n’ayant pas lu l’ensemble des œuvres littéraires qui leur étaient recommandées. En effet, aux côtés d’Ahmed et de Farid qui ont déclaré n’avoir lu aucune œuvre littéraire durant le collège, une dizaine d’enquêtés aux caractéristiques sociales, scolaires et lectorales variées déclarent s’être soustraits, parfois exceptionnellement, parfois régulièrement, aux demandes professorales de lectures d’œuvres littéraires. Alors que des effets de légitimité minorent peut-être le nombre des déclarations de manquements aux obligations scolaires, celui-ci étonne déjà compte tenu du niveau scolaire atteint par la population d’enquête 410 . Il concorde toutefois avec le constat de la dissociation possible de la réussite scolaire en français et de la lecture d’œuvres 411 . Le second élément a trait aux variations importantes du nombre d’œuvres que les enquêtés ont déclaré avoir lues durant la période collégienne. Si ces variations ne renvoient ni mécaniquement, ni seulement, aux lectures effectuées mais aussi à des habitudes diverses de leur mémorisation et de leur capitalisation, elles en découlent nécessairement. Or, dans la mesure où les habitudes de lecture procèdent de la répétition des occasions de lecture, ces variations ne sont pas sans conséquence sur la constitution et la consolidation même des habitudes. On peut dresser le tableau suivant :

Tableau 6 Nombre d’œuvres intégrales lues par le biais de l’institution scolaire et évoquées au cours de l’entretien pour la période collégienne
Tableau 6 Nombre d’œuvres intégrales lues par le biais de l’institution scolaire et évoquées au cours de l’entretien pour la période collégienne

Du point de vue de la réitération des lectures d’œuvres intégrales, de la construction ou de la consolidation par le biais de l’école, des habitudes lectorales sur la littérature recommandée, le niveau de diplôme des parents est discriminant. La proportion d’enquêtés ayant évoqué au moins 5 lectures intégrales pour la période collégienne est plus élevée chez les enfants de bacheliers que chez les enquêtés dont aucun des parents ne possède le baccalauréat.

Mais malgré ces nuances, il faut revenir sur les conditions d’efficacité de l’institution scolaire pour permettre la construction d’habitudes de lecture sur des œuvres littéraires recommandées.

Notes
409.

Sur un panel d’élèves entrés en 6ème en 1989, 53.7 % entrent en second cycle général et technologique après le collège. Chiffres du DEP-MEN cités dans M. Cacouault, F. Œuvrard, Sociologie de l’éducation, op. cit., p. 27.

410.

On peut avoir atteint un tel niveau d’enseignement sans avoir intériorisé le sens du « devoir scolaire » tel que G. Vincent l’évoque dans L’Ecole primaire française, op. cit., p. 252-253.

411.

C. Baudelot, M. Cartier et C. Détrez, Et pourtant ils lisent..., op. cit., p. 43-54.