a. les échanges avec les enseignants de français

Les contacts avec les enseignants de français des enquêtés ont permis de revenir sur l’enseignement dispensé : ils ont eu lieu à l’occasion d’entretiens, lors des rencontres avant et après certains cours observés et parfois lors d’activités réalisées en dehors de l’établissement scolaire.

On entendait produire un matériau systématique sur l’enseignement de la lecture littéraire dispensé par les enseignants en les interrogeant sur différentes aspects de leur pratique profession­nelle 776  : les activités scolaires mises en place pour mener à bien celui-ci ; les déroulements des cours et des séquences ; les textes travaillés en classe ; les outils pédagogiques utilisés ; les consignes précises données aux élèves ; les modalités de correction des activités réalisées en classe ; leur perception des réactions des élèves à cet enseignement, des difficultés ou des facilités que leurs élèves rencontrent, des niveaux de leurs élèves ; les modalités d’évaluation des élèves ainsi que les activités et pratiques diverses à partir desquels ils construisent leur perception des élèves ; les manières concrètes d’élaborer les cours (et les motifs de choix des textes et des méthodes de travail, etc.) ; leur rapport à cet enseignement et aux recommandations ministérielles relativement à d’éventuelles activités différentes autour des textes qu’ils encadrent, à d’autres pratiques qu’ils suggèrent ou supposent, ou à leur conception de la lecture extra-scolaire et des pratiques supposées de leurs élèves ; les difficultés ou facilités qu’ils éprouvent à réaliser cet enseignement. Des éléments sur les trajectoires universitaires et professionnelles des enseignants ont parfois complété ces informations.

Du fait de leur formation, de leurs pratiques professionnelles et des caractéristiques de l’enseignement scolaire dont les Documents officiels consignent les objectifs visés, les enseignants mettent aisément en discours leurs pratiques pédagogiques, l’enseignement qu’ils dispensent et les objectifs de ce dernier. Par ailleurs, des questions visant l’explicitation d’anecdotes, de scènes de vie de classe ont suscité des discours au plus près des pratiques réalisées, sur des réalités ne faisant pas toujours l’objet d’un retour réflexif, ni d’une explicitation liée aux objectifs officiels.

La position de l’enseignant dans la classe – spatiale et fonctionnelle – lui permet de percevoir certains aspects de la classe et du déroulement des heures de cours et non d’autres. On a donc réalisé des observations pour compléter les propos professoraux par un matériau produit à partir d’un autre point de vue : celui d’une enquêtrice assistant aux cours du fond de la classe, à côté des élèves. Ces observations n’avaient bien évidemment pas pour finalité l’élaboration d’un jugement évaluatif sur les manières d’enseigner des professeurs participant à l’enquête 777 .

Lors de ces observations, on a pris en notes les propos tenus sur les textes, les divers savoirs apportés pour éclairer les textes ou dans d’autres perspectives, ce qui était inscrit au tableau, dicté ou distribué et lu (les documents, les textes, etc.). On a veillé à spécifier les statuts des intervenants (enseignant ou élèves – nommément lorsqu’il s’agissait d’enquêtés interrogés –) et des interventions (sollicitées par les enseignants ou les élèves, prises de paroles réagissant à des propos tenus, etc.) ainsi que les inflexions des interventions (intonations, gestes accompagnant les propos, etc.). Les consignes de lecture, les documents distribués pour l’enseignement de la lecture, le déroulement des activités et la conduite des études de textes – sans minutage des activités –, ont également été retenus par l’observation. En plus de permettre de reconstruire l’enseignement dispensé en classe et les modalités par lesquelles il l’est, les observations ont permis d’appréhender la relation d’enseignement, les accords ou les désaccords entre élèves et enseignants, les difficultés ou facilités apparentes de l’enseignement et de l’apprentissage de la lecture au sein des cours de français. Enfin, pour préparer ces observations et saisir les échanges entre enseignants et élèves, on a lu le plus souvent les textes étudiés en classe (extraits ou œuvres intégrales) ainsi que les consignes de lecture données par les enseignants (questions posées sur les textes par exemple).

Les transcriptions de ces observations rendent compte des échanges entre enseignants et élèves autour des textes, c’est-à-dire des consignes concrètes par lesquelles se réalise l’enseignement de la lecture connu en seconde par les élèves enquêtés. En cela elles sont fort intéressantes et complètent de manière originale les matériaux produits en entretien et la lecture des Documents officiels. La comparaison, la confrontation et l’analyse des matériaux conduisent à relever et à citer certaines transcriptions, particulièrement significatives de l’objet de recherche. Comme les citations d’entretiens mettent en avant les propos significatifs pour l’enquête, les citations des transcriptions d’observation rendent compte des moments de l’enseignement qui, pour être essentiels à la compréhension des relations pédagogiques, ne sont ni isolés ni forcément mémorisés par les individus qui les ont vécus. Inscrits dans le cours des pratiques et des échanges pédagogiques, ils peuvent avoir été oubliés. Les propos qui étayent une analyse des contraintes lectorales scolaires et qui peuvent étonner, voire surprendre ou choquer le lecteur de la recherche – dans sa représentation des échanges pédagogiques –, n’ont pas toujours été fortement investis par les locuteurs, ni envisagés dans leur sens et implication pédagogiques.

Coupée et isolée du flux de la pratique, mise à l’écrit, inscrite dans une analyse particulière et éclairée par cette dernière, la réalité observée et étudiée a une existence et un statut nouveaux 778  : elle est matériau d’enquête. Mais, pas plus que les propos tenus en entretien ou les Documents officiels analysés, elle n’est déformée par l’analyse.

Notes
776.

Cf. en annexe le guide pour les entretiens réalisés avec les enseignants.

777.

Une telle utilisation d’observations de séquences d’apprentissage est donnée à voir dans M.-P. Schmitt, Leçons de littérature. L’enseignement littéraire au lycée, Paris, L’Harmattan, 1994, 207 p.

778.

P. Bourdieu, Le Sens pratique, op. cit., p. 136-142 (et le chapitre 5 en entier).