a. la rareté des expériences globalement malheureuses

A première vue, l’appréhension des sollicitations lectorales scolaires de ces cinq enquêtés se distingue peu de celle des enquêtés indifférents du groupe précédent. Tout d’abord, ils ne constituent pas, non plus, un groupe homogène du point de vue de leurs caractéristiques sociales comme de leurs pratiques lectorales : ils lisent plus ou moins et ont connu des familiarisations avec la lecture différentes durant leur enfance. Ensuite, ils n’attendent aucune satisfaction lectorale des lectures scolaires mais l’attendent d’autres contextes de lecture et souvent de catégories de textes différentes de celles présentées en classe (des magazines, des récits ne figurant pas sur les listes de suggestion, des bandes dessinées, des ouvrages de référence, etc.).

Ainsi n’ayant lu que des œuvres de la littérature classique au sein des cours de français, Arthur a pris l’habitude d’associer cette catégorie de textes au contexte scolaire. Il associe en revanche la littérature jeunesse – A. Christie ou C. Doyle – au contexte extra-scolaire. C’est par l’intermédiaire de sa mère et de sa sœur qu’il a en effet lu des romans de ces auteurs :

‘« ([les romans de Christie et Doyle] ça c’est des livres que t’as étudiés en classe ?) nan !(nan ?) jamais [pause] Parce que... et du coup je lis tout seul, pendant les vacances... ou de temps en temps... (t’en as lu beaucoup ?) ouais quelques-uns ouais (hum... C’est récent que tu les lises, ou...) je sais pas, ça doit faire trois ans quèque chose comme ça... (ouais) [petit silence] donc c’est loin... (comment t’as... découvert ?) nan mais je connaissais, mais je voulais pas le lire, et pis je me suis mis un peu à lire, et puis voilà, quoi quand je m’y suis mis, j’ai trouvé ça bien » (Arthur ; père : dermatologue, doctorat de médecine ; mère : radiologue, doctorat de médecine)’

S’il avait été en classe avec Marie, Aïcha, Sylvia ou Bertrand, etc. qui ont découvert l’auteur anglais au sein des cours de français, Arthur aurait sans doute eu une autre perception d’Agatha Christie. Il ne l’associerait pas seulement à des lectures extra-scolaires. S’il apprécie peu les lectures réalisées au sein des cours de français, Arthur reconnaît en revanche avoir lu et apprécié la mythologie par l’intermédiaire de l’initiation au latin :

‘« j’aime assez les trucs de la mythologie et tout, j’avais acheté des livres... (ah ouais ?) ouais les trucs comme ça je sais que j’aimais bien quoi !(t’as découvert... en faisant du latin justement ? [il vient de me dire qu’il apprécie les textes étudiés en latin en seconde]) ouais ! Parce que notre prof... au collège, on faisait presque pas de grammaire, on passait tout notre cours à faire de la mythologie... tous les mots qui venaient du latin et ça tout le long quoi ! (hum) donc en fait c’est comme ça que j’ai découvert quoi (c’étaient quoi les livres de mythologie que t’avais achetés ?) je sais pas c’est un truc sur les dieux gréco-romains... et les trucs comme ça quoi ! Des histoires... style... [inaudible] ou les trucs comme ça [...] (tu te souviens du... titre ?) du titre même du livre, non ! (nan ? c’était pas Les Métamorphoses ou un truc comme ça ?) nan c’est, nan le livre que j’ai un livre/ Euh ouais c’est d’Ovide ça (ouais) ouais non... j’ai pas lu... Nan mais... des fois c’étaient des trucs... mais des fois y avait... plusieurs extraits de... des fois c’étaient des p’tites histoires qui devaient prendre je sais pas cinq six pages(ouais) et tout plein... de p’tites histoires comme ça quoi ! (ouais)de différents auteurs... et tout » (Arthur ; père : dermatologue, doctorat de médecine ; mère : radiologue, doctorat de médecine)’

Par ailleurs, la configuration familiale dans laquelle cet enquêté évolue ne l’a pas conduit à lire de la littérature classique hors école. Bien qu’encourageant Arthur à lire de la littérature, sa mère, grande lectrice, a noué des sociabilités lectorales plus intenses avec sa fille aînée, et se fait moins insistante auprès de ses cadets (Arthur et sa sœur jumelle). Le modèle de lecteur que lui offre son père, partenaire privilégié de sociabilités lectorales, l’amène à lire d’autres catégories de textes. En effet, son père ne lit pas de littérature mais feuillette régulièrement des magazines, professionnels ou non. Arthur se plaît à lire les magazines auto paternels et achète des magazines liés à ses propres intérêts (non professionnels mais scolaires ou sportifs). Avec sa sœur jumelle, qui ne lit pas non plus de littérature classique en dehors des prescriptions scolaires, Arthur entretient des sociabilités autour des bandes dessinées et des romans de littérature jeunesse ou de romans ne figurant pas sur les listes de suggestion. En dehors de la lecture, les parents d’Arthur favorisent sa pratique de nombreuses activités : sportives (tennis, ski et snow) et musicale. Arthur fait du violon depuis son enfance (partitions et pupitre occupent une place de choix dans la chambre de l’enquêté où nous avons réalisé l’entretien). Par ailleurs, la lecture de magazines n’est pas la seule activité au centre des sociabilités père/fils, la télévision et les programmes sportifs la devancent nettement : Arthur et son père regardent ensemble les programmes d’Eurosport et Canal +. Par le biais des membres de sa famille, Arthur n’a été conduit ni à investir particulièrement le répertoire classique, ni à reconnaître la légitimité de sa lecture. Les parents d’Arthur, qui ont tous les deux fait des études de médecine, le soutiennent dans son désir de devenir chercheur en biologie. Ils encouragent son investissement dans les disciplines scientifiques en lui conseillant de lire ses manuels et de réaliser des exercices supplémentaires, de s’entraîner à l’exercice d’apprentissage par cœur, etc.

Mais, cette répartition des attentes lectorales selon les contexte scolaire et extra-scolaire que connaissent, comme d’autres, ces cinq enquêtés, n’implique pas mécaniquement une expérience malheureuse des sollicitations lectorales scolaires. Elle se combine en effet à d’autres éléments.

Ces cinq enquêtés se singularisent par l’intériorisation d’une invalidation professorale de leurs compétences lectorales et scolaires en français (et ses effets sur la présentation et représentation de soi comme lecteurs) d’une part, et par l’évocation de relations difficiles instaurées avec les enseignants évaluateurs d’autre part.

Pour la période collégienne et parfois aussi primaire, ces enquêtés évoquent les mauvais résultats obtenus en français à des travaux d’écriture, de maîtrise de la langue ou de lecture. Ils se présentent comme fortement récalcitrants à cette discipline. Ainsi Myriam déclare « le français je... c’est une matière que je déteste (ah ouais ?) j’ai jamais aimé le français [...] j’ai jamais été bonne en français d’ailleurs ». Pour sa part, Sophie se décrit en disant :

‘« moi en français je suis pas très très... très bonne, c’est pas grave [petit rire] [...] j’ai jamais aimé le français [petit rire](c’est vrai ? tu te souviens de prof... avec qui c’était pire ou...) que j’aimais pas du tout (ouais) euh... en sixième (ouais) En sixième j’avais... zéro de moyenne en orthographe(ouais) j’ai mon bulletin c’est vrai en plus [petit rire] J’avais zéro carrément, mais avant c’était... je sais pas, orthographe, grammaire et tout. Donc ça c’était encore pire : j’avais zéro en orthographe, huit en grammaire et puis... six en rédaction et... voilà quoi ça f’sait comme ça » (Sophie ; père : médecin, doctorat de médecine ; mère : sans profession, garde des enfants à domicile, a été laborantine, bac technique ; elle vit avec sa mère, parents séparés depuis l’âge de 5 ans)’

Didier insiste pour que sa distance à la discipline figure nettement dans la thèse « notez-le hein, mettez-le en majuscules gras... ‘‘Didier est un... anti-littéraire !’’, ça sera fait ? (ce sera fait [petit rire]) ». Arthur euphémise ses réserves à l’endroit du français par l’usage de la forme passive et la mobilisation d’un pronom impersonnel. Cependant, il ne masque pas ses difficultés dans la matière : « le français c’est quand même une matière qui euh... qui est pas forcément toujours très... très aimée quoi, parce que c’est une matière difficile ». Franck se définit comme « logique » – qualité qui s’oppose selon lui aux compétences nécessaires en français – et précise « moi je suis nul en français ! ». Il relate par ailleurs sa difficulté à répondre aux questions posées sur La Promesse de l’aube lors d’une vérification de lecture :

‘« La Promesse de l’aube ! [...] [je l’ai lu] y a deux ans je crois ! [...] [l’auteur c’est] Romain Gary. Et... je me suis dit ‘‘P’tain c’est la première fois que je lis... qu’on me donne l’occasion de lire un livre de 400 pages... i faut que je lui lise...’’ [petit rire des deux] Je suis arrivé à la fin... J’étais dégoûté... ! [...] un aviateur... Mais i parlait de son enfance jusqu’à sa mort... Putain mais... pff’... je m’en foutais. Et en plus le DS... ! [ il fait la moue] ‘Expliquez le titre’’. Oh là là... La Promesse de l’aube... Je crois que j’ai jamais su comprendre moi. J’ai jamais su répondre à la question en fait ! Je sais pas ! Je connais même pas la réponse... [...] je crois que j’avais eu sept ou huit, là ! Pff’... Franchement... vraiment quèque chose... d’horrible ! » (Franck ; père : « directeur commercial, ingénieur en bâtiment », arrêt des études en 4ème ; mère : programmeur, arrêt des études en 3ème)’

Ces enquêtés dressent des portraits non nuancés de leur expérience des sollicitations lectorales scolaires. Celle-ci n’est contrebalancée ni par les expériences ponctuelles divergentes pourtant relatées ni par les satisfactions lectorales parfois éprouvées (cela pointe encore la dissociation possible des satisfactions lectorales et de l’expérience des sollicitations). Ainsi Franck ne cristallise pas son expérience des sollicitations lectorales scolaires sur son appréciation du Dernier jour d’un condamné. Arthur ne s’arrête pas plus sur son appréciation des extraits lus autour d’Œdipe qui satisfont ses attentes lectorales élaborées au sein des cours de latin :

‘« (Et en français vous en avez jamais étudié... des his/... trucs de mythologie comme ça ?) nan. L’année dernière on avait fait des trucs du style... avec Œdipe et tout... un peu en cours... (ouais) mais on avait vu des p’tits extraits en fait. Mais sinon non, généralement non... (et là ça te plaisait aussi ou ça te plaisait pas trop du coup ?) nan nan si ça me plaisait bien ça à faire. J’aimais bien... (ouais ! [petit silence] Même si c’était en français ?) ouais ! Ouais... [petit rire des deux] » (Arthur ; père : dermatologue, doctorat de médecine ; mère : radiologue, doctorat de médecine)’

L’inutilité qu’Arthur trouve à l’apprentissage de certaines scènes de théâtre (vs les leçons de latin) fait passer au second plan son appréciation même du comique de Molière 749  :

‘« (tu m’avais dit que t’avais étudié... aussi par le passé... des autres pièces de... Molière) hum hum [petit silence ; moue] ([petit rire] Qu’est-ce que... comment vous les étudiiez, pareil queDom Juan ?) ouais, pareil ! (ouais ?) p’t-être un peu moins... d’extraits (ouais) et euh... mais quand on étudiait des extraits, c’était plus facile(sinon, vous deviez faire... vous deviez par exemple les apprendre aussi ?) ouais ! Ouais, des fois y avait des passages à apprendre... (hum. Et ça, t’aimais pas, pareil ?) ben en fait... ça sert à rien d’apprendre des passages quoi ! C’est surtout ça... c’est que ça nous sert vraiment à rien ! » (Arthur ; père : dermatologue, doctorat de médecine ; mère : radiologue, doctorat de médecine)’

Les enquêtés pointent en outre l’exceptionnelle relativité de l’évaluation en français 750 . Franck se souvient qu’il demandait à d’autres enseignants d’évaluer ses copies en troisième. Arthur décrédibilise même les bonnes moyennes obtenues en troisième :

‘« ma première troisième... la prof qui me détestait ! Avec elle j’avais cinq ! En français ! Parce que vraiment elle me détestait (ouais) elle m’en/... Parce que en fait, je les faisais corriger par une prof, elle me mettait... l’autre prof elle me mettait neuf, dix !(ouais ?) ma prof de français elle me mettait cinq... ! [petit silence] Et comme... donc ouais ! A chaque DS elle m’enlevait cinq points parce qu’elle m’aimait pas (hum) et bon... le seul truc [sourire] là où elle a pas vu le truc, elle a pas eu de chance ! Je l’ai remarqué en fait c’était au brevet blanc [fin d’une face ; il dit qu’il a eu une meilleure note à ce brevet blanc] [...] j’ui dis ‘‘C’est pas vous qui m’avez corrigé’’ [je ris un peu] Ouais et putain elle était verte et... à chaque fois elle trouvait un truc [petit silence] J’étais jamais vraiment bon, mais elle... à chaque fois elle me mettait cinq ! » (Franck ; père : « directeur commercial, ingénieur en bâtiment », arrêt des études en 4ème ; mère : programmeur, arrêt des études en 3ème)’ ‘« en fait noté [en français], pff’, c’est assez personnel aussi, c’est le prof... ça dépend du prof... parce que je sais que moi j’avais des mauvaises... moyennes en sixième, cinquième(ouais)après j’ai eu des profs où j’ai eu des bonnes moyennes et au brevet j’ai eu une mauvaise moyenne 751 parce que c’était encore différent (hum hum) en fait, ça dépend assez des profs... [...] je me disais bien que l’année dernière avec mon 16 de moyenne, c’était pas vraiment ça quoi ! [ sourire](hum hum) mais en fait, ouais, ça c’est à peu près ce que je vaux quoi les onze... onze, douze quoi ouais c’est à peu près ça [...] [en troisième] j’avais une prof, la plus mauvaise note que j’avais en faisant... un hors-sujet, j’avais eu onze... donc... bon l’année dernière, j’ai eu trois 17 sur l’année... (hum hum) mais c’étaient vraiment des trucs tout tordus quoi hein [sourire] (hum hum) et i faut quand même pas exagérer » (Arthur ; père : dermatologue, doctorat de médecine ; mère : radiologue, doctorat de médecine)’

Ces enquêtés mettent en avant des relations difficiles nouées avec des enseignants 752 dont les propos ont pu être reçus comme assignation identitaire 753 . Ainsi Franck rend compte des relations pour le moins tendues avec son enseignante de français de troisième. Sur la base de ses résultats en français, celle-ci mettait en doute sa pratique théâtrale hors école (Franck n’a suivi cette activité qu’une seule année) :

‘« en troisième, j’avais une prof de français qui me détestait [...] Elle avait pris un rendez-vous avec ma mère... Elle me dit ‘‘Votre fils, j’ai horreur de lui... je peux pas le voir !’’. Elle me dit ‘‘C'est un cancre, il arrivera à rien’’, tout ça [...] elle apprend que je fais du théâtre... alors là... [mimique de l’étonnement incrédule :] ‘‘I fait du théâtre, mais il est nul en français, je comprends pas et tout !’’. J’ui dis ‘‘Parce qu’on est obligé de faire du français pour faire du théâtre ?’’. Elle me dit ‘‘Ben normalement c’est comme ça... les scientifiques, i font jamais de théâtre et tout, i sont trop comme ça’’ [ie. rigides]. Enfin je sais pas... [il hausse les épaules, mimant sa réaction aux propos de son ancienne prof de français ; je ris] ‘‘Ben je suis désolé, j’aime bien le théâtre, moi’’. » (Franck ; père : « directeur commercial, ingénieur en bâtiment », arrêt des études en 4ème ; mère : programmeur, arrêt des études en 3ème)’

Arthur pour sa part garde un mauvais souvenirs de son enseignante de sixième :

‘« y a vraiment des profs que... qui prennent la tête ! Surtout en français... (hum [...] toi t’en as eu en français qui t’ont pris la tête ?) ouais ! Ouais... (pourquoi i te prenaient la tête ?) ouais mais au collège parce que... i s’excitaient [...] y a vraiment des profs... qui nous la faisaient aimer encore moins quoi [cette matière] (ouais)i dégoûtaient vraiment. Tandis que là... si vraiment elle voit que... qu’on n’y arrive pas, après [madame D] elle essaye d’aider et tout, mais... Elle s’excite pas sur les élèves (ouais. Toi y a eu des profs qui euh...) ouais (qui essayaient pas d’expliquer) ouais ouais [petit rire](c’était sur quoi que... qui était difficile ? que tu trouvais difficile ou... /) / nan mais je sais pas ! / (/ que t’y arrivais pas /) / vu que c’était y a longtemps ! (que c’était difficile)moi c’était ma prof de si/... [ sourire] de sixième plutôt [ petit rire] C’était y a longtemps, mais bon... Sinon après, après c’est vrai que ça s’est un peu calmé quoi (hum) mais sinon c’est vrai qu’en sixième... (c’était plus sur la lecture ou... plus sur la grammaire... et tout) sur l’écrit surtout, ouais sur les rédactions... (que t’arrivais pas trop à... ou elle elle aidait pas, elle expliquait pas bien quoi) non je sais pas, pff’... je crois qu’elle expliquait pas bien, pis comme j’y arrivais pas vraiment... ça allait pas quoi [petit rire des deux](c’étaient quoi les p’tits, les exercices de rédaction, tu te souviens ?) pff’... (genre des sujets d’imagination ou euh...) ouais ! ou... faire des suites... des trucs comme ça quoi ! » (Arthur ; père : dermatologue, doctorat de médecine ; mère : radiologue, doctorat de médecine)’

Evaluations négatives ou non fiables et relations tendues avec les enseignants ont contribué à forger des dispositions peu amènes de ces enquêtés à l’endroit du français et de la lecture littéraire. Pour Myriam et Franck, les évitements des recommandations lectorales scolaires prennent une connotation de résistance à une injonction professorale qu’ils ne recouvraient pas pour Ahmed, Farid ou Radia (ces enquêtés jouaient pour leur part avec la moindre surveillance professorale des lectures). Ils déclarent n’avoir pas lu certaines œuvres littéraires recommandées par refus de lire des textes ne correspondant ni à leurs intérêts et goûts lectoraux ni à leurs préoccupations :

‘« [au collège, des livres] j’ai dû en lire... je sais pas... très peu j’ai dû lire(hum hum) parce que je... on me disait de les lire mais... C’est ou je lisais... quelques pages ou... j’en ai jamais lu... vraiment un entier [...] j’en ai lu mais... y en a vraiment... aucun qui m’avait intéressé hein (ouais !) ah ouais mais vraiment... pff’ ! (tu te souviens les... ceux que t’as lus ? Dans ceux-là ?) ceux que j’ai lus, ben j’ai lu... L’Ami retrouvé j’ai lu ! (ouais... ?) lui je l’ai lu mais bon... ça m’a pas intéressé [...] C'est vraiment ben c’est... l’histoire. Moi, même, tout ce qui est... je trouve : lire... pour moi c’est vraiment pénible... C’est tellement une épreuve pour moi de lire que... je sais, je cherche même pas à savoir si c’est bien ou pas c’est... dès que ça passe pas, ça passe pas ! (ouais !)je cherche même pas à rentrer dans le livre c’est... Et même si la première phrase... la première phrase elle me plaît pas ça va pas ! Ah ouais c’est... (hum hum) ça... moi c’est vite fait hein c’est... première phrase ! J’aime pas : ciao ! Ouais je cherche même pas à prendre, à aller plus loin parce que ça ma saoule » (Franck ; père : « directeur commercial, ingénieur en bâtiment », arrêt des études en 4ème ; mère : programmeur, arrêt des études en 3ème)’ ‘« [par le biais des cours de français au collège] j’ai jamais vraiment lu, vraiment des livres [...] Je te dis moi je suis pas... je suis pas lecture(ouais)je lis que ce qui m’intéresse, ce qui m’intéresse pas, je cherche même pas à connaître(ouais) le titre du livre, c’est clair [ça m’arrête] » (Myriam ; père : artisan plombier ; mère : aide une personne âgée ; scolarité des parents en Algérie non précisée)’

Comme leur portrait d’élèves de français, les expériences qu’ont eu ces enquêtés des sollicitations lectorales scolaires sont lissées. Elles paraissent globalement malheureuses, ne leur apportant ni satisfactions lectorales, ni validations susceptibles de réparer des invalidations traumatisantes. Contrairement à la plupart des enquêtés, Sophie, Myriam, Arthur, Didier et Franck n’ont pas eu l’occasion, durant la période collégienne, d’appréhender les cours de français comme un contexte exempt de tensions et propice à la lecture. C’est seulement hors école que leurs habitudes lectorales ont été validées (par leurs pairs ou leurs parents, grâce à des textes leur apportant des satisfactions lectorales, etc.).

Beaucoup plus nombreux sont les enquêtés qui ont connu des déconvenues ponctuelles au sein des cours de français même s’ils ont eu une expérience globalement heureuse des sollicitations lectorales scolaires et ont construit le contexte scolaire comme un lieu possible de reconnaissance de leurs compétences et habitudes lectorales. L’analyse de ces déconvenues ponctuelles fait apparaître leur articulation à une contestation de l’autorité pédagogique – lorsque les pratiques professorales ne correspondent pas aux attendus des élèves de l’enseignement de français – et à des invalidations particulières de leurs compétences lectorales.

Notes
749.

En revanche, en seconde, il apprécie le latin et reconnaît l’intérêt des apprentissages par cœur effectués pour cette discipline. Plus qu’une familiarisation avec la langue latine peut-être parfois présente au cours des études de médecine, ce sont les techniques d’apprentissage par cœur qu’Arthur valorise : « Je suis monté jusqu’à 18 et demi en latin [...] (Et vous devez faire quoi en latin ?) Ben en fait... on étudie un texte, et après... on est censé l’apprendre par cœur. I faut apprendre une traduction (ouais) toutes les analyses de logique (ouais) et elle nous demande des mots et on doit tout sortir : nature, cas, fonction , et tout... Et y a... si i nous manque un truc, on a zéro, et sinon on a un point... Et i faut tout sortir en fait ! (En fait c’est plus de l’apprentissage... et tout ça) Ouais voilà ! Mais en fait... au début je me suis dit que ça sert à rien d’apprendre comme ça par cœur (Hum hum) Et là je sais que on a eu un contrôle y a pas longtemps... où j’avais pas révisé les questions pour un certain nombre de p’tits trucs. Et en fait... si, ça va... parce qu’on acquiert des automatismes (ouais) Donc j’arrivais à sortir des fonctions et tout sans avoir vraiment révisé le texte ! Parce qu’en fait on acquiert vraiment des automatismes (ouais) Et c’est pour ça qu’en fait ça marche bien quoi ! Comme méthode ... » (Arthur)

750.

P. Merle, L’Evaluation des élèves. Enquête sur le jugement professoral, Paris, PUF, 1996, p. 133-137. L’auteur analyse les réponses qu’une enseignante formule face à une semblable mise en contradiction par un élève.

751.

La note obtenue en français au brevet des collèges inscrite sur le questionnaire distribué pour la prise de contact avec les enquêtés était 26/40.

752.

P. Merle, L’Evaluation des élèves, op. cit., p. 113-119. L’auteur analyse les effets réciproques de l’évaluation et de la relation maître-élèves. Il montre aussi l’importance des évaluations positives et des relations maître-élèves appréciées dans l’appréciation de la discipline par les élèves.

753.

Cela renvoie à ce que P. Bourdieu remarque à propos des actes d’institution produits par ceux qui ont la légitimité de le faire « assigner une essence, une compétence, c’est imposer un droit d’être qui est un devoir être [...] L’essence sociale est l’ensemble de ces attributs et de ces attributions sociales que produit l’acte d’institution comme acte solennel de catégorisation qui tend à produire ce qu’il désigne. », P. Bourdieu, Ce que parler veut dire, op. cit., p. 126.