b. avoir des connaissances lexicales, historiques et littéraires pour « comprendre les textes »

Contrairement au vocabulaire analytique et aux étapes d’une lecture méthodiquement menée, ces savoirs sont moins circonscrits : ils sont apportés ponctuellement par les enseignants lors de la découverte des textes en classe, ou construits au fil de recherches qu’en toute rigueur les élèves sont supposés réaliser lorsqu’ils étudient des textes.

Qu’ils évoquent les « problèmes », les « difficultés », les « déficits » ou les « manques » de leurs élèves, tous les enseignants pointent le vocabulaire comme un obstacle possible à une juste compréhension des textes, récents ou plus anciens. Madame E souligne la perte de sens qu’une absence de recherche lexicale entraîne lors de l’étude d’un texte :

‘« [les élèves] ont souvent des difficultés ouais de... – pour saisir le texte – [...] des problèmes de vocabulaire [...] bon ben c’est vrai qu’ils ne cherchent pas... en début d’année j’étais estomaquée parce que j’avais fait un exercice [...] i fallait... à partir du vocabulaire essayer de voir... si [le portrait d’un personnage du Comte de Monte Cristo] c’était un éloge ou un blâme, et ensuite... de quelle façon le personnage était représenté, quel était son trait... de personnalité majeur [...] Et ils n’ont pas cherché le vocabulaire [...] tu vois quand tu rencontres un mot et que t’es en seconde, si tu le cherches pas... [elle trouve la page :] tu vois regarde. [elle lit :] Portrait numéro 2 : ‘‘Il vit confusément apparaître une figure décharnée, d’une pâleur cadavéreuse, une forêt de cheveux roux et grisonnants couronnait ce hideux visage qui se terminait par une longue barbe de la même couleur que la chevelure’’. Alors [...] i z’ont vu que c’était un blâme quand même, heureusement, et puis i m’ont dit que... le personnage c’était un vieillard, puis point. Tu vois ? (hum) ‘‘Que met en relief le narrateur à travers les termes en gras ?’’, les termes en gras, c’est : ‘‘décharnée’’, ‘‘pâleur cadavéreuse’’, ‘‘forêt de cheveux roux et grisonnants’’. Donc y a tout l’aspect cadavre qui est évident (hum hum) en plus ‘‘cadavéreuse’’... c’est cadavre quoi. I z’ont pas cherché ‘‘cadavéreuse’’ alors que le mot ils ne le... connaissaient pas, ‘‘décharnée’’, ils ne l’ont pas cherché non plus, ils ne le connaissaient pas. Donc il leur restait... ‘‘forêt de cheveux roux et grisonnants’’, i z’ont sauté sur ‘‘grisonnants’’, et ils m’ont dit que c’était un vieillard. L’aspect cadavre qui pouvait être déduit du fait que c’était un vieil homme, ils l’ont pas vu, ils sont pas allés au-delà, et... tout ce qu’ils ont su me dire c’est ça quoi. » (Madame E)’

Les enseignants sollicitent leurs élèves sur les mots incompris d’un texte étudié avant de commencer une étude en classe. Ils décrivent différentes pratiques visant à étoffer le vocabulaire de leurs élèves et à valoriser la recherche lexicale. Madame B suggère à ses élèves d’apporter des dictionnaires en classe lors des devoirs pour leur apprendre à lutter contre « la paresse de prendre un livre et de chercher par soi-même » et à « s’imposer une discipline une... puis la volonté de vérifier, pour savoir exactement ». Par des questions, madame D invite ses élèves à « réfléchir » sur la signification de mots présents dans des textes qu’elle donne à étudier.

Contrairement au vocabulaire analytique, le lexique qui forme les textes étudiés en classe n’est pas délimité. La maîtrise de ce savoir paraît toujours incertaine et son acquisition sans fin. Recourir systématiquement au dictionnaire, lire les notes autour des textes, demander à autrui la signification des termes faisant obstacle, se familiariser avec la littérature ancienne et passée en augmentant les lectures réalisées, etc. sont les réflexes que les enseignants tentent de construire chez leurs élèves pour venir à bout des difficultés lexicales, en même temps qu’ils s’attachent à apporter ponctuellement des éclaircissements sur le vocabulaire des textes étudiés en classe.

Des savoirs historiques et littéraires sont également désignés comme nécessaires à une juste compréhension des textes étudiés et comme indispensables à l’élaboration d’axes de lecture ne dissociant pas le fond et la forme ou à la formulation de perspectives d’étude.

Pour les enseignants, la méconnaissance de certaines réalités historiques empêche en effet les élèves de percevoir la dimension des textes sur laquelle ils auraient souhaité les faire réfléchir. Ainsi lors de la correction d’un devoir, madame G estime que c’est parce qu’ils ignoraient l’existence des deux Napoléon que ses élèves « sont passés à côté » d’un texte de V. Hugo valorisant le premier au détriment du second. Ils n’ont pas pu construire leur étude de texte sur cette opposition :

‘« Madame G : [commençant la correction] il y beaucoup de contresens énormes sur le texte : certains ne savent même pas qu’il y a eu deux Napoléon. Les deux textes fonctionnaient ensemble. Le premier était sur Napoléon III qu’Hugo surnomme ‘‘le petit’’ - comme c’était indiqué dans le chapeau - et le compare à Napoléon Premier. Il y a des connaissances historiques de base à savoir pour faire des études. [elle poursuit la correction en amenant les élèves à prendre appui sur des marques formelles pour dire l’opposition entre les deux Napoléon construite par Hugo ; madame G dicte ponctuellement les synthèses des remarques des élèves qu’elle a sollicitées] [...] Chaque strophe oppose ‘‘le brillant ancêtre’’ (Napoléon 1er) auquel sont consacrés 6 vers à Napoléon III (‘‘le petit’’) qui n’a droit qu’à 2 vers dont le dernier, réduit. Cette répartition traduit la supériorité de Napoléon 1er sur Napoléon III pour Hugo. De plus, le dernier vers fonctionne comme un refrain associé à Napoléon III. [...] Au niveau de l’organisation des vers, on remarque une alternance entre des octosyllabes et des vers de 4 syllabes. L’apostrophe à Napoléon III étant toujours un vers de quatre syllabes : ‘‘Petit, petit’’. [...] Les rimes croisées manifestent également l’opposition entre les deux Napoléon. [...] Il y a une opposition entre les enjambements qui permettent de déployer la phrase sur plusieurs vers pour Napoléon 1er, le rythme est ample. Pour Napoléon III en revanche le vers est haché par des virgules et donc loin d’avoir un effet d’ampleur, on a un effet de petitesse (redoublé par les mots ‘‘Petit, petit’’). [...] Pour Napoléon 1er les temps employés sont le passé simple et l’imparfait, temps de l’histoire montrant que le personnage est entré dans la légende. Pour Napoléon III, on trouve l’impératif présent à la deuxième personne montrant le mépris de Hugo qui donne des ordres à l’Empereur. [ayant fini la synthèse, madame G commente :] Ce n’était pas difficile. Il suffisait d’observer et de voir qu’il y avait deux Napoléon. » (Observation 18, Madame G)’

Les connaissances historiques sont nécessaires à la juste compréhension des textes parce qu’elles permettent de saisir les prises de position des auteurs, mais aussi les effets attendus des œuvres sur les lecteurs et les enjeux esthétiques et littéraires des textes :

‘« découvrir des esthétiques, c’est important pour eux aussi parce que... ça i z’en ont aucune idée, c’est qu’i z’ont beaucoup de mal à se repérer dans le temps [...] donc déjà arriver à leur faire repérer qu’à certains siècles on n’écrivait pas comme maintenant et pourquoi. Ça c’est extrêmement important [...] d’un point de vue cognitif en fait quoi, pour aborder les textes » (Monsieur C)’ ‘« quand on étudie Rabelais, Montaigne, là on va plus centrer ça sur... l’humanisme, le seizième et à ce moment-là on retrouve, quand même... la chronologie. » (Madame A)’

C’est pourquoi l’étude des textes se passe rarement d’une évocation du contexte historique de leur production éclairant soit les réalités évoquées dans les textes, soit les conditions de réception des textes. Ainsi, parallèlement à l’étude de la dimension tragique d’un extrait d’Œdipe Roi, monsieur F apporte des éléments précisant le « caractère sacré » des manifestations théâtrales dans l’Antiquité et la visée cathartique des pièces de théâtre qui mettent en scène les risques de la démesure (dont il mentionne le terme grec l’hybris) et des tentatives d’évitement des prédictions divines. Dans son introduction à l’étude de Dom Juan, madame D revient sur le poids de l’Eglise au XVIIe siècle français et les attitudes qui y font face – entre le libertinage et l’hypocrisie –, etc. S’ils n’en contrôlent pas tous la réalisation, les enseignants interrogés demandent ou recommandent souvent à leurs élèves de réaliser des recherches d’ordre historique et littéraire parallèlement aux études de texte. Madame E fait précéder l’étude du Misanthrope par un travail de recherche permettant de situer historiquement, socialement et littérairement la Préciosité. Madame B, comme madame D, recommande à ses élèves la lecture du manuel de littérature et des repères historiques qu’il propose :

‘« on a choisi ce livre-là parce qu’il couvre tous les siècles du seizième jusqu’au vingtième, et il y a des... repères historiques et culturels, alors, à chaque fois, pour chaque siècle, il y a... tout un exposé sur le contexte de l’époque... les mouvements littéraires, il y a l’essentiel qu’ils doivent savoir pour comprendre... comment est né un mouvement littéraire(et donc vous leur demandez de lire ?) oui, oui, pour l’instant j’ai fait ça... » (Madame B) ’ ‘« [les manuels] moi je leur dis de... le voir comme un livre de consultation qu’ils ont à la maison. Mais c’est bête aussi / (/ tu les incites à le lire ?) ben je leur dis ! / (/ ou... pas trop...) quand on parle du réalisme ou de machin, i me disent ‘‘Qu’est-ce que c’est ?’’ Mais je leur dis ‘‘Mais allez voir dans vos Itinéraires littéraires ...’’ » (Madame D)’

Ainsi, les connaissances sur le contexte historique de production des œuvres comme celles dont les enseignants réclament la recherche contribuent à éclairer les textes par les réalités auxquelles ils réfèrent. La possession et la mobilisation de ces savoirs orientent la compréhension des textes, donnent une « perspective d’étude » permettant une sélection des éléments signifiants (du point de vue de la forme et du fond).

Enfin, la connaissance de la littérature même est nécessaire à une juste compréhension scolaire des textes et à une inscription des interprétations dans l’ordre des savoirs littéraires :

‘« le devoir facultatif qu’ils m’ont fait... c’était une explication d’un sonnet de Jules Laforgue qui s’appelait Spleen... (hum hum)donc là j’ai fait référence à Baudelaire, en plus on en parlait dans l’entête de méthodologie... et je leur ai dit en gros, ’fin je leur ai... récité les premiers vers ‘‘Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle’’ et cetera, puis je leur ai dit ce que c’était que le Spleen(hum) parce que justement y avait une petite [petit rire] une gamine qui croyait que le Spleen, enfin... pour elle Spleen, ça voulait dire planer, c’était... le bonheur total [petit rire des deux] donc j’ai expliqué que c’était pas tout à fait ça » (Madame D)’

La non maîtrise de savoirs littéraires fait perdre la richesse et la portée des textes qui précisément contiennent de nombreuses références :

‘« tout ce qui est intertextualité alors là... ils ne voient pas parce qu’ils ne connaissent pas les autres textes (ouais) donc chaque fois qu’y a une référence dans un texte [...] des références à des... textes antiques, à l’Illiade, à l’Odyssée... à tout ce bagage de l’Antiquité. Alors là ils passent complètement à côté hein [pause] Ils le voient pas et ils ne les voient pas parce qu’ils ne les connaissent pas ces textes (hum) donc... y a... bon, avec les élèves qu’on a au... ici, qui sont quand même... i z’ont quand même deux... gros... déficits, c’est un déficit au niveau de... lexical et un déficit culturel (hum) ça c’est sûr parce que c’est lié à autre chose, en fait c’est des conditions qui leur permettent pas... d’acquérir toute cette culture... qu’on acquiert dans... la famille ou... dans d’autres milieux (hum hum) et... donc ça il faut que... Puis alors, ce qui se passe c’est que nous nous... on n’imagine pas toujours jusqu’où ça peut aller... cette méconnaissance, enfin cette ignorance et qu’y a des choses qui nous semblent... évidentes ! Et qu’ils ne connaissent pas... Et même par exemple au niveau de la mythologie, normalement ils ont fait un peu de la mythologie... (ouais) en sixième ou des choses comme ça. Euh... ben apparemment y a des sixièmes où ils ne l’abordent pas du tout. Et... par exemple si on fait... Heureux qui comme Ulysse et cetera, on part de cette idée qu’Ulysse, ils le connaissent !(ouais) et bien... y en a qui ne le connaissent pas [petit rire des deux] Donc là il faut recommencer... toute l’histoire de l’ Odysséeet cetera et cetera. » (Madame G)’

La non maîtrise de savoirs littéraires empêche l’étude des phénomènes d’intertextualité qui constitue une perspective d’étude à laquelle les élèves sont aussi initiés et qu’ils sont parfois invités à mettre en œuvre 936  :

‘« la notion d’intertextualité aussi que j’ai beaucoup travaillée tout au long [...] de ce groupement de textes [sur des poèmes du XIXe évoquant l’automne] parce que [...] par exemple la rime ‘‘automne/monotone’’ revient dans trois poèmes, à chaque fois elle est variée [...] C’est très sérieux quand Musset écrit ‘‘automne/monotone’’ [...] Baudelaire [...] donne... à cette rime un sens métaphysique, et après c’est Verlaine [...] qui se moque presque de cette rime qu’il utilise [...] ‘‘monotone’’ fait un vers, et ‘‘de l’automne’’ fait un vers, tu vois. Donc pour bien montrer ‘‘Voilà j’ai lu les anciens et je récupère leur rime mais... sans plus rien d’autre autour quoi, que la rime’’. Pour montrer comment ça évolue justement au niveau de l’esthétique, et comment... avec des faits [...] d’intertextualité, le poète s’amuse avec ses prédécesseurs et fait du nouveau, justement » ; « le début de Fermina Màrquez [...] est en fait une réécriture du début de Madame Bovary – tu sais où m’sieur Bovary arrive en classe – et là c’est l’arrivée d’une... très belle jeune fille [...] dans le collège [...] [on a donc] une variation sur le thème de l’arrivée du nouvel élève » (Monsieur C)’ ‘« on a fait un rapprochement entre Rodolphe et Don Juan, euh... le regard de Rodolphe sur Emma, la première fois qu’il la rencontre, à la fin d’un chapitre. On voit vraiment dans un très court passage, toute sa personnalité, donc tout son côté séducteur, cynique, calculateur quand il se dit ‘‘Cette petite femme je l’aurai’’ [...] Il la déshabille déjà, il la voit déjà dans son lit enfin bon... et là ils l’ont très bien... ressenti, ils l’ont très bien vu » ; « l’ironie. Ah ! oui bien sûr [...] Flaubert utilise... des clichés romantiques, enfin il se moque bien sûr du romantisme [...] On a vu le moment où Emma... dit au revoir à son mari le matin [...] elle est... à sa fenêtre, et elle prend une attitude d’héroïne de roman en cueillant une fleur en la lançant [rire], mais... dans le style de Flaubert, on voit très bien... la dérision, la moquerie, parce que elle est... à sa fenêtre, elle est entre deux pots de géraniums en robe de chambre alors... c’est vraiment... ridicule quoi en fait » (Madame B)’

Les enseignants travaillent à ce que leurs élèves acquièrent de différentes manières des savoirs culturels et littéraires nécessaires à l’étude des textes : par la réalisation d’étude de textes littéraires et par la construction de leur groupement de textes ou de leur perspective d’étude. Ainsi, à l’occasion du groupement de textes intitulé Scène et scènes, en guise de transition entre le texte de Corneille et celui de Sophocle précédemment étudié, monsieur F fait un point sur l’évolution du genre théâtral :

L’apport ponctuel de savoirs culturels et littéraires en lien avec les textes étudiés veut également étayer la culture littéraire des élèves. Ainsi messieurs C et F évoquent tous deux la reprise du mythe d’Œdipe par Freud et la psychanalyse à l’occasion d’une étude d’un extrait d’Œdipe Roi. Monsieur F profite de l’introduction au Hussard sur le toit pour mentionner l’écriture romanesque particulière de Robbe-Grillet :

Enfin, tous les enseignants interrogés invitent leurs élèves à enrichir leur culture littéraire par une connaissance directe des œuvres de référence (notamment parce qu’elles ont servi de référence aux auteurs) en les lisant en dehors des cours de français. Certains comme mesdames A, B et D et monsieur F guident leurs élèves dans la découverte de la littérature de référence en distribuant des listes d’œuvres 937 . Plus rarement, ils recommandent explicitement une connaissance même indirecte de ces œuvres par l’appropriation d’adaptation, de résumé, etc. :

‘« ([il y a] une remarque que tu leur fais souvent en cours... tu leur dis qu’ils doivent connaître telle ou telle œuvre pour... soit pour le bac, soit pour... Mais, sans être obligés de la lire. I me semble que souvent t’as dit ça ‘‘Vous devez connaître ça, même si vous ne la lisez pas’’) pas intégralement (hum) Ben, c’est par exemple pour des... enfin... si tu veux, le livre de textes qu’ils ont mais qu’ils n’amènent jamais en cours là, qui est en deux tomes... pour moi c’est un manuel... de littérature... qu’ils peuvent consulter, dans lequel ils peuvent avoir des informations sur Stendhal, sur... je sais pas sur Balzac, sur Zola, et cetera. Et... alors y a ça et y a le fait que je leur ai donné une liste, et cette liste, je leur avais dit ‘‘Vous.../ Matériellement vous n’aurez pas le temps de tout lire’’. Je leur avais mis les noms – enfin je te l’ai donnée la liste (ouais) – Je crois bon si tu veux... un gamin normal il a pas le temps de tout lire mais i me semble que i doit avoir enfin... un élève, alors, les L là, les L ils doivent lire. [...] [par exemple] Madame Bovary , là c’est un incontournable [pour un élève souhaitant présenter un baccalauréat L] [...] Pour un [élève de] première S... bon j’aurais... je leur dirais ‘‘Vous le lisez si vous avez le temps, vous lisez ce qu’on en dit dans votre livre de textes... mais il faut que vous connaissiez’’(d’accord, donc c’est en lisant le...) en lisant le livre. Nan puis Madame Bovary je pensais aussi au film de Chabrol qui est bon(hum hum) et, certains le connaissent justement à cause de ça... Par exemple, bon quand on a fait le passage du Colonel Chabert , y en a plein qui avait vu le film avec Luchini, Fanny Ardant et compagnie(ouais) Bon... ça c’est, pourquoi pas hein [...] I seront pas dans le style ! d’auteur, ou dans... la qualité... non. Non mais si tu veux moi je pense que ça fait partie de leur culture (ouais) ’fin même l’histoire, le destin de Madame Bovary, c’est quelqu’un, enfin... ça représente tellement le destin de plein de femmes du... dix-neuvième que... i doivent connaître (ouais) et je sais pas y a... enfin même Germinal , ils doivent aussi être au fait de ce que c’est que cette révolte dans la mine, enfin ils doivent connaître. Alors là aussi... bon ben y a le film de je sais plus qui qui vient au secours. Enfin... et... moi, mais je condamne pas ce genre de films parce que c’est bon, ça a ses limites, mais, ça permet à toute une série de... lycéens qui ne l’auraient pas lu autrement... de connaître l’histoire. Et puis éventuellement de leur donner envie de le lire » (Madame D)’

Les enseignants interrogés reconnaissent la nécessité des différents savoirs pour une compréhension littérale des textes. Ils veillent tous à ce que leurs élèves les acquièrent. Ils les y conduisent cependant par des chemins différents (introduction magistrale, apports professoraux ponctuels, recherche documentaire demandée aux élèves, etc.) et n’accordent pas la primauté aux mêmes savoirs (esthétiques, historiques, stylistiques, linguistiques, etc.). Par la maîtrise progressive de ces savoirs, l’étude des textes gagne en rigueur et en richesse : elle peut suivre une démarche méthodique en mettant en évidence l’indissociabilité du fond et de la forme. Elle peut suivre des axes de lecture dont la formulation même est dépendante de la maîtrise de ces savoirs. C’est ce que suggère monsieur F qui, après avoir étudié un extrait de L’illusion comique en suivant l’axe « Quelle image le personnage offre-t-il de lui-même ? », indique à ses élèves d’autres axes de lecture que celui réalisé en classe :

‘« On peut développer une sous-partie sur le reste de l’extrait sur la relation maître/valet en s’appuyant sur les réponses que fait Matamore à son valet. Mais on ne peut aller très loin vu le peu de vers prêtés au valet. [...] Un autre axe de lecture possible, beaucoup plus savant parce qu’il suppose la connaissance de modes d’écriture serait ‘‘Comment Corneille mêle-t-il une écriture sur le mode héroïque et sur le mode précieux ?’’ » (Observation 6, Monsieur F) ’

Si l’étude de textes requiert des savoirs pour produire une juste compréhension des textes et des interprétations pertinentes, elle est aussi conçue comme un moyen d’étoffer les connaissances des élèves sur la production écrite par la découverte de textes singuliers.

Notes
936.

Les consignes scolaires partagent alors un des présupposés de la théorie de la réception. L’activité d’écriture est en effet décrite par H. R. Jauss comme « réception active de l’auteur ». L’écriture est une réaction à d’autres œuvres : « l’œuvre suivante peut résoudre des problèmes – éthiques et formels – laissés pendants par l’œuvre précédente et en poser à son tour de nouveaux ». Il préconise donc de prêter particulièrement attention aux références et phénomènes d’intertextualité. H. R. Jauss, Pour une esthétique de la réception, op. cit., p. 63.

937.

Cf. On a mis en annexe les listes d’œuvres que madame D et monsieur F ont distribuées à leurs élèves.