3) Les types de sollicitations lectorales scolaires

a. la prescription, le type dominant des sollicitations

Parce qu’elles sont justifiées par une définition institutionnelle de ce qu’est l’enseignement de la lecture – sur quelles œuvres il doit se réaliser et dans quelles perspectives –, parce qu’elles sont émises par des acteurs qui sont en position de « tenir un discours professionnel légitime » 427 sur la lecture et son enseignement et de l’imposer – en discours et en pratique –, parce qu’elles s’adressent à des élèves caractérisés notamment par leur avancement dans une formation collective, et parce qu’elles font l’objet d’un encadrement spécifique assurant généralement leur efficacité, les sollicitations lectorales que les enseignants de français dispensent durant leurs cours ressortissent à une logique de la prescription.

Du fait de leur scolarisation, tous les enquêtés ont été confrontés à ce type de sollicitations lectorales même s’ils n’ont pas lu les œuvres proposées : la littérature classique et la littérature jeunesse sont des catégories de textes que tous les élèves se sont vus prescrire au cours de leur scolarité. En fonction de leurs rapports aux savoirs et à la scolarité, les élèves ont une appréhension différente des motifs des choix professoraux en fonction de leur rapport aux savoirs et la scolarité. Ainsi Salah renvoie les œuvres d’auteurs « classiques » qu’il a lues au collège au suivi du « programme » par ses enseignants. Mathilde attribue quant à elle, les choix de l’une de ses enseignantes de français pour La Clé sur la porte, Vipère au poing à l’encadrement d’une réflexion sur l’adolescence. Dans l’un et l’autre cas, les enquêtés rapportent la sélection des œuvres lues en classe à l’enseignement de la lecture qu’ils ont suivi. Ils ont effectué des lectures sur prescription professorale :

‘« (Au sein des cours de français en fait... là ce que vous avez étudié [...] au collège [c’était quoi ?]) Ouais, c’étaient des classiques, y avait aucune... C’était banal quoi ! (Tu m’avais dit Cyrano de Bergerac...) Ouais, conformément aux... [petit rire] aux programmes(Ouais) Hum (Et tu te souviens pas des noms ? que j’ai un... [petit rire gêné]) Y avait Cyrano de Bergerac, euh... Y avait quoi d’autre ? Tous les Molière, là » (Salah ; père : ouvrier qualifié, études générales scientifiques commencées en Tunisie mais n’a pas pu passer un équivalent baccalauréat, il a passé un BEP mécanique en France ; mère : femme au foyer, CAP couture en Tunisie)’ ‘« En quatrième j’avais une prof de français... sur toutes les rédactions qu’on devait faire c’était du style : ‘‘Alors vous avez des problèmes avec vos parents... exprimez-les’’ [...] On avait lu La Clé sur la porte, de je sais plus comment elle s’appelle. ’Fin c’est une femme qui laissait son appartement ouvert... à tous les drogués et tous les gens qui voulaient venir [...] ça m’avait gonflée... [petit rire] Pour moi ça généralisait... une jeunesse, dans laquelle... je me sentais pas du tout... incluse [...] Je levais la main et puis je disais ‘‘Mais si on n’a pas de problèmes avec nos parents, on fait comment ?’’ » ; « En quatrième la prof qui nous a fait étudier des choses... [ petit rire] du style ‘‘Vous avez des problèmes avec vos parents’’(Ouais) Elle nous a fait étudier... Vipère au poing ! (T’avais pas apprécié ?) Si j’ai bien aimé le livre, franchement j’ai bien aimé. Mais le sujet c’est toujours pareil. Tout ce qu’on faisait ça tournait autour de ça. » (Mathilde ; père : architecte, bac et études d’architecture ; mère : institutrice, formation d’institutrice, deug de psychologie en formation continue)’

Bien que dominante au sein du contexte scolaire, la logique de prescription ne couvre pas à elle seule l’éventail des sollicitations lectorales scolaires.

Notes
427.

M. Darmon, Approche sociologique de l’anorexie, op. cit., p. 168.