1) L’attente lycéenne de consignes lectorales « claires » et directives

Beaucoup d’enquêtés critiquent en entretien la lourdeur et la spécificité des exigences professorales 1116 en matière de lecture en seconde. Néanmoins, parce qu’ils sont évalués en fonction des réponses qu’ils apportent aux consignes lectorales, parce que leurs exigences sont nouvelles, les élèves attendent de leurs enseignants qu’ils posent des questions qui les guident vraiment, qu’ils leur expliquent clairement ce qu’il faut répondre aux différentes questions et comment il faut y répondre au niveau du fond comme de la forme :

‘« Le commentaire [la prof] nous fait... Pff’... Quand tu dis ‘‘commentaire’’, tu commentes le texte. Et elle c’est pas comme ça, ’fin je sais pas comment... comment elle veut que ça se passe... faut trois idées... après tu développes... introduction » (Adeline ; n’évoque ni la profession, ni les études de son père ; mère : agent commercial qualifié, CAP ; parents séparés depuis qu’elle a 6-7 ans, elle vit avec sa mère)’

Lorsqu’ils tentent de répondre aux consignes lectorales, ils attendent par exemple que ces dernières explicitent clairement les propositions interprétatives et les modalités de leur justification afin de n’avoir plus qu’à « démontrer », et à « prouver ». En ce sens on peut dire qu’ils « veulent que le[ur]s professeurs leur apprennent des choses, qu’ils leur expliquent - enfin - ce qu’ils n’arrivent pas à saisir, qu’ils les aident à contourner les difficultés » 1117 . Pour reprendre les termes de Nicolas, un « bon prof » est celui qui « aiguille bien ». Ces attentes lycéennes rejoignent l’organisation de l’enseignement et les différences de statuts entre enseignants et enseignés. Elles en sont le produit : tout se passe comme si les élèves ne pouvaient que reconnaître la légitimité de l’enseignant à poser les questions sur les textes, et la légitimité des questions qui orientent leur appréhension des textes. Leurs attentes de clarté et de directivité sont d’autant plus fortes qu’ils ont moins été entraînés à mettre en œuvre la façon analytique de lire exigée au lycée :

‘« j’aime mieux... qu’on me mette carrément un sujet avec des questions... que faire des questions du livre parce que généralement c’est... c’est pas vraiment précis, c’est pff’... (c’est quoi ces questions ? pas trop précises...) ben je sais pas, ’fin des fois i nous demandent un truc et puis... bon ben on cherche mais généralement c’est pas ça ou alors... on croit que c’est ça... Mais bon, si des fois ça va, les questions... on peut, on les comprend (ouais) ’fin c’est facile mais y a des fois c’est un peu ambigu » (Samantha ; père : électricien, au chômage ; mère : technicienne de méthode à la SCAPEL, arrêt maladie longue durée, BTS ; beau-père : profession et études non déclarées ; elle vit avec sa mère depuis l’âge de 3 ans)’ ‘« généralement [dans le manuel] c’est des textes [...] avec... questions précises quoi [...] elles nous mettent sur la voie et nous on n’a plus qu’à démontrer [...] I disent ‘‘Par le champ lexical montrez euh...’’ I disent carrément le nom du champ lexical ‘‘Montrez que l’auteur i cherchait ça, ceci cela’’ » (Didier ; père : PDG d’une PME, « études universitaires » non précisées ; mère : femme au foyer, a vendu des bijoux pendant une période, « faculté », non précisée)
« des fois même, comme... je vois que c’est juste ce qu[e mon enseignante] elle dit, enfin... je suis d’accord avec elle... je cherche dans les textes quèque chose qui... prouve que en fait c’est bien ça » (Véronique ; père : cadre commercial au chômage, équivalent baccalauréat ; mère : hôtesse d’accueil ; études d’hôtesse de l’air)
« j’aime bien quand les choses sont claires moi j’aime pas tout ce qui est... sous-entendus, choses comme ça j’aime pas [petit rire des deux] J’aime bien quand c’est clair (tu sais ce qu’i faut faire, c’t-à-dire i faut faire quoi ?) ben j’aime bien répondre aux questions, les questions d’jà elles sont claires, c’est par exemple ‘‘Trouvez les verbes qui expriment la nature, trouvez les verbes’’, tout ça j’aime bien. C’est clair... je cherche, j’y arrive bien » (Myriam ; père : artisan plombier ; mère : aide une personne âgée ; scolarité des deux parents en Algérie non précisée)
« [la prof] elle nous donne tout le temps et bien structuré avec des questions tout ça [...] c’est ciblé, elle... c’est... elle explique bien qu’est-ce qu’i faut répondre avant, pendant le cours comme ça elle nous donne la question, puis elle explique... sur quoi i faut s’appuyer » (Vincent ; père : chef de service, pompier, bac scientifique ; mère : professeur d’histoire-géographie en LP, bac littéraire, CAPES)
« [à propos d’un commentaire sur un extrait de Madame Bovary] i fallait développer sur le... comment c’était... ça décrit l’intérieur de la maison ! Des couleurs un peu froides, je crois... les volets fermés... et la question c’était... ‘‘Rédigez un paragraphe sur l’ambiance particulière de la maison’’, je crois... [petit silence ; petit rire] Et bon j’avais pas trouvé quoi dire ! [petit rire] [...] i fallait soit parler de... l’ambiance, soit du... comportement... de Charles... et d’Emma... Et i fallait dire pourquoi i z’avaient un comportement différent et pourquoi est-ce qu’i s’entendaient bien [...] heureusement y avait des questions... » (Marc ; père : médecin, docteur en médecine ; mère : femme au foyer, docteur en médecine)’

Qu’ils adhèrent ou non à la façon de lire exigée au sein des cours de français, la plupart des enquêtés attendent et apprécient des consignes lectorales claires et directives grâce auxquelles ils parviennent mieux à produire les réponses attendues par leurs enseignants. Parce qu’une appréhension pragmatique des textes constitue une contestation pratique de la façon de lire exigée au lycée qui peut être invalidée scolairement, ils tentent de se soumettre aux demandes professorales. Ce faisant, ils entrent dans une démarche d’objectivation et d’analyse des textes.

Notes
1116.

Cf. infra, V. l’appréciation de la façon de lire enseignée et exigée au lycée.

1117.

G. Felouzis, « Le ‘‘bon prof’’ », op. cit., p. 367. Les attentes d’élèves de LEP analysées par G. Felouzis rejoignent celles des lycéens de l’enseignement général que l’on a interrogés.