3) Appréhensions analytiques de la production écrite

a. l’appréhension analytique de la littérature dans les souvenirs de lectures scolaires

L’identification et la caractérisation des textes constituent un premier pas vers une appréhension analytique de la littérature. Les termes utilisés (comique, tragédie, réaliste, etc.) sont les coordonnées situant les œuvres dans l’ensemble de la littérature, constituée comme un univers ordonné de productions. Ils ne traduisent pas forcément ce que le lecteur ressent. Celui-ci peut toutefois justement préciser ses goûts et intérêts lectoraux en les rapprochant ou en les distinguant de ces caractérisations des œuvres. Ainsi, on l’a vu, Jérôme distingue les comédies de Molière des farces sans en apprécier le comique.

Plusieurs éléments permettent la constitution d’une appréhension de la littérature comme un univers ordonné de productions. Les incitations professorales à lire de la littérature classique en dehors des cours (en fin de collège) et l’étude d’œuvres particulières offrent aux élèves une première occasion de faire le partage entre littérature, auteurs et œuvres recommandés d’une part, et les autres d’autre part. Si tous les enquêtés n’y sont pas sensibles, la plupart d’entre eux usent du terme « classique » pour désigner les œuvres étudiées en classe 664 .

Tableau 12 Les lecteurs ayant une appréhension analytique de la production écrite (reconnaissance – partagée ou contestée – d’une légitimité scripturale et de principes de hiérarchie des productions, par connaissance directe ou indirecte des textes et des auteurs), et de telle ou telle catégorie de textes en particulier, selon le sexe et le niveau de diplôme des parents
Tableau 12 Les lecteurs ayant une appréhension analytique de la production écrite (reconnaissance – partagée ou contestée – d’une légitimité scripturale et de principes de hiérarchie des productions, par connaissance directe ou indirecte des textes et des auteurs), et de telle ou telle catégorie de textes en particulier, selon le sexe et le niveau de diplôme des parents

Les cours et les logiques d’études des œuvres constituent une autre occasion d’apprendre à réaliser ce partage des productions littéraires. A propos des lectures scolaires collégiennes, seulement 26 enquêtés 665 évoquent les œuvres à partir des objectifs scolaires d’étude qui, en plus de structurer les cours, ont partie liée avec une appréhension analytique de la littérature. Les enquêtés associent alors un auteur à un style, à un genre ou à une époque ; ils comparent et pensent relationnellement certains genres ; ils classent les auteurs ; etc. Comme les appréhensions analytiques précédentes, celle-ci s’articule parfois avec une appréhension participative informant les goûts et intérêts lectoraux pour les œuvres étudiées.

Par le biais de leurs enseignants de français, certains enquêtés ont appris à distinguer les auteurs étudiés de l’ensemble des écrivains. En troisième, le professeur de français de Raoul justifiait l’étude de La Curée en disant qu’il s’agissait d’un « classique ». Marc se souvient que Troyat, dont il a lu Aliocha,est un Académicien. Dans un entretien effectué lors de sa première seconde, Tasmina évoquait les recommandations de son enseignant de français : il s’agit de lire les « grands auteurs » pour apprendre à « parler » 666 .

‘« je comprends pas je lis et tout, pour faire les... t’sais pour bien parler et tout, [avoir] un bon vocabulaire et tout. Mais nan, les livres ça m’aide pas. T’sais faut lire p’t-être des livres de Emile Zola et... ça m’intéresse pas. Le prof i dit de lire des livres de Emile Zola, de Victor Hugo mais c’est je pense, je peux pas lire, ça m’intéresse pas ces livres ! Je fais mais c’est pas, ça parle pas / (/ tu lis quoi en fait ?) t’sais je lis... ceux qui ont les problèmes maghrébiens... [sic] t’sais, des livres comme ça. Je lis des trucs comme ça... [elle prend des livres dans sa table de nuit] La civilisation ma mère [inaudible], Une femme pour mon/ Je sais pas si tu l’as d’jà lu ? Une femme pour mon fils (nan je l’ai pas lu) Quand j’avais cinq ans, je m’ai tué (ouais) Tu l’as d’jà lu ? (ouais) et... des livres comme ça, et j’ai lu la suite c’est... Mon corps sous le rouleau compresseur, je lis des livres comme ça t’sais, mais pas ces... Emile Zola ou des grands auteurs, franchement je dis... ‘‘ça me servira à quoi ?’’ Franchement ça parle de/ C’est d’une autre époque. C’est bien d’en savoir de ce qui s’est passé dans... avant. Mais on sait déjà [...] Le professeur i me demande de lire un livre de lui, je peux pas, ça m’a pas intéressée [...] Emile Zola, tout ça, Victor Hugo ça m’intéresse pas, ça veut dire quoi y a... Notre-Dame de Paris [étudié en œuvre intégrale] franchement je peux pas lire [rire] [...] Pourtant ça... c’est obligé je dois les lire, c’est pour le lycée, ça va m’aider et tout, mais je peux pas » (Tasmina ; père : gérant dans la restauration, après travail dans l’import-export, études de radiologie puis de commerce au Pakistan ; mère : femme au foyer, après avoir été professeur d’histoire au Pakistan ; en France depuis 11 ans ; entretien réalisé lors de sa première seconde)’

A l’instar de Tasmina, beaucoup d’enquêtés ne souscrivent pas à la hiérarchisation des écrits sous-tendant la distinction entre les auteurs étudiés et ceux qui ne le sont pas. Néanmoins, la plupart des enquêtés y sont confrontés et s’y réfèrent pour situer leurs goûts et intérêts lectoraux relevant d’une façon de lire participative.

L’identification précise des œuvres qui relèvent de la littérature classique, des « grands auteurs », est en revanche rare. Seuls peuvent le faire les enquêtés qui ont construit une façon de lire analytique-stylistique et qui ont perçu et mémorisé les perspectives d’études des œuvres définies par les enseignants : caractérisation d’un style, identification des spécificités d’un genre, contextualisation historique de la production des œuvres littéraires, etc. La variation des perspectives d’études mémorisées est en partie liée aux options pédagogiques mêmes des enseignants fréquentés et, à la plus ou moins grande explicitation de ces perspectives d’études 667 .

Parmi ces différentes perspectives, la caractérisation stylistique ou générique des auteurs est la mieux partagée (par les quelques enquêtés concernés). Plusieurs associent Molière au terme de « comique » ou se souviennent, comme Livio, que « Balzac ! I fait trois tonnes de descriptions... ». Certains déclarent avoir entrevu le « style » d’un auteur à l’occasion de l’étude d’une œuvre. Il en va ainsi de Marie à propos de Racine :

‘« j’avais déjà étudié Iphigéniel’année dernière donc, je connais pas Racine, mais je connais un p’tit peu le style quand même(ouais), donc ça... ’fin c’est la tragédie et tout ça... » (Marie ; père : gestion de production, « fac » ; mère : comptable, BEP puis cours par correspondance)’

Plus rares sont ceux qui évoquent simultanément différents auteurs sur la base de spécificités stylistiques proches ou qui réfléchissent sur les variantes d’une esthétique à partir des procédés stylistiques présents dans les œuvres. Ainsi Maxence compare Balzac et Proust pour la longueur de leurs phrases. Lagdar se souvient de la dimension fantastique d’œuvres d’auteurs plus (re-)connus pour leur réalisme :

‘« (y a parfois des... des moments où tu lis et tu trouves les textes difficiles, ou euh... ?) mouais... Balzac (ouais ? Pourquoi c’est plus ?) c’est sur la longueur des phrases je trouve. Et puis des fois, et puis même Proust une fois on a étudié un passage avec le prof de français... c’était dur à comprendre... (c’était quoi ? Tu te souviens ?) c’était le... La Recherche du temps perdu(ouais) et bon... ! (ça parlait de quoi ?) je sais plus... [petit silence] Je sais pas ! En fait c’était le... je sais pas... sur le paragraphe y avait deux phrases... Et Balzac, c’est un peu pareil aussi ! » (Maxence ; père : magistrat, ENM ; mère : femme au foyer, elle a été attachée d’études dans le privé ; a fait des études de droit)’ ‘« [Recherchant les livres fantastiques lus durant le collège] Un livre... c’était sur... La bête  [ humaine ] ! La bête... ça parlait... je sais pas ce que c’était... Zola je crois que c’était... La Colline ! La Colline de... Jean Giono(ouais) Et ben... ouais, ça ça fait un peu fantastique... ça parle du Diable... ça fait en fait des métaphores et... Tu vois j’aime pas trop aussi quand ça fait... des métaphores entre le Diable, ou la mère... la mère et ben... qui... ç a fait des personnifications et tout, tu vois j’aime pas trop. » (Lagdar ; père : ouvrier chaudronnier en invalidité ; mère : femme au foyer ; pas de scolarité supposée en Algérie)’

Quelques-uns appréhendent relationnellement des œuvres et des genres qu’ils ont étudiés au collège. Certains, comme Nils et Nadine par exemple, font le partage au sein de la production théâtrale entre les comédies et les tragédies :

‘« (entre... ces différentes pièces [de Molière et Musset], y en avait que... t’aimais mieux que d’autres, ou... ?) ben en fait, ça dépend parce que... comme je les ai lues y a longtemps... j’avais pas le même point de vue sur les pièces donc... C’est sûr que quand on est en cinquième, on aime mieux les pièces... enfin les comédies et tout ça ! [petit silence] Voilà ! D’ailleurs toujours un peu mieux les comédies que les drames... ou bien que les tragédies mais bon... » (Nils ; père : ophtalmologue, doctorat de médecine ; mère : psychologue, nombre d’années d’études après le bac inconnu)’ ‘« [Le Cid] je l’ai étudié en quatrième mais c’était... l’une des/, si ce n’est la... première tragédie que j’avais à étudier et... Ouais, je trouvais que enfin... chaque mot avait son importance et... c’est ce qui rendait un peu plus tragique la pièce et bon... plus romantique aussi et... 'fin... des mots qu’on n’a pas l’habitude spécialement de voir dans... Molière ou... Voilà ! Qui sont plus farces ou... (ouais !) voilà quoi. Et je trouve ça... beau ([petit rire] Et vous l’avez étudié de... quelle façon ?) euh... pff’, alors Le Cid... (ça ressemblait un peu à l’étude de Bérénice [faite en seconde] ou... ou pas ?) euh... non, non c’était plus général en fait : parce que... ben déjà... comme on l’a fait en quatrième et que c’était notre première tragédie, on a en fait plus... étudié le sens du texte parce que c’était pas toujours évident de comprendre... que telle phrase ça voulait dire ça ou... telle autre ça voulait dire ça, parce que... on n’avait pas l’habitude du style... pièce comme ça quoi » (Nadine ; père : commercial en milieu scientifique, ingénieur chimiste, bac +5 ; mère : pharmacienne - chef de laboratoire, a travaillé longtemps pour l’agence française du médicament, est depuis peu à l’OMS -, études supérieures)’

Thierry est le seul enquêté à avoir mémorisé précisément et décrit comme telle, une autre modalité de mise en relation des œuvres qu’est l’identification d’un phénomène d’intertextualité :

‘« Ubu Roi, ouais, j’ai bien aimé parce que c’était assez, en fait, c’était... je sais plus quelle époque c’est ? C’est, ouais c’est... ? Ubu Roi, c’est de qui ces petits... ? (Jarry) ouais, voilà. C’est pas mal, ouais, parce que en fait c’était assez moderne ! Et je trouvais que ça c’est bien, j’ai bien aimé [...] c’était assez... assez vivant, je me souviens... (ouais ! Et par exemple, ça te faisait... Enfin, ça te faisait rire ou pas ?) ouais, Ubu Roi, ouais c’était... y a le... petit... ouais ! Le petit comique dedans, ouais, c’était marrant (qu’est-ce qui... ?) ben là parce qu’en fait dans Ubu Roi quoi c’est... 'fin ce qui est particulier dans cette pièce, c’est que c’est vraiment l’exagération parce que... c’était vraiment... comment dire ? Ben c’est ubu esque quoi c’est... c’était exagéré, donc ça c’était pas mal parce que c’était un style... assez particulier quoi. En fait c’est, ouais ! Y a pas d’autres livres comme ça quoi ! [pause] Je crois que c’était, ouais ! C’était une adaptation du... ben c’est de Shakespeare je crois (…) une satire, si c’était de Macbeth, je crois (ouais ?) ouais, voilà, en fait c’était une sorte de parodie, en fait, mais c’était bien ! (c’était votre prof qui vous avait indiqué ça ?) ouais. Hum. Ouais, mais en fait c’est vrai, j’avais un bon prof l’année dernière, qui faisait des trucs pas mal quoi (et i vous avait fait lire en parallèle... Macbeth ?) nan, on avait juste étudié un passage pour un peu voir... ouais les différences, et les... ce qui se rapprochait » (Thierry ; père : ingénieur EDF, diplôme d’ingénieur ; mère : femme au foyer, donne des cours de catéchisme, docteur en pharmacie)’

Peu d’enquêtés présentent les œuvres lues au collège en les ancrant dans la biographie des auteurs comme le font Marc ou Thierry en mentionnant, à propos d’Aliocha, l’origine russe de Troyat :

‘« l’an dernier, ouais, i fallait rechercher des informations [sur les auteurs], si. Et ça ouais, ça c’est pas mal. C’est pas mal, parce que bon on peut voir déjà... on peut faire un rapport entre le livre et l’époque. Et puis... voir en fait si l’auteur... il a écrit ce livre... par rapport à sa vie ou si c’est... son imagination. Ouais, c’est pas mal de... voir ça parce que des fois i z’écrivent des livres... parce que... i z’ont vécu ça dans leur vie [...] comme... Henri Troyat, j’avais étudié un livre, Aliocha. En fait... c’était une sorte de biographie, autobiographie. Euh... ouais, parce qu’en fait, il était d’origine russe et en fait... i racontait l’histoire d’un enfant russe, qui avait vécu... les révolutions russes. Mais enfin c’était... ouais i vivait pendant cette période [...] y avait un... rapport comme ça, ouais, entre en fait sa vie et... l’histoire en fait qu’il avait inventée [...] c’est intéressant de voir un peu pourquoi il a écrit ça parce que... Ouais, moi je m’en fous [de ce qu’il a vécu], euh... [rire des deux] Pourquoi il l’a écrit ou pas, mais c’est pas mal de comprendre [le lien] » (Thierry ; père : ingénieur EDF, diplôme d’ingénieur ; mère : femme au foyer, donne des cours de catéchisme, docteur en pharmacie) ’

Enfin, la contextualisation des œuvres, même minimale, avec le siècle ou la période de production, est exceptionnelle. Emilie  se souvient qu’elle « a fait » en français « des contes, là, de la Renaissance quoi mais je sais pas comment ça s’appelait... Le Roman de Renart aussi on a lu ». Jean fait exception en statuant sur les débuts de la « grande littérature » et en articulant histoire littéraire et hiérarchisation des œuvres :

‘« pour moi... la littérature, ça commence à Ronsard... avec... celle que j’aime hein, la littérature que j’aime... J’ai pas vraiment une grande expérience de livres hein... des romans tout ça. C’est Ronsard et... Ode à Cassandre pour moi, c’est là que ça commence (tu l’as lu quand ?) en... quatrième je crois. Ça c’est beau, franchement c’est un message... je crois que c’est le XVI e siècle [...] c’est un message qui... je sais pas... philosophique quoi c’est beau ! Dire... ‘‘Cueille le jour, profite de ta vie et... sois heureux !’’. C’est de la... y a un hymne au bonheur, 'fin je trouve ça fantastique [...] [cela change des] récits... historiques... racontés chez les... catholiques... des... Y a une espèce de... 'fin la littérature comment dire... ? Le fait que... Cassandre cueille le jour... c’est complètement... en dehors de Dieu... Dieu n’est pas là. Dieu... n’impose pas, enfin, Dieu, la Bible, et le catholicisme n’impose pas son flot de larmes... pendant tout sa vie pour pouvoir accéder au Paradis [...] Dans la littérature y a beaucoup de... - enfin dans ce que j’en connais - y a pas mal de... ces sujets abordés. Par exemple... je sais pas... Diderot... enfin en philosophe Diderot... ‘‘Il n’y a qu’un seul devoir, c’est d’être heureux’’. Ça c’est... ça c’est de la grande littérature ça » (Jean ; père : directeur marketing dans une entreprise pharmaceutique [note sur le questionnaire « cadre très sup »], doctorat de biologie ; mère : conseillère en formation pour cadres licenciés, bac, études supérieures « de base » en psychologie)’

La diffusion de la constitution scolaire d’une appréhension analytique de la production écrite, et de la littérature en particulier, est donc plus restreinte que celle des façons de lire analytiques présentées précédemment. Elle est socialement discriminée (et la discrimination est plus forte pour les filles). Elle apparaît aussi discriminée socialement lorsqu’on s’intéresse de près aux différentes déclinaisons de cette appréhension analytique de la littérature, liées à leur articulation ou non à une façon de lire analytique stylistique des œuvres. La classification et la hiérarchisation des auteurs étudiés en classe, comme l’association du nom d’un auteur à un style (ou genre, etc.), sont assez communes dans la population d’enquête 668 . En revanche les enquêtés qui opèrent des comparaisons entre auteurs, qui situent les genres les uns par rapport aux autres ou qui ont une vision historique de la littérature, sont essentiellement des enfants évoluant dans un univers familial familier de la culture littéraire (en fonction d’une trajectoire sociale et scolaire ou aussi d’une trajectoire lectorale) 669 et averti, si ce n’est convaincu, d’une échelle des légitimités littéraires (au vu des pratiques culturelles familiales déclarées, des incitations familiales à la lecture, des discours familiaux sur la littérature et la lecture, etc.). Cette caractérisation sociale laisse penser que la saisie de la logique scolaire de présentation des œuvres dépend en partie d’une connivence culturelle entre école et famille, d’une proximité des activités mises en place par les parents (sorties et pratiques culturelles, travail scolaire, etc.) pour que le hors école corresponde aux attendus scolaires (pour ne pas préjuger des goûts culturels familiaux et parentaux) ou d’une reprise familiale de cet enseignement 670 . En amont, la saisie de la logique scolaire de présentation des œuvres dépend de l’explicitation même de cette logique par les enseignants et, peut-être, de l’inégale évocation de celle-ci par les enseignants selon le public scolaire auquel ils s’adressent.

La constitution scolaire d’une appréhension analytique de la littérature permet d’inscrire l’appréhension analytique stylistique des œuvres dans une logique de connaissance de la production littéraire et de faire apparaître le sens scolaire des apprentissages scolaires 671 . De ce point de vue, son inégale constitution contribue sans doute à la variété des intérêts investis dans la scolarité et les apprentissages, en même temps qu’elle en rend compte.

En plus de l’intériorisation de l’appréhension scolaire de la littérature, la connivence culturelle entre univers familial et scolaire permet, en partie, de rendre raison de la constitution extra-scolaire d’une appréhension analytique de la production écrite.

Notes
664.

Ils rejoignent ainsi une première acception du terme même, Cf. A. Viala, « Qu’est-ce qu’un classique ? », op. cit., p. 6.

665.

Cf. Tableau : 8 filles et 10 garçons dont les parents possèdent au moins le baccalauréat, 2 filles et 6 garçons dont aucun des parents ne possèdent le baccalauréat.

666.

Cet enseignant recommandait à Tasmina de se réorienter en BEP du fait de ses difficultés en français. Souhaitant fortement faire une scolarité secondaire dans l’enseignement général, cette enquêtée a redoublé sa classe de seconde, cf. infra, chapitres 8 et 9. J’ai interrogé Tasmina dans le cadre d’une maîtrise de sociologie réalisée sur la perception des jugements scolaires par les élèves. J’ai effectué un deuxième entretien, l’année suivante dans le cadre de la présente recherche, entamée pour l’obtention du DEA.

667.

Les Documents officiels recommandent de ne pas toujours « dire » les perspectives d’études aux élèves de collège.

668.

F. de Singly constate la faiblesse du rapport cultivé au livre chez les collégiens : « Un cinquième des collégiens des classes supérieures (et 5 % des collégiens des classes populaires) sont capables de donner sans se tromper, la moitié au moins des noms d’auteurs. Contrairement aux adultes ayant intériorisé une vision cultivée de la culture et qui connaissent plus de titres et d’auteurs qu’ils n’ont lu de livres, les jeunes adolescents lisent sans prendre le soin (dans une optique légitimiste) de retenir les indications de la page de garde. », F. Singly, Lire à 12 ans, op. cit., p. 16. L’intérêt de ces constats ne doit pas évincer le fait qu’un rapport cultivé au livre ne se réduit pas à ces seuls indicateurs. Quelques enquêtés, comme Julie, manifestent l’oubli des titres ou des noms d’auteurs, mais d’autres éléments comme une connaissance de l’inégale légitimité des œuvres, l’évocation de perspectives d’étude (stylistiques, historiques, thématiques, etc.) permettent toutefois de reconstruire un rapport cultivé au livre.

669.

Ainsi il y a des parents non bacheliers qui incitent leurs enfants à lire, comme eux, des œuvres de littérature classique : c’est le cas par exemple des mères de Livio et de Jérôme.

670.

On verra dans la partie sur les lectures hors école de la littérature classique que cet enseignement peut même se réaliser essentiellement au sein des familles lorsqu’elles ont intériorisé et adhèrent à la légitimité culturelle littéraire traditionnelle. Il en va ainsi pour Esther dont la famille constitue une anti-chambre scolaire parfaite : une grand-mère professeur de français et un père possédant une licence de philosophie, tous les deux forts lecteurs et amateurs de littérature.

671.

La possibilité de donner un sens scolaire aux apprentissages qui semble nécessaire à leur réalisation est indépendante de la plus ou moins bonne volonté des collégiens souvent mise en avant par les pédagogues – même si elle peut y être combinée. Elle dépend en revanche toujours de la maîtrise de savoirs et savoir-faire scolaires.