2) Reconstruire les contraintes lectorales lycéennes connues des enquêtés à par­tir la relation pédagogique

Cette reconstruction n’est possible que par la mise en place d’un dispositif d’enquête particulier permettant l’analyse croisée des Documents officiels et des entretiens avec les enseignants de français des enquêtés ainsi que des observations de leurs cours. Une telle analyse éclaire tout ce qui ne se réglemente pas mais qui constitue pourtant aussi la relation pédagogique :

‘« Ce n’est que par une incessante et minutieuse objectivation de ces pratiques qui vont sans dire et qui ne sont jamais totalement appréhendables dans les codifications que l’école effectue sur elle-même [...] que l’on pourra appréhender les configurations de pratiques effectives (organisées dans des formes de relations sociales) les plus stables et invariantes qui échappent à la conscience immédiate » 774

En plus de retrouver les objectifs explicités et les activités pédagogiques recommandées et réglementées dans les Documents officiels, cette analyse croisée fait apparaître certaines modalités subreptices de l’enseignement littéraire. Il en va ainsi de ces petites phrases et de ces jugements de valeurs portés sur les textes qui parsèment les cours sans faire l’objet de cours 775 , ou de ces manières de gérer le déroulement d’une analyse de texte par l’humour ou par l’intonation de la voix professorale orientant les réponses, ou encore de ces manières de réagir aux différentes réponses des élèves – en les corrigeant, en les écartant, en les intégrant dans le fil de l’étude, en les validant –, etc.

Cette analyse croisée permet de montrer en outre comment la relation pédagogique au sein de laquelle se réalise la lecture scolaire caractérise profondément cette dernière et souligne son irréductibilité à des conceptions décontextualisées de la lecture, souvent maniées par les sociolo­gues : « lecture savante », « lecture esthète » ou « lecture lettrée ».

Par ailleurs, elle permet de saisir les modalités de l’enseignement de la lecture scolaire et l’articulation de différentes appréhensions des textes – analytiques et pragmatiques – dans le déroulement même des cours. Elle permet aussi de percevoir que la réalisation des lectures lycéennes s’inscrit au sein de relations d’interdépendance particulières, les relations pédagogiques, qui déterminent une répartition des tâches entre enseignants et élèves.

Notes
774.

B. Lahire, Culture écrite et inégalités scolaires, op. cit., p. 140.

775.

P. Bourdieu, Le Sens pratique, op. cit., p. 117 (et le chapitre 4 dans son entier).