a. la place centrale de la « lecture méthodique » dans les textes de 1987-1995 781

Les Documents officiels de 1987 établissent comme « objectifs généraux de l’enseignement du français [...] la pratique raisonnée de la langue, la formation d’une culture, l’acquisition de méthodes de pensée et de travail. » Cet enseignement doit participer non seulement à la formation scolaire des élèves en les entraînant « progressivement aux exercices appropriés à leur âge et à leurs besoins », mais aussi à leur formation personnelle et citoyenne en les « ouvr[ant] à des perspectives culturelles plus larges » et en « les conduisant peu à peu à une autonomie mieux maîtrisée. »

Ces objectifs doivent se réaliser par le biais de différentes activités : certaines relèvent d’une pratique raisonnée de la langue et sont rattachées à la rubrique « expression et communication » des Documents officiels. D’autres activités relèvent de l’étude de textes, essentiellement littéraires. Celle-ci est présentée à partir des caractéristiques des textes étudiés, des « perspectives d’étude » de textes, et enfin des façons de lire exigées.

La pratique raisonnée de la langue prend place au sein de l’enseignement par le biais de différentes productions écrites ou orales auxquelles les enseignants consacrent des cours particuliers, notamment en modules qui accueillent la classe en demi-groupes. Ils apprennent par exemple à leurs élèves à construire/produire/écrire une argumentation : ils leur enseignent les différentes parties d’une introduction – accroche, problématique, annonce de plan. Ils les font s’entraîner à l’introduction de citations dans un commentaire. Ils les aident à réaliser des recherches nécessaires pour étayer une argumentation, etc. 782 On ne s’attacherait à la pratique raisonnée de la langue que lorsqu’elle est articulée à l’enseignement de la lecture. Cette articulation n’est pas rare parce que la maîtrise et l’observation de la langue se réalisent notamment par la lecture et l’étude de textes et, surtout, parce que l’étude de textes requiert une connaissance de la langue, « de la morphologie, de la syntaxe et de l’orthographe entreprise à l’école et au collège » (IO 1987, reprise en 1995) dont l’enseignement se prolonge au lycée. En effet la façon de lire exigée, nommée en 1987 « lecture méthodique », repose notamment sur l’étude et l’observation des faits de langue (linguistiques et stylistiques), des unités plus petites qui composent les textes (les phrases, elles-mêmes composées de groupes de mots et mots).

En plus de l’observation des faits de langue, la lecture méthodique s’appuie sur une analyse de la composition du texte étudié et consiste en « la construction progressive d’une signification du texte à partir d’hypothèses de lecture dont la validité est soigneusement vérifiée » 783 . Il est proposé d’élaborer ces hypothèses à partir de différentes « perspectives d’études » telles que les conditions historiques de production et de réception des œuvres, les formes et genres littéraires ainsi que les types de textes, les spécificités des langages (littéraires, plastiques, visuels, etc.) et les « réflexions sur les principes, sur les réalités de la vie sociale, politique et civique et sur leurs représentations ». Des questions plus rapides sont aussi suggérées pour élaborer des hypothèses de lecture : « de quoi s’agit-il ? qui voit ? qui parle ? à qui ? où ? quand ? comment ? ». La lecture méthodique doit aboutir à la « constatation, dans une synthèse, de l’unité complexe et profonde du texte ou de l’œuvre ». De plus, comme le notent C. Baudelot et M. Cartier 784 , la lecture méthodique est définie dans les Instructions officielles, par ce qu’elle « refuse » (paraphrase, étude linéaire, intention supposée de l’auteur, dissociation du contenu et de la forme, commentaire de sympathie ou panégyrique), en prenant ses distances avec des modalités antérieures de l’explication de textes et en transposant, dans une logique didactique, des savoirs des différentes sciences du texte.

L’étude de textes s’empare de textes non isolés mais issus d’un groupement organisé autour d’une thématique ou d’une problématique littéraire (pour saisir par exemple l’évolution d’un genre ou d’une forme). Ils peuvent être aussi issus d’une œuvre intégrale étudiée.

Les Instructions officielles déclarent que « C’est en classe de Seconde que se joue l’accès décisif à la littérature » (p.17). Au vu des recommandations de méthodes on peut dire avec C. Détrez que si « l’école primaire et le collège apprennent à lire, le lycée, quant à lui, apprend à lire la littérature, ce qui nécessite d’autres compétences » 785 lectorales. Si l’accès à la littérature en seconde est défini comme décisif, c’est aussi que l’enseignement de la littérature porte alors sur un répertoire plus circonscrit et appréhendé à partir d’une histoire littéraire académique.

Les Documents officiels de 1987 préconisent pour la classe de seconde l’étude des XVIe et XVIIe siècles à partir de textes de Montaigne ou Pascal notamment et d’au moins une œuvre théâtrale de Racine, Corneille ou Molière. Ils commandent aussi l’étude d’ensemble de romans du XIXe, de textes poétiques des XVIe, XIXe ou XXe siècles et d’une œuvre du XXe siècle. L’encart de 1995 apporte quelques modifications aux Textes de 1987. L’« enseignement de la littérature » prend appui sur un ‘‘programme de lecture’’ qui « ménage un équilibre entre les siècles [...] [le professeur] aide l’élève à construire progressivement ‘‘une perspective d’ensemble sur la littérature, du Moyen Age à l’époque contemporaine’’ » (BIR, p. 7) 786 . Ce programme de lecture vise à « fixer dans l’esprit des élèves les principaux repères chronologiques, pour leur faire acquérir le sens de la diachronie littéraire » (BIR, p. 6). En outre, « l’élève doit avoir été initié à l’étude des principaux genres, aux notions de récit et de discours, à la rhétorique de l’argumentation, aux procédés stylistiques les plus courants ». De ce point de vue, l’année de seconde est présentée comme une « propédeutique à l’année de Première », même si la lecture des œuvres des XIXe et XXe siècles est toujours préconisée en début d’année pour leur accessibilité reconnue.

Cet encart mentionne aussi les transformations de l’enseignement de seconde qu’appellent les modifications de l’épreuve anticipée de français. Le remplacement du sujet résumé/vocabulaire/ discussion par l’étude d’un texte argumentatif (questions sur le texte et production d’une argumen­tation) commande l’étude de la rhétorique argumentative. Le sujet d’essai littéraire demandant la production d’un travail à partir d’une œuvre intégrale étudiée en classe de première réclame une familiarisation avec l’étude d’œuvre intégrale. Le sujet de commentaire, dont l’énoncé contient des questions d’observation et la demande de production d’un commentaire à proprement parler, nécessite une maîtrise des faits de langue et des faits stylistiques à observer.

Notes
781.

Ministère de l’Education nationale, Français. Classes de Seconde, Première et Terminale (1987), CNDP, rééd. 1995, p. 15-28.

782.

Les enseignants insistent moins sur la lecture à proprement parler lorsqu’ils mettent en place l’enseignement de la rédaction. Il en est ainsi des exercices d’écriture se rapprochant de l’exercice d’amplification qui se pratiquait à la fin du siècle dernier : les élèves doivent développer des thèmes proposés en soignant la rédaction ; différents types de textes (narratif, descriptif, argumentatif, etc.) peuvent être travaillés. La recherche d’idées (qui est liée à la pratique d’une certaine façon de lire) et leur organisation ne sont alors pas ce sur quoi les élèves travaillent. Monsieur C par exemple entraîne de la sorte ses élèves à la rédaction d’introductions ou de conclusions de commentaires. Les élèves disposent du poème commenté, des éléments devant figurer dans l’introduction et doivent s’exercer à faire de ‘‘belles’’ phrases avec ces différents éléments. L’enseignant corrige alors plus les tournures des phrases que leur contenu (donné aux élèves).

783.

Ministère de l’Education nationale, Français. Classes de Seconde, Première et Terminale (1987), op. cit., p. 20, on souligne.

784.

C. Baudelot et M. Cartier, « Lire au collège et au lycée : de la foi du charbonnier à une pratique sans croyance », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 123, juin 1998, p. 37.

785.

C. Détrez, Finie, la lecture ?, op. cit., p. 451-452, on souligne.

786.

Ministère de l’Education nationale, BIR n° 18 du 09/01/1995.