1) Variation sociale des sollicitateurs extra-scolaires des différentes catégories de textes

On a récapitulé dans deux tableaux les intermédiaires des différentes lectures collégiennes évoquées par les enquêtés. Ceux-ci sont successivement caractérisés par le niveau de diplôme de leurs parents et par leur sexe 448 . Ainsi Marie qui déclare « j’aimais bien les Blake et Mortimer aussi... c’était mon père ça qui m’avait fait découvrir » fait partie des 26 enquêtés enfants de bacheliers ayant lu des bandes dessinées par l’intermédiaire des « adultes proches ». Ces tableaux ne font pas apparaître la récurrence des sollicitations lectorales efficaces de chaque sollicitateur 449 . Ils permettent une première approche du passé lectoral de la population d’enquête.

Il serait infondé de généraliser les résultats obtenus ou d’observer jusqu’au bout une démarche statistique sur le matériau produit (en faisant par exemple des pourcentages sur de tels effectifs). Par ailleurs, la composition de la population d’enquête peut accentuer des tendances existantes. En effet, si l’équilibre est respecté selon le genre (il y a 38 filles pour 39 garçons), il ne l’est pas du point de vue du niveau de diplôme des parents : 42 enquêtés sont enfants de bacheliers et 35 enquêtés ont des parents non bacheliers. Pourtant, on ne peut renvoyer à la seule composition de la population le fait que les logiques de découvertes des catégories de textes varient plus selon le niveau de diplôme des parents que selon le sexe. Cela tient sans doute aussi à la réduction, déjà constatée, des différenciations sexuées avec le suivi d’études longues, notamment dans les filières d’enseignement général 450 .

Tableau 8 Sollicitations lectorales à l’endroit des différentes catégories de textes selon le sexe
Tableau 8 Sollicitations lectorales à l’endroit des différentes catégories de textes selon le sexe

Pour ce qui est des comparaisons selon le sexe, on peut noter tout d’abord que pour toutes les catégories de textes il y a quasiment autant de filles que de garçons lecteurs. Ensuite, les filles comme les garçons qui lisent des textes de littérature classique, des ouvrages de référence, des journaux, des textes de littérature jeunesse ou de littérature ne figurant pas sur les listes de suggestion ont des intermédiaires de lecture semblables. Les lecteurs de littérature classique, d’ouvrages de référence et de journaux sont plus nombreux à avoir suivi les sollicitations d’adultes proches que ceux ayant suivi les sollicitations de pairs ou même de lieux ou activités relais. En revanche, il y a autant d’enquêtés qui ont lu des textes de littérature jeunesse par l’intermédiaire d’adultes proches que par l’intermédiaire de pairs. Les lecteurs de littérature ne figurant pas sur les listes de suggestion ayant suivi les sollicitations d’adultes proches, sont aussi nombreux que ceux ayant suivi les sollicitations de lieux ou activités relais, ou de pairs.

Les bandes dessinées et les magazines sont les seules catégories de textes pour lesquelles les sollicitateurs diffèrent selon le sexe. Alors qu’autant de filles et de garçons lisent des bandes dessinées par l’intermédiaire d’adultes proches ou des lieux et activités relais, l’écart se creuse pour les pairs : un nombre plus important de garçons a lu des BD sur leur impulsion. Pour les magazines, le constat est différent si ce n’est inverse : les garçons sont plus nombreux que les filles à trouver des magazines au sein des lieux et activités relais et notamment les maisons de la presse. En revanche, il y a plus de filles que de garçons qui lisent des magazines par l’intermédiaire d’adultes proches ou de pairs. Si cela ne constitue peut-être pas la seule raison de cette variation, on peut suggérer, en anticipant l’étude des types de sollicitations lectorales, qu’aux lectures à plusieurs filles des magazines féminins font pendant les lectures entre copains des albums de bandes dessinées.

Les logiques de découverte des catégories de textes par sollicitateur diffèrent plus significativement selon le niveau de diplôme des parents.

Tableau 9 Sollicitations lectorales à l’endroit des différentes catégories de textes selon le niveau de diplôme des parents
Tableau 9 Sollicitations lectorales à l’endroit des différentes catégories de textes selon le niveau de diplôme des parents

Pour les enquêtés dont au moins un des parents est bachelier, quelles que soient les catégories de textes (exception faite des textes religieux), il y a toujours plus de lecteurs sollicités par des adultes proches que par des pairs ou des lieux ou activités relais. Par ailleurs, il y a quasiment toujours autant d’enquêtés sollicités par des pairs que par des lieux ou activités relais (sauf pour les textes religieux et les ouvrages de référence). En somme, quand les parents possèdent au moins le baccalauréat, ils constituent un référent en matière de lecture pour un plus grand nombre d’enquêtés et ce, quelle que soit la catégorie de textes.

Lorsqu’aucun des parents n’est détenteur du baccalauréat, les adultes proches ne jouent un tel rôle que pour le journal 451 . Qu’il s’agisse de littérature classique, de littérature jeunesse, de littérature ne figurant pas sur les listes de suggestion, d’ouvrages de référence et de textes religieux, autant d’enquêtés lecteurs ont suivi les sollicitations des adultes proches que celles des lieux ou activités relais. Les lieux ou activités relais, principalement dans l’enquête les bibliothèques et les cours de religion, paraissent s’articuler à des visées éducatives parentales – associées à des catégories de textes spécifiques – et en constituer des conditions de possibilité. La littérature, quelle qu’elle soit, fait moins l’objet de sollicitations de la part des adultes proches 452 que d’autres catégories de textes comme les ouvrages de référence, les journaux : elle cristallise la moindre connivence entre la culture scolaire et les familles. Les membres de l’entourage ayant peu fréquenté l’institution scolaire n’y ont pas construit leur grille de perception des produits culturels, leurs manières de faire éducatives et leurs propres habitudes lectorales. Concernant les lectures effectuées sur sollicitations des adultes proches, l’écart le plus fort entre enfants de bacheliers et enfants de non bacheliers s’observe d’ailleurs pour la littérature classique suivie de peu par la littérature ne figurant pas sur les listes de suggestion.

Pour un nombre équivalent d’enquêtés, enfants de bacheliers ou non, ce sont les adultes proches et les pairs qui dispensent les sollicitations lectorales en direction des magazines. Non négligeable pour les lecteurs de magazines ayant suivi les sollicitations d’adultes proches, l’écart entre enfants de bacheliers et non bacheliers est nul pour les lecteurs de magazines ayant suivi les sollicitations des pairs. Ceux-ci jouent contre une différenciation sociale portée par les sollicitations lectorales familiales.

Ainsi, les catégories de textes ont des lectorats plus ou moins importants. En outre, elles ont pu être lues, en contextes extra-scolaires, par le biais de sollicitateurs différents. Sur ces deux points, le niveau de diplôme des parents est discriminant : les enfants de bacheliers sont plus nombreux que les enfants de non bacheliers à lire les différentes catégories de textes ; les adultes proches constituent des sollicitateurs extra-scolaires privilégiés pour les premiers alors qu’ils n’occupent ce statut pour les seconds que vis-à-vis de certaines catégories de textes. Dans tous les cas, les sollicitateurs d’une même catégorie de textes peuvent être parfois isolés, parfois multiples. Les enquêtés ont donc eu l’occasion de construire des habitudes de lecture variées, en des circonstances elles aussi diverses.

Comme pour les cours de français, il convient désormais d’identifier les types de sollicitations lectorales des différents sollicitateurs repérés par le biais des entretiens – les adultes proches, les lieux ou activités relais et les pairs – ainsi que les catégories de textes sur lesquelles ces sollicitations portent.

Notes
448.

Pour permettre au lecteur d’identifier les enquêtés qui se cachent derrière les effectifs, on a placé en annexe des tableaux mentionnant les prénoms des enquêtés.

449.

Comme pour les déclarations des lectures scolaires, les mentions faites de différentes lectures témoignent non seulement de l’intensité des lectures effectuées par le passé mais aussi de l’habitude différentielle des enquêtés à mémoriser et à citer leurs lectures passées.

450.

Cette tendance s’observe pour différentes pratiques, mais aussi pour la lecture. C. Baudelot, M. Cartier et C. Détrez ont montré par exemple la réduction des différenciations sexuées à propos des magazines lus : plus le niveau de diplôme des parents augmente, plus les collégiens et collégiennes lisent les mêmes magazines (Le Nouvel Oservateur, Phosphore, etc.). En revanche, les différenciations selon le sexe sont importantes lorsque les parents ont suivi des scolarités courtes, cf. C. Baudelot, M. Cartier et C. Détrez, Et pourtant ils lisent..., p. 105-107.

451.

V. Le Goaziou, Lecteurs précaires. Des jeunes exclus de la lecture ?, L’Harmattan-INJEP, 2006, 198 p.

452.

F. de Singly suppose une plus grande connaissance de l’offre éditoriale pour la jeunesse chez les parents détenteurs du baccalauréat, F. de Singly, Lire à 12 ans, p. 17. On pourrait compléter en disant que ces derniers partagent avec les concepteurs des programmes scolaires des grilles de perception similaires permettant de discriminer les différents produits culturels offerts sur le marché. Cela apparaissait déjà dans au chapitre 2.