c. les schèmes de perception des productions écrites sous-jacents à l’organisation rationalisée de leur distribution

Les catégories et classifications organisant la distribution de la production textuelle peuvent aussi orienter les façons de lire et de dire les lectures : elles permettent d’identifier les produits de manière minimale. A. Hennion constate en tous cas des liens semblables entre réceptions musicales et catégories de classification :

‘« produit le plus caractéristique de la discomorphose moderne de l’écoute, du travail réflexif commun des marchands de disque et des amateurs pour mettre en forme et en format l’amour de la musique. [...] les entretiens révèlent [...] combien [les amateurs] partagent les catégories et formats peu à peu mis au point par l’industrie de la musique. » 612

Etudiant les conditions d’apparition de la catégorie « essai » dans le champ éditorial français durant l’entre-deux-guerres, P. Olivera montre qu’elle ne renvoie pas uniquement à une catégorie générique. La catégorie « essai » s’articule en effet à des stratégies éditoriales et commerciales situées dans le temps. Elle n’en relève pas moins de ce que R. Chartier a nommé l’ordre des livres. A ce titre, elle contribue aux réceptions des textes : « la notion d’ordre des livres [...] met l’accent sur la manière avec laquelle les objets matériels que sont les imprimés se trouvent proposés, reçus et classés. » 613

Les catégories et classifications organisant la distribution de la production textuelle sont diverses. Elles sont donc susceptibles de favoriser la constitution de façons de lire et de dire les lectures variées. Ainsi les rayons par genres littéraires, par types d’imprimés et thématiques explicitent des caractéristiques textuelles. Certains rayons, selon l’âge, le sexe, etc., identifient des caractéristiques du lectorat visé. Ces rayons peuvent susciter chez les lecteurs différentes façons de dire les lectures : les unes s’appuyant sur l’évocation des caractéristiques textuelles, les autres sur l’évocation de caractéristiques des lecteurs 614 .

Mais, pas plus – et sans doute moins – que l’institution scolaire, les sociabilités lectorales ou les discours médiatiques, l’organisation de la production et de la diffusion ne peut être supposée (in)former de manière mécanique des façons de lire. E. Neveu et A. Collovald constatent par exemple la moindre attention accordée par leur population d’enquête aux classifications éditoriales de la littérature policière et donc leur moindre pouvoir socialisateur – direct. Pour beaucoup, les sociabilités lectorales entretenues autour de la lecture de policier médiatisent en effet les classifica­tions éditoriales 615 .

Notes
612.

A. Hennion, « Les amateurs de musique. Sociologie d’une pratique et d’un goût », Sociologie de l’art,n° 12, 1999, p. 19.

613.

P. Olivera, « Catégories génériques et ordre des livres », op. cit., p. 85.

614.

Les producteurs mobilisent différents registres pour augmenter la diffusion des produits culturels ; à propos des adaptations d’œuvres littéraires, cf. C. Détrez, F. Renard, « Démêler les fils de la légitimité », op. cit.

615.

A. Collovald et E. Neveu, Lire le noir », p. 114.