c. la gestion professorale des réponses des élèves

proposer un plan d’étude

Tous les enseignants interrogés notent au tableau ou dictent le plan de l’étude de texte correspondant à la perspective d’étude choisie. Ils peuvent également l’indiquer aux élèves lors des devoirs. Ainsi, lors d’un devoir surveillé dont le sujet était un commentaire composé, madame A a donné à ses élèves les axes de lecture estimant qu’en deux heures, ils n’auraient malheureusement pas le temps de réfléchir à leur élaboration. A la fin de l’année, monsieur F demande plus systématiquement à ses élèves de proposer des axes de lecture. Les réponses des élèves aux questions plus ponctuelles qui leur sont posées s’inscrivent dans ce plan, remplissent le canevas suggéré par les axes de lecture. Les cadres de l’interprétation des textes étant donnés par les enseignants, les élèves n’ont donc pas à les construire. Lors de l’étude du poème de Ronsard Quand vous serez bien vieille, madame B a fait copier à ses élèves le plan de l’explication de texte. Celui-ci était composé de trois grandes parties intitulées comme suit : « I. la structure du poème », « II. l’image du couple », « III. la cruauté du tableau ». L’enseignante a même précisé les sous-parties. Les réponses des élèves y prenaient place. De même après avoir demandé à ses élèves de situer la scène 3 de l’acte 4 du Misanthrope et de commenter les échanges entre Alceste et Célimène, madame E conclut à l’ambiguïté du conflit entre les personnages et définit la scène comme « combat amoureux » avant de proposer le titre et l’étude d’une première partie :

Supposant/sachant une maîtrise de l’écrit et de la prise de notes par ses élèves, monsieur F dicte plus qu’il n’écrit au tableau ses propositions interprétatives. Sur les autres points, il ne procède pas différemment de madame E lors de l’étude d’un extrait d’Œdipe Roi. Après avoir proposé et dicté le titre d’une sous-partie de l’analyse, il engage ses élèves à répondre à des questions plus ponctuelles qui remplissent la trame du commentaire. Une fois les réponses satisfaisantes collectées et écartées celles qui ne le sont pas, monsieur F propose une conclusion analytique de la sous-partie :

Lors de la correction d’un commentaire composé d’un extrait de Britannicus, V3, vers 1583-1610, monsieur C explicite la réponse attendue aux questions « Relevez les marques de la présence d’Agrippine dans son discours. [quelles sont les marques d’énonciation ?] Appréciez-en les variations ou l’éventuelle évolution ; que révèlent-elles du personnage ? » :

‘« Regardons les pronoms personnels. Les marques de la présence (= énonciation) évoluent tout au long de la tirade : très forte affirmation du ‘‘je’’ dans les 1 ers vers (jusqu’au vers 1590), par la suite, quasi disparition du ‘‘je’’ au profit de la 3 ème personne (usage de périphrases ‘‘la mère de’’) : elle parle de moins en moins d’elle. Au fur et à mesure qu’Agrippine parle et se sent sûre d’elle-même, elle s’engage moins dans son discours. Cette évolution correspond à une stratégie de redressement (‘‘Donner une bonne image de soi’’). En incluant Junie dans son discours (‘‘nous’’, verbes conjugués à la 1ère personne du pluriel ‘‘passons chez Octavie’’), elle prétend faire croire qu’elle va gouverner avec l’assentiment de ceux que Néron a fait souffrir » (Observation 11, Monsieur C)’

Ainsi, comme le soulignent certains enseignants, la gestion des réponses des élèves consiste tout d’abord en leur intégration dans un plan d’étude proposé par les enseignants et élaboré selon une perspective d’étude particulière :

‘« si c’est sur le manuel, i z’ont des questions dans le manuel qu’i préparent [l’étude de texte], et puis j’essaye de les reprendre [...] en essayant de faire un quelque chose qui soit plus un commentaire un peu construit, en réutilisant ce qu’i z’ont trouvé [...] i faut essayer de... utiliser ce qu’ils disent, pour l’introduire dans... une explication un peu plus complexe » (Madame A)’ ‘« je fais des choses beaucoup plus directives [...] je guide vachement les élèves... même si je leur donne la parole... j’impose ma grille au tableau parce que je recompose [...] mes explications au tableau selon des axes que je choisis moi, et c’est pas les leurs [...] dans un cours idéal [...] i faudrait construire l’explication à partir de ça [des remarques des élèves], mais on peut pas, enfin parce que d’abord ils remarquent pas tous, i pointent pas toujours ce qu’i faut. Mais, enfin... moi j’essaye, mais c’est pas évident, j’essaye de leur donner l’impression que i guident aussi... l’explication... i guident mon explication mais... tout en leur faisant passer ce que moi j’ai vu... » (Madame D)’ ‘« par [...] des questions un peu directives comme ça... les amener à construire une interprétation du texte qui sera forcément celle du prof, in fine je veux dire (hum), mais eux y apporteront des éléments » (Monsieur C)’

L’intégration des réponses dans un plan d’étude permet la construction d’un commentaire de texte stabilisé et récapitulé en fin de séance par les enseignants, ce qui indique encore la médiation de la lecture par la relation d’enseignement :

‘« à la fin... on essaye de faire une synthèse [...] de toutes ces questions pour dégager... un sens plus général à... - par exemple si c’est une lecture méthodique - au texte... qui était soumis à leur... sagacité » ; « à la fin de chaque explication, [il y a] une synthèse où là [...] je dicte certaines phrases quand même parce qu’i z’ont besoin de repères aussi hein [...] l’idée [constitutive de la synthèse] c’est toi qui l’as eue, tu vois ? [...] [on] synthétise toutes les réponses qu’on a pu trouver [...] Et c’est là que l’interprétation apparaît le plus clairement [...] toute l’étude... guide vers ça » (Monsieur C)’

Comme cela apparaît dans les notes d’observation, la gestion professorale des réponses apportées par les élèves consiste aussi à trier ces dernières en fonction de leur pertinence par rapport à la perspective d’étude et en fonction de l’avancement de l’étude de texte qu’elles permettent :

‘« [les cours] ça marche uniquement par question-réponse c’t-à-dire que je leur pose des questions, i donnent les réponses, euh... les intéressantes je les marque au tableau et on fait un classement à la fin » (Monsieur C)’ ‘« après la lecture je leur pose une question, [...] si y a des erreurs [dans les réponses], donc j’essaye de faire corriger par... des élèves [...] si je vois que ça ne vient pas, bien sûr, c’est moi qui interviens et qui... qui donne la réponse, ou qui leur explique ce qu’ils n’ont pas réussi à voir » comme par exemple : « j’ai dû quand même leur dire [...] parce que... ils voyaient pas - mais bien sûr, je trouve ça... tout à fait normal hein à leur niveau - le rôle du personnage [de l’aveugle dans Madame Bovary ], sa valeur symbolique. C’t-à-dire que je leur ai dit ‘‘Mais ce personnage [...] i pourrait très bien... être absent de l’œuvre, ça ne changerait pas du tout l’histoire d’Emma Bovary [...] or Flaubert a introduit ce personnage, alors... pour quelle raison ? euh... pour montrer quoi ?’’. Et là, j’ai dû quand même insister beaucoup [...] c’était quand même difficile » (Madame B)’

La relation d’enseignement au sein de laquelle s’effectue la lecture en seconde fait de cette dernière une lecture évaluable. Comme le notaient A.-M. Chartier et J. Hébrard, l’école « a constitué toutes les lectures comme lectures [potentiellement] accompagnées, comme lectures [potentiellement] à évaluer » 1026 . Effectivement, chaque réponse apportée par les élèves peut être évaluée par les enseignants. C’est d’autant plus le cas que parfois le professeur « ne pose pas une question pour apprendre quelque chose mais pour vérifier, contrôler que les élèves savent et sont capables de montrer qu’ils savent » 1027 .

La gestion professorale des réponses est un tri évaluatif : elle procède d’une part en écartant les réponses inadéquates (et en les invalidant lors d’un examen), et d’autre part en retenant les réponses satisfaisantes ou intégrables dans le plan d’étude.

Notes
1026.

A.-M. Chartier et J. Hébrard, Discours sur la lecture (1880-1980), op. cit., p. 393.

1027.

B. Lahire, Culture écrite et inégalités scolaires, op. cit., p. 154.