Partie II. La lecture en seconde

Introduction

L’analyse de la constitution des habitudes de lecture durant la période collégienne effectuée précédemment nous permettra dans cette dernière partie, consacrée à la compréhension des lectures scolaires et extra-scolaires des enquêtés au moment de l’enquête, d’éclairer leurs réactions aux contraintes lectorales contextuelles auxquelles ils sont confrontés.

Plusieurs motifs nous ont amenée à prendre le contexte scolaire comme contexte référent. D’une part, le contexte scolaire de lecture constitue le contexte de lecture porteur des sollicitations lectorales contribuant pour une grande part aux pratiques de lecture des adolescents 769 . D’autre part, ce contexte bénéficie d’une légitimité institutionnelle pour l’enseignement, l’évaluation et la certification des habitudes lectorales. Enfin, contrairement aux contextes extra-scolaires de lecture qui sont hétérogènes en fonction notamment des caractéristiques sociales et lectorales de l’entourage des enquêtés, le contexte scolaire de lecture et les contraintes lectorales dont il est porteur constituent une expérience partagée par l’ensemble de la population d’enquête.

Prendre le contexte scolaire comme contexte référent ne témoigne d’un parti pris de valorisation ou de dévalorisation ni des contraintes lectorales dont il est porteur ni des contraintes lectorales potentiellement différentes portées par d’autres contextes de lecture fréquentés par les enquêtés. Cela découle en revanche de la reconnaissance de la spécificité objective de sa position sociale.

Partie prenante de la construction même de l’objet de recherche, une telle option a des implications multiples en termes d’actes de recherche. Il s’agit d’abord d’accorder une place particulière à l’analyse systématique des contraintes lectorales dont il est porteur. C’est l’objet du chapitre 6. Cette analyse est plus systématique que celle des contraintes lectorales extra-scolaires des enquêtés. Celles-ci seront rappelées au cas par cas dans les chapitres ultérieurs : lors de l’analyse des réactions des enquêtés aux contraintes lectorales scolaires et de la variation des façons de lire selon les contextes de lecture.

Suivant les arguments avancés par M. Weber pour la délimitation du matériau à partir duquel reconstruire l’ethos protestant, on a souhaité compléter l’analyse des contraintes lectorales scolaires par celle des habitudes lectorales mises en œuvre par les enquêtés. Le sociologue invite en effet à joindre à l’analyse des textes prescriptifs et des traités théologiques, celle de textes rendant compte des conditions de vie réelles des protestants :

‘« Récapituler encore une fois ici la question du fondement dogmatique de l’ascèse intramondaine nous mènerait vraiment trop loin : pour cela, il me faut renvoyer le lecteur à mon étude ; j’y indique aussi [...] que la question de savoir si cette base dogmatique était constituée par la doctrine calviniste de la prédestination ou parla dogmatique athéologique du baptisme n’était bien entendu pas sans importance pour l’orientation pratique de la vie, en dépit de tout processus d’assimilation des doctrines entre elles. [...] Un plus long développement nous mènerait ici trop loin. Mais je dois redire avec insistance que pour savoir si ces données fondamentales en matière de psychologie religieuse ont réellement agi sur la pratique de la conduite de vie dans la direction spécifique que j’ai affirmée, l’examen empirique de cette question ne s’appuie pas dans mes études sur des manuels de dogmatique ou des traités théoriques d’éthique, par exemple, mais sur des sources bien différentes : en particulier, les publications de Blaxter et Spener – sur lesquelles j’ai mis l’accent – reposent sur la cure d’âmes, c’est-à-dire essentiellement sur des réponses à des questions venant des bénéficiaires de la cure d’âmes et portant sur des aspects pratiques et concrets de leur vie. Ces textes représentent donc en termes de reflet de la vie pratique » 770

Dans cette perspective, l’analyse des contraintes lectorales scolaires – non seulement comme objectifs officiels, mais aussi comme actualisations concrètes au sein d’une relation pédagogique – ne suffit pas à saisir les effets réels de ces contraintes. On a donc travaillé à partir des entretiens réalisés avec les élèves pour étudier leurs réactions des enquêtés aux contraintes lectorales scolaires. Les chapitres 7 et 8 s’y attachent. Le chapitre 7 étudie les conditions de possibilité de réactions des élèves qui entraînent une relative reconnaissance scolaire de leurs habitudes lectorales. Leurs réponses correspondent aux attendus professoraux même s’ils empruntent parfois des voies illégitimes (copies d’autrui ou de commentaires publiés, non lecture intégrale des œuvres, etc.). Le chapitre 8 analyse les conditions de possibilité de réactions des élèves qui entraînent une invalidation des habitudes lectorales ou qui s’écartent des habitudes réclamées et attendues en situation d’évaluation.

Enfin, le chapitre 9 étudie les conditions de variations des façons de lire selon les contextes scolaire et extra-scolaires de lecture en éclairant particulièrement les réactions des enquêtés aux contraintes lectorales extra-scolaires.

Notes
769.

F. de Singly, Les Jeunes et la lecture, op. cit., p. 67-68 et 78 ; C. Détrez, Finie la lecture ?, op. cit., p. 194, l’univers scolaire est « tenu pour l’un des principaux stimulants de la pratique de la lecture, puisqu’il en est le prescripteur principal. »

770.

M. Weber, Sociologie des religions, Paris, Gallimard, 1996, p. 153-154.