a. au fil du XIXe siècle, l’explication latine modèle de l’explication française : opacité des textes, élucidation du sens et récitation des connaissances

Depuis 1803, une liste d’auteurs et d’œuvres français, comportant essentiellement des auteurs du XVIIe siècle, fixe le programme des classes d’Humanités (petites classes) au cours desquelles s’effectue l’enseignement de la langue. A partir de 1840, l’épreuve orale d’explication française figure au baccalauréat et l’histoire littéraire est matière d’enseignement. Le XVIIe siècle occupe une place majeure : les esthétiques sont pensées à partir de l’esthétique classique, indépassable modèle de perfection. Toutefois, jusqu’en 1880, le latin, le grec et la rhétorique constituent les fondamentaux de l’enseignement secondaire. Bien que nourrie d’une histoire littéraire, l’explication française consiste surtout 790 à expliquer des textes, à les traduire et à observer leurs tournures grammaticales en référence aux pratiques effectuées depuis longtemps sur des textes latins 791 .

Si la version et le thème constituent alors « le cœur de la leçon », l’exercice d’explication/ traduction de textes latins figure depuis longtemps à leurs côtés. C’est sur lui que se modèle l’explication française. Réalisé à l’oral, cet exercice autorise une moindre exigence et une moindre codification quant à la formulation du commentaire. Cependant, il vise l’enseignement d’une méthode d’analyse et la constitution d’une habitude de soumission à une démarche méthodique. Un suivi strict des étapes est en effet préconisé : lecture, étude de la construction du texte, explication au mot à mot, observation de la langue, repérage de principes de grammaire et explicitation des détails historiques, géographiques, philologiques ou anecdotiques affinant l’intelligence du texte. Des effets d’éducation et pas seulement d’instruction sont attendus de cet exercice qui s’effectue, en outre, sur des textes conformes à l’éducation morale souhaitée. Par ailleurs, l’explication des textes latins est l’occasion de réciter les règles de grammaire mémorisées (plutôt que d’étudier la singularité des passages) et d’assimiler de nouveaux mots et de nouvelles tournures en vue des productions écrites ultérieures demandant l’imitation des auteurs 792 .

Construite dans cette filiation, l’explication française est alors justifiée comme pouvant éclairer des textes qui, pour être de langue française, n’en sont pas moins difficiles d’accès, comme les œuvres des orateurs, historiens, poètes de tragédie, codificateurs de la doctrine classique du XVIIe siècle tel que Boileau :

‘« Il s’agit d’appliquer à des écrits de langue française une élucidation dont bénéficient depuis longtemps les auteurs latins. C’est pourquoi on postule que les classiques sont obscurs, en raison de leur éloignement dans le temps et de l’immaturité des élèves. [...] D’où l’élaboration par A. Gazier [un peu avant 1880] d’‘‘une véritable méthode d’explication littérale’’ qui vise à traduire le texte puis à le considérer aux niveaux du style, de la construction des phrases, de la propriété des termes, des figures, des étymologies. Le commentaire se déroule ligne après ligne au mot à mot, tour après tour » 793

L’enseignement du français fait peu à peu sa place dans l’enseignement secondaire. Il se voit promu au premier rang par le décret de 1880 qui supprime le discours latin du baccalauréat et introduit la composition française. L’enseignement des Belles lettres où règnent latin, grec et rhétorique, exercices de traduction et exercices d’apprentissage de l’écriture par amplification et imitation, est progressivement remplacé par un « enseignement centré sur la lecture et l’explication des textes littéraires. Le texte littéraire reste le support privilégié des exercices scolaires mais on assiste progressivement à un double passage : de l’usage rhétorique des textes littéraires à leur usage littéraire et corollairement de l’apprentissage d’une écriture par imitation à l’apprentissage d’une lecture littéraire. » 794

Notes
790.

Cette filiation de l’explication de texte fait consensus parmi les historiens de l’éducation. F. Ropé rappelle qu’A. Chervel voyait dans la praelectio des Jésuites les origines de l’explication française, F. Ropé, Savoirs universitaires, savoirs scolaires, op. cit., p. 99. M. Jey souligne également « L’explication française n’est pas un exercice inventé ex nihilo, elle s’appuie sur des exercices pratiqués depuis longtemps à l’Ecole. », M. Jey, La Littérature au lycée, op. cit., p. 91.

791.

La chute du Second Empire s’est accompagnée d’une transformation de l’enseignement des Belles-Lettres et de la rhétorique. L’évolution de cet enseignement a suscité la multiplication de traités, de précis, etc., visant la formalisation de l’explication de textes française, exercice déjà mentionné par Rollin au début du XVIIIe siècle mais intégré au plan d’étude de Fortoul de 1854. La référence aux exercices et explications des cours de latin est faite encore par Gazier en 1880, cf. D. Grojnowski, « Naissance de ‘‘l’explication française’’ », Textuel 34/44 « Commenter, expliquer », Université Paris VII, 1987, p. 57.

792.

J.-F. Massol revient sur l’explication des textes latins et sur ses place et fonction dans l’enseignement à partir notamment des propos de Mgr Dupanloup. Evêque d’Orléans, député et porte-parole de l’Eglise, partisan des Humanités, celui-ci occupe une position dominante dans le « champ pédagogique » jusqu’en 1880, J.-F. Massol, « De la traduction au commentaire. Les années 1870 », Textuel 34/44 « Commenter, expliquer », Paris, Université Paris VII, 1987, p. 65-67.

793.

D. Grojnowski, « Naissance de l’‘‘explication française’’ », op. cit., p. 57, on souligne. M. Jey évoque les résistances semblables de certains pédagogues à l’explication des textes français ; les textes français ont pour inconvénient d’être immédiatement compréhensibles par rapport aux textes latins : « Que dire face à un texte français dont on comprend le sens littéral, que l’on n’a pas à traduire : car expliquer un texte latin ou grec c’est d’abord le traduire et la richesse de l’explication dépend de l’opacité de la langue d’origine, de sa résistance à une compréhension immédiate », M. Jey, La Littérature au lycée, op. cit., p. 74.

794.

M. Jey, La Littérature au lycée, op. cit., p. 7. L’analyse de V. Houdart-Mérot met cependant en évidence la très lente transformation des pratiques scolaires : ainsi les exercices d’écriture littéraire restent des sujets de composition française durant toute une partie du XXe siècle, V. Houdart-Mérot, La Culture littéraire au lycée depuis 1880, op. cit., p. 69-70.