d. l’entraînement pratique des façons de lire et leurs mises en mots rétrospectives

La découverte des textes lus peut enfin se réaliser de manière apparemment indépendante de tout guidage des façons de lire. Il en va ainsi des textes de l’entourage trouvés au domicile ou chez des proches, des textes trouvés sur des rayons de bibliothèques ou de librairies sans attention à l’organisation de la distribution, des textes mis à disposition par des proches ne les ayant pas lus, etc. La constitution ou la consolidation de façons de lire à cette occasion peut être appréhendée par analogie avec l’acquisition « sur le tas » de savoirs et savoir-faire : ces lectures se font sans incitations explicitessusceptibles de proposer – pas forcément intentionnellement – des mises en mots d’intérêts de lecture et n’est pas inscrite dans des échanges entre proches. Mais, même alors, on peut supposer des mises en mots rétrospectives des lectures à partir d’éléments tels que l’identification du propriétaire, la mémorisation de l’imprimé, l’évocation de l’usage qui en a été fait, de l’appréciation de la lecture ou des conditions même de sa réalisation. De plus, des façons de dire les lectures constituées ailleurs et sur d’autres imprimés peuvent aussi être mobilisées pour la description de ces lectures réalisées « sur le tas ». Par exemple, des lecteurs familiarisés par l’école notamment avec l’identification des marques textuelles ont appris à trouver, dans les textes mêmes, les moyens de guider leurs lectures. Ils peuvent prêter attention aux notations textuelles, aux marques typographiques, aux mises en pages et en textes 616 , ainsi qu’aux intentions textuelles découlant des thématiques et de la rhétorique des textes 617 , etc.

Les lecteurs peuvent aussi reconduire des façons de lire en s’emparant de textes relevant de catégories auxquelles ils associent des attentes lectorales constituées à l’occasion de découvertes antérieures. Les lecteurs peuvent aborder de nouveaux textes pour satisfaire des attentes lectorales. On comprend ainsi que des lecteurs s’orientent de manière privilégiée vers tel ou tel rayon des distributeurs d’imprimés, qu’ils s’emparent de séries, qu’ils se fient au nom d’un auteur, etc. Ils peuvent ensuite mettre en mots leurs lectures selon des formes dont ils ont l’habitude.

Notes
616.

R. Chartier a souligné par exemple les intentions éditoriales et les présupposés des éditeurs à l’endroit des façons de lire populaires qui sont sous-jacentes aux mises en forme typographiques des textes de la bibliothèque bleue, cf. R. Chartier, Lectures et lecteurs dans la France d’Ancien Régime, op. cit., p. 259-263.

617.

S. Tralongo a ainsi reconstruit la fonction d’aide symbolique inscrite dans les récits de C. Bobin non seulement à partir des thématiques, mais aussi par de la rhétorique des textes, cf. supra, chapitre 1.