3) A l’école, on « apprend », on « récite », on « applique »

En seconde, les enseignants consacrent du temps à la transmission de savoirs nouveaux sur lesquels la lecture analytique prend appui. Certains enseignants évaluent leur maîtrise ‘‘in abstracto’’. Il en est ainsi de madame B qui propose une interrogation vérifiant les connaissances des élèves sur la versification, ou de monsieur C qui demande lors d’une interrogation « citez trois auteurs poètes romantiques ». Soit du fait de leur formation, soit du fait de leur public, d’autres enseignants, comme monsieur F ou madame D, se passent de telles vérifications des connaissances. Tous les enseignants précisent que les études de textes ne sont pas le lieu d’une récitation de ces savoirs mais requièrent leur mobilisation pour la production de propositions interprétatives. En rendant des devoirs à ses élèves monsieur C leur explique qu’ils ne doivent pas donner la définition du terme « anaphore » dans leur commentaire composé, mais qu’ils doivent analyser les effets de sens produits par cette figure de style.

Parce que ces savoirs nouveaux (le vocabulaire analytique notamment) et leur maîtrise (mémorisation et mobilisation opportune) captent davantage l’attention que les textes, les élèves mettent en veille une appréhension pragmatique. A leur regret parfois, l’identification et l’explicitation de leurs réactions lectorales sont moins importantes scolairement. Ainsi Esther décrit-elle avec amertume la nécessité de repérer les figures de style en seconde :

‘« les figures de style... moi ça m’avait... 'fin, j’aimais pas trop parce que... juste, ça donne une notion un peu mathématique au français quoi parce que... justement quoi on est obligé d’avoir des noms de... tu vois, c’est comme les formules en maths quoi on est obligé, y a ça... i faut l’appliquer, une propriété, tel théorème. » (Esther ; père : officier de police judiciaire, licence de philosophie ; mère : femme de ménage, enfance en Espagne, non scolarisée) 1120

L’étude de texte peut être d’abord perçue comme test des connaissances. Si, comme le dit Emmanuel, certaines figures de style sont plus « cachées » que d’autres, c’est qu’elles sont moins assimilées que d’autres « sinon... ça ça va les métaphores , les... comparaisons » . Dans tous les cas, il reste la possibilité de mobiliser les documents qui consignent les savoirs spécialisés 1121 lors de leur acquisition. Par ailleurs, si les lycéens ne trouvent pas les champs lexicaux demandés, c’est qu’ils n’ont pas bien cherché. Il leur incombe de reprendre cette tâche, comme le remarque Samantha :

‘« i nous disent de chercher des champs lexicaux puis des fois on les trouve pas alors... ça devient énervant [...] mais bon... c’est pas grave, on retrouve après à force de relire, de rechercher, ben on trouve, mais sur le coup des fois on trouve pas c’est tout, faut chercher » (Samantha ; père : électricien, au chômage ; mère : technicienne de méthode à la SCAPEL, arrêt maladie longue durée, BTS ; beau-père : profession et études non déclarées ; elle vit avec sa mère depuis l’âge de 3 ans)’

Alors qu’au collège, pour certains enquêtés, le français « c’étaient des leçons qu’on apprenait par cœur [...] et... c’étaient des exercices  » (Kamel), l’étude de texte au lycée consiste en l’organisation de propositions interprétatives ponctuelles de marques textuelles particulières selon des perspectives d’étude suggérées ou élaborées. Toutefois, confrontés à de nouvelles exigences, les élèves trouvent « pratiquement et globalement et non intentionnellement et analytiquement, de la ressemblance [...] entre la situation présente et des expériences passées, [et] mobilise[nt] les ‘‘compétences’’ qui [leur] permettent d’agir de manière plus ou moins pertinente » 1122 . Au lycée, comme dans les classes antérieures, ils peuvent étendre leurs connaissances des savoirs stylistiques, puis les réciter ou les appliquer et les mobiliser dans des exercices avec plus ou moins d’aisance, sans nécessairement organiser les propositions interprétatives ponctuelles selon une perspective d’étude choisie. Plusieurs éléments contribuent à cette appropriation de l’enseignement par les élèves. D’une part, l’organisation objective de l’enseignement les invite à percevoir les études de texte comme test de connaissances. D’autre part, ils peuvent appréhender « l’acquisition de connaissances comme addition de savoirs davantage que comme maîtrise de processus ou capacité à raisonner, la connaissance étant perçue comme un stock de savoirs détenus » 1123 . Enfin, ils peuvent s’en remettre aux propositions interprétatives de leurs enseignants. Beaucoup d’enquêtés saisissent donc les études de texte comme des occasions de récitation, d’application ou de repérage des savoirs nouvellement acquis aux dépensparfois de la production d’une interprétation.

‘« on essaye d’y voir en classe, bon pour savoir qu’est-ce qu’une métaphore, et après on y applique, on essaye d’y appliquer. Donc après on... voit rapport au texte qu’on a et i disent... ‘‘Trouvez une ménata/, une métaphore, une comparaison’’, et là on essaye de voir [...] [Il y a] des interros sur les textes où dedans y a des métaphores, des comparaisons, et là [le prof] i nous demande de trouver dedans [...] Des fois c’est difficile ou sinon si on a bien compris... ça va » (Nicolas ; père : gardien dans une entreprise ; mère : femme de ménage dans la même entreprise ; scolarité primaire des deux parents en Italie)
« les différentes... figures de style [...] c’est une partie [...] de l’étude qu’on fait [...] en plus c’est dur à retenir [...] y a certains mots comme... – en plus ça c’est tout nouveau, alors c’est pour ça que je dis que c’est dur – les allégories, le chiasme [prononce ‘‘ch’’] les trucs comme ça là, les métaphores, bon ‘‘métaphore’’ encore ça passe, et puis j’en passe bien d’autres quoi, comme... une césure ou quoi... là je l’ai appris que... avant-hier alors bon, c’est p’t-être un peu dur à comprendre » ; « par exemple on prend... les rêveries d’Emma [...] parce que elle pense beaucoup hein, donc le discours indirect libre du narrateur » (Isabelle ; père : policier, niveau bac ; mère : vendeuse, après avoir été modiste, arrêt des études à 14 ans)
« les figures de style, ça c’était difficile(ouais ?) ouais ! Euh... ce qu’on a fait la dernièrement en module... l’étude littéraire c’était un peu difficile (c’était quoi ?) c’était... par exemple... on avait... les figures de style, les comparaisons, machin et tout, et on devait... s’imaginer... pourquoi ce personnage utilisait ça, cette figure de style machin... [...] imaginer ce que le personnage i veut, l’auteur veut nous... faire... quel est le message que le... l’auteur veut nous... transmettre (ouais ! Et ça, c’est plus...) c’est... c’est trop difficile ! C’est l’analyse... littéraire ! (ouais) c’est... / Ben j’ai eu un DS sur ça là c’est que... c’était quoi le titre ? C’était ‘‘Initiation au commentaire littéraire’’ [...] y avait plein de figures de style et... fallait les nommer... et les relever, les nommer et les analyser(hum hum)tout ça en une heure ! [petit rire] J’ai fait la moitié ! (et c’était juste des petites phrases ou c’était... pris dans un... texte ?) c’était dans un grand texte comme ça (ouais ?) et... j’ai mis... déjà une demi-heure pour comprendre le texte [petit rire] (ouais ?) et après une demi-heure... [petit rire] Après j’ai fait le truc [...] les trucs du style... pourquoi l’auteur... i pense ça... [c’est] difficile... (ouais ! Et ça... t’as l’impression que... c’est très différent de... du truc [ie. de l’étude] sur les personnages et tout dans Le Misanthrope ? [évoqué plus haut dans l’entretien]) ouais. Ouais (ouais ?) parce que là... on peut même inventer là, on peut inventer quand c’est des trucs comme ça. Mais quand c’est ça... c’est ou soit c’est... juste ou soit c’est faux ! C’est comme en maths ! [...] C’est vrai que des fois c’est un peu difficile (ouais ?) ouais ! (c’est lesquels par exemple... ?) euh... qui sont difficiles à retenir ? (hum !) euh... je sais plus trop ce que c’est ‘‘lilote’’. Ça existe ‘‘lilote’’ ? (une litote...) litote ! [petit rire des deux] Je me trompe tout le temps ! [petit rire] Y a ça et... y a... c’est tout ! (hum !)y a la métonymie, [distinguant les syllabes :] synecdoque, [d’un trait :] synecdoque(ah ouais... Hum !) ouais. Y a des mots qui sont difficiles à retenir... [petit silence] Ouais » (Leïla ; père : ouvrier ; mère : femme au foyer ; ne connaît pas la scolarité de ses parents en Tunisie)
« ce que j’aime bien trouver c’est les métaphores, ça c’est marrant à trouver parce que les métaphores ça compare toujours. Et alors après on a/ C’est ce qui est marrant c’est qu’on trouve la métaphore, et y a toujours un comparé et un comparant et alors après on... c’est assez simple à trouve » (Didier ; père : PDG d’une PME, « études universitaires » non précisées ; mère : femme au foyer, a vendu des bijoux pendant une période, « faculté », non précisée)
« sur le moment où je l’apprends... ça rentre, et puis... après et ben... après j’ai du mal à... je confonds... des trucs... je confonds tout. Par exemple... t’sais les figures de style là (ouais) on en a tout un paquet, et c’est vrai que... quand t’apprends, elle nous met des exemples de phrases mais... c’est pas toujours des bons exemples je trouve, parce que... dans un texte t’auras une phrase qui sera... un chiasme par exemple, sur ta feuille c’est pas du tout marqué ça quoi, donc c’est pas évident de se repérer... dans toutes ces figures de style » (Eléonore ; père : ingénieur ; mère : sans profession, bénévole dans une association d’accompagnement à la mort ; ne connaît pas les études de ses parents)
« (tu trouvais ouais que ça permettait de comprendre mieux l’histoire en fait ? Les études...) ouais ouais les études [petit silence ; bas :] Bien sûr (Ou ça permettait de comprendre autre chose ? Que l’histoire ?) ouais ben... y a des choses cachées que... dans les histoires... et quand on a étudié... on arrive à comprendre. Parce que quand on lit que une fois, vite fait, y a des choses... on rate quoi et... y a des choses qui sont... inscrit... dans le texte qu’on n’arrive pas à comprendre(ouais ? Comme quoi par exemple ?) euh... quand... Par exemple dans les... poèmes, quand on lit vite, on n’arrive pas à voir qu’i y a le même son dans des phrases que... i répète, que... c’est... ouais y a des tas de petits, des phénomènes comme ça on n’arrive pas... les figures de style surtout des... on n’arrive pas trop à voir du premier coup d’œil [...] les figures de style ça allait encore mais... plus l’énonciation, euh... tout ça. Tout ce qui touche un peu la grammaire (ouais ?) j’aimais pas trop ça (hum hum. C’était... tu, t’avais fait ça aussi euh... l’année dernière ? En troisième ou euh... ?) euh un peu ouais mais pas beaucoup quand même. C’était... passé... assez vite [...] (Et tous ces trucs justement tu les as appris du coup ? Soit figures de style, soit énonciation, soit... ?) figures de style ouais j’ai appris mais... énonciation euh nan pas trop (ouais ?) parce que... figures de style je les ai appris même par cœur [petit rire] (ouais ?) ouais ouais ça va bien maintenant. Comme maintenant je les remarque vite ! Parce que pendant les contrôles y en a beaucoup des questions sur les figures de style(ouais ? [petit rire]) alors maintenant je... [petit silence] » (Bruno ; père : ajusteur ; « ne s’intéresse pas » à ce que fait sa belle-mère ; mère : secrétaire, au foyer depuis la naissance de son dernier enfant, arrêt des études en 4ème ; beau-père : boulanger ; parents séparés depuis qu’il a 8 ans, il vit avec sa mère)’

La manière dont Tasmina s’empare d’une de mes questions comme la manière dont elle répond à une question professorale sont également révélatrices de son appropriation de l’étude de texte comme récitation de savoirs spécialisés. Alors que je lui demande ce qu’elle pense d’une question figurant sur son manuel de littérature, elle énumère des procédés stylistiques. Ma question semble avoir déclenché la ‘‘routine de la nomination systématique des procédés rhétoriques’’. En étudiant la narration et la description dans un texte, elle cite, dans sa copie, la source de ces apprentissages :

‘« (et ça [en lisant son manuel de français] ‘‘comment le narrateur se manifeste-t-il dans cet extrait’’) voilà, ça aussi c’est bien (ça t’aimes bien ?) ouais... si c’est bien, surtout quand i dit ouais... ‘‘Parlez de la focalisation’’, si c’est externe, interne (ouais) si c’est... l’auteur il est omniscient tout ça » (Tasmina ; père : gérant dans la restauration, après travail dans l’import-export, études de radiologie puis de commerce au Pakistan ; mère : femme au foyer, après avoir été professeur d’histoire au Pakistan ; elle vit en France avec ses parents depuis 11 ans)
La question était : « A partir d’indices précis, distinguez les éléments narratifs et les éléments descriptifs. Indiquez les passages où narration et description se superposent ». Une partie de sa réponse était : « Un texte est du type descriptif c’est lorsqu’il nous désigne une démarche ainsi que l’image qui en résulte. D’après le manuel [madame B souligne et place un point d’interrogation dans la marge] c’est une action ‘‘de donner à voir’’ et résultat de cette action. La première caractéristique d’un texte descriptif est de nous faire connaître des objets, des lieux ou des personnes » [Tasmina effectue ensuite des relevés dans le texte qui permettent d’illustrer cette définition ; elle a 3.5/6 à cette question]’

L’acquisition des savoirs spécialisés permettant une appréhension analytique des textes est plus ou moins aisée en fonction de la familiarisation antérieure qu’en ont eu les enquêtés et en fonction de la systématicité des apprentissages. Marie qui y a été initiée dès le collège déclare ainsi la quasi-inutilité d’un apprentissage systématique des figures de style. Yannick souligne la progressive maîtrise de ces repérages. Matthieu et Lamia comptent sur la mémorisation en classe des savoirs et peinent à les apprendre systématiquement :

‘« à partir du moment où on sait ce que c’est une anaphore... ça sert à rien de... nan mais c’est vrai qu’y a des définitions sur l’hyperbole... sur... la métaphore... ouais, ben ouais je les ai apprises, ’fin je les sais quoi » (Marie ; père : gestion de production, « fac » ; mère : comptable, BEP puis cours par correspondance)
« (t’arrives à repérer... des trucs,’fin t’sais les figures de style... les hyperboles et tout ? Quand euh... y a ce type de questions-là ?) euh... pff’... à repérer... ouais... certaines, pas toutes, certainement pas. Mais bon j’y arrive déjà mieux qu’en début d’année quoi (ouais !) ouais (c’était nouveau en fait ?) ben... pff’, c’est-à-dire en fait que l’année dernière... je sais pas on mesurait p’t-être, on nous le suggérait, on nous le disait de faire p’t-être pas assez que... mais cette année bon ben c’est... ça a été répété, répété et puis... ça m’est rentré dans la tête quoi [sourire] » (Yannick ; père : ouvrier RVI à la retraite, « BEPC » ; mère : assistante maternelle, « BEPC »)
« je retiens... ce que c’est un... je sais pas un... syllogisme, les trucs comme ça, une métaphore, et puis après... qui vivra verra pour le contrôle [...] syllogisme je me les apprends parce que [...] comme ça je suis sûr de savoir ce que c’est » (Matthieu ; père : agent de maintenance, CAP puis formation par l’AFPA ; mère : directrice d’un centre social, maîtrise d’économie ; parents séparés, il vit avec sa mère)
« J’apprends. Autrement des fois... des fois euh j’ai des trous et... ça m’arrive de pas revoir mes cours, souvent, ben... Ce qui a été dommage. Mais... j’ai essayé de... tout reprendre, tout ce qui était... vocabulaire, comme les figures de style, comme... ce qu’on pouvait trouver dans les textes... les mots. I m’ont beaucoup servi, les mots sur le théâtre quand on allait refaire... les contrôles sur le théâtre... ça me sert... » (Lamia ; père : ouvrier en usine puis patron d’un café avec l’un de ses fils, décédé lorsqu’elle était en 6ème, scolarité en Algérie, savait lire et écrire en arabe ; mère : sans profession, scolarité non évoquée)’

L’apprentissage systématique et in abstracto des savoirs spécialisés, leur mémorisation au fil des cours et leur mobilisation en classe, ou le recours aux outils qui les consignent comme les guides, manuels, fiches ou glossaires, etc., sont différentes modalités d’acquisition des savoirs spécialisés.

Le recours à l’une ou l’autre de ces modalités d’assimilation ou leur articulation varie selon les options pédagogiques des enseignants (interrogation sur les savoirs ou vérification de leur acquisition au cours des études de texte) d’une part, selon la conception des apprentissages des enquêtés et leur investissement dans la scolarité et dans la discipline français par rapport à d’autres disciplines ainsi que selon leur acquisition antérieure des savoirs d’autre part. Contrairement à Stéphane, Vincent ou Peggy, Bertrand et Habiba déclarent ne pas apprendre in abstracto les figures de style. Leur fragile maîtrise de l’appréhension analytique littéraire des textes, leur relative aisance pour la formulation de propositions interprétatives de marques textuelles précises, et pour la mise en œuvre d’une appréhension pragmatique de la littérature (exercée en cours et en dehors des cours depuis le collège) participent sans doute à l’évitement de cet apprentissage. Celui-ci est vraisemblable­ment aussi lié au fait que, contrairement à mesdames B et E, madame D ne vérifie pas l’acquisition de ces savoirs en dehors des commentaires de texte :

‘« (ça t’arrive d’apprendre les cours de français ?) ben ouais quand même (ouais ?) pour les figures de style, elle nous avait dit qu’on aurait p’t-être une interro, et... ben... je connaissais d’jà un p’tit peu donc... j’ai revu sur le livre, elles étaient là, fiche méthode » (Vincent ; père : chef de service, pompier, bac scientifique ; mère : professeur d’histoire-géographie en LP, bac littéraire, CAPES)
« [sur le manuel] y a des fiches... méthode [...] des sortes de définitions quoi en fait. Voilà... mais ça je les lis quand je dois les apprendre [...] (ouais tu dois les apprendre des fois ?) ouais, là pour demain j’ai plein de trucs à apprendre, des définitions en fait, sur la poésie [...] on a à apprendre sur le renouveau poétique, sur les formes fixes en poésie, et sur les figures de style, donc c’est... on doit apprendre par cœur » (Stéphane ; père : plombier zingueur, certificat d’études ; mère : secrétaire, école primaire en Italie, école ménagère en France)
« les figures de style, tout ça, mais bon... J’y apprends parce qu’i faut y apprendre... Et puis c’est pas trop dur, i suffit de savoir la définition par cœur et après de s’entraîner à... et on trouve mais... c’est un peu pénible parce que... je crois pas que ça va me servir plus tard [...] mais bon, si faut le faire, ben moi je le fais hein ! [...] pour les interros autrement... pff’... autrement... non !Franchement ben non ! (ouais [petit rire]) ben si on n’est pas évalué je vais pas apprendre hein ! » (Peggy ; père : gérant d’une société de maçonnerie, études jusqu’en 4ème ; mère : aide-soignante, BEPC, diplôme d’aide-soignante)
« (y a des choses que t’as dû apprendre par exemple en français ?) euh apprendre nan ! Pas pour l’instant en tout cas... (ouais !) parce que apprendre une leçon c’est... I faut juste apprendre un peu, et puis se faire réciter parce que ça c’est un peu la base quoi mais apprendre vraiment... je peux pas réviser vraiment pour les cours de français parce que... c’est surtout dans la tête quoi ! C’est tout... (mouais t’as l’impression que c’est un peu...) j’ai l’impression que... Je veux dire i faut vraiment le travailler... longtemps pour bosser... et puis c’est... Je vois la fois dernière sur le livre... j’ai un peu révisé, mais... pour les interros de français c’est... dans la tête... » (Bertrand ; père : officier de l’armée de l’air, bac C +2 ; mère : contrôleur des impôts, nombre d’années après bac C inconnu)
« (t’as dû apprendre des choses pour les cours de français cette année ? ça t’arrive d’apprendre des cours de français ?) ben ! Finalement, on fait jamais des trucs... 'fin des contrôles sur les leçons (hum [petit silence]) mais en fait, je veux dire on / (/ par exemple, les figures de style et tout ça... tu) non en fait... on les apprend en pratique quoi ! (ouais) parce qu’après elle nous donne un texte et donc y en a des figures de style. Ben quand tu les as appris, on les a appris avant pour... donc voilà quoi (ouais) non pas de... 'fin moi, en fait je veux dire au collège on apprenait des leçons quoi ! (ouais !) et des trucs... tout fait et puis on récitait quoi, alors qu’on n’a pas du tout encore... (c’était quoi que vous appreniez au collège ?) ben déjà au collège, on faisait de la grammaire, là on n’en fait pas (mouais !) ou alors... vite fait quoi. 'Fin on apprenait des leçons comme... la grammaire et puis après... on avait une interrogation sur la leçon et puis voilà quoi ! (hum) mais... sur l’orthographe... dans les conjugaisons... mais là y a pas de leçons quoi. 'Fin si y a des leçons, mais... y en a pas beaucoup (hum) puis... c’est que des textes, 'fin c’est sur le texte donc euh... » (Habiba ; père : maçon, en invalidité depuis l’enfance d’Habiba ; mère : femme au foyer ; scolarité primaire des deux parents en Algérie)’

Les élèves de madame A interrogés déclarent tous leur recours aux glossaires distribués par leur enseignante :

‘« [Pour identifier des procédés stylistiques inconnus] je prends tous mes bouquins d’analyse [et] [...] une fiche qui est pas très bête, [la prof] elle nous a donné une fiche... des... procédés rhétoriques, alors ça peut toujours nous aider à... / (/ où y a écrit quoi ?) y a zeugma, vous connaissez les zeugmas ? [...] y a plein, plein de procédés [...] y a plein de choses comme ça [...] y a... l’allégorie » ; « [ces documents] ça aide juste à trouver les procédés, à montrer... les procédés rhétoriques et tout [...] ça reste quand même bien... technique » (Didier ; père : PDG d’une PME, « études universitaires » non précisées ; mère : femme au foyer, a vendu des bijoux pendant une période, « faculté », non précisée)
« [la prof] nous a donné quoi ? Une fiche où y avait plein de... métaphore, ce que c’était une métaphore, plein de trucs comme ça... Je lis quand j’en ai besoin, mais autrement j’y apprends pas par cœur (quand t’en as besoin ?)par exemple quand je fais un texte, où je sais plus ce que ça veut dire... ce mot je vais voir si ça y est » (Adeline ; n’évoque ni la profession, ni les études de son père ; mère : agent commercial qualifié, CAP ; parents séparés depuis qu’elle a 6-7 ans, elle vit avec sa mère)
« je l’utilise beaucoup cette feuille [glossaire] [...] métaphore comparaison, bon on en fait tellement qu’à force ça commence à rentrer. Antithèse aussi ça va main’nant, mais bon les oxymores, les chiasmes, et les machins... y a des fois... on sait plus où on en est [...] (tu t’en sers aussi quand tu dois faire des devoirs à la maison... et tout ça) hum, ah oui, je l’ai tout le temps... je le laisse tout le temps chez moi pour être sûre de pas le perdre [petit rire], ouais je l’utilise beaucoup ce truc-là » (Elodie ; père : responsable d’affaires, IUT d’automatisme, études d’ingénieur ; mère : professeur de comptabi­lité en lycée, maîtrise et CAPES)’

La perception lycéenne de l’étude de texte (et particulièrement de la partie repérage), comme occasion de récitation et d’application de savoirs, infléchit la perception des textes lus en contexte scolaire. Les élèves les appréhendent comme de véritables supports d’exercices ou comme des illustrations de procédés littéraires. Les perspectives d’étude suivies (historiques, esthétiques, stylistiques) sont en effet sous-jacentes aux évocations des textes étudiés par les enquêtés. Les exercices effectués sur les textes les caractérisent parfois mieux que leur titre, leur auteur ou même leur contenu d’une part, et que les réactions lectorales relevant d’une logique participative d’autre part. Cette perception des textes lus en contexte scolaire a sans doute été favorisée par les entretiens. En effet, en demandant aux enquêtés d’expliquer ce que sont les études de texte, en interrogeant les lectures scolaires avant les lectures extra-scolaires, on a rendu possible la remémoration de ce qui, au sein des lectures scolaires, correspondait le plus à une activité scolaire pour les enquêtés. Les réponses ne sont cependant pas de purs artefacts. Les consignes d’entretien restaient suffisamment générales pour laisser aux enquêtés la possibilité d’évoquer les textes comme ils le souhaitaient : on demandait systématiquement aux enquêtés s’ils pouvaient évoquer ce qu’ils avaient lu en classe, ce qu’ils avaient fait autour des textes, ce qu’ils en avaient retenu et s’ils avaient apprécié le travail réalisé et les textes. Rejoignant la perception officielle des textes – celle des enseignants et des Instructions officielles –, les propos des enquêtés manifestent leur intériorisation de cette perception des textes lus en contexte scolaire :

‘« (tu peux me parler... des textes que t’as étudiés en cours de français) ben... jusqu'à maintenant on a étudié... des poésies, autrement... on a surtout lu des/, on a étudié [...] quelques textes de... La Chartreuse de Parme([il n’est pas sûr du titre, je le confirme :] ouais)pour faire un commentaire composé, et puis... des p’tits textes pour... expliquer les points de vue, et... des choses comme ça » ; « (vous étudiez des p’tits textes ?) euh ben juste pour faire les textes sur les points de vue, les... travaux sur les points de vue, et... les choses comme ça [...] (ça t’aimes bien ou t’aimes pas trop ?) ben... c’était un exercice, il était simple, sinon c’est, ça allait... (et les textes, c’est quoi ?) hou là ! [petit rire] euh... je m’en rappelle plus [...] c’étaient des extraits de livres... vraiment au milieu quoi, c’est juste pour nous montrer comment c’était » (Emmanuel ; père : chauffeur de camion ; mère : aide-soignante de nombreuses années, en recherche d’emploi ; scolarité primaire des deux parents au Portugal)
« (tu peux me parler... des textes que vous avez étudiés en français ? Cette année...) ben on a étudié... le romantisme, y avait quoi encore ? (le romantisme c’était quoi ? c’étaient des textes, des poé/, des poèmes ou...) oui, quelques poèmes, je me rappelle plus des auteurs mais y a eu quelques... poèmes » (Nicolas ; père : gardien dans une entreprise ; mère : femme de ménage dans la même entreprise ; scolarité primaire des deux parents en Italie)
« [à propos des groupements de textes] on en a fait un c’était sur l’automne : la poésie... sur l’automne... c’était tout varié [petit rire] [...] (et les textes c’étaient quoi ?) [...] sur l’automne y avait un poème de Lecomte de Lisle, un poème [...] de Rimbaud je crois, les autres je m’en rappelle plus. Ah si un poème de Verlaine aussi, pss’... je m’en rappelle plus du reste » (Léonardo ; père : dentiste, doctorat en médecine ; mère : sans profession, a été professeur d’économie, maîtrise d’économie, CAPES)
« on a étudié des tout p’tits textes quoi. On a commencé... à... faire la versification... et les choses comme ça, les rythmes pff’... [sur un ton ironique :] C’est très intéressant ça aussi [petit rire des deux] (ouais, ça ça t’a pas plu, l’étude...) les rythmes, je sais pas... c’est la même chose que le commentaire composé » (Valérie ; père : informaticien, bac et IUT informatique ; mère : ATSEM, CAP assurance puis CAP d’employée de bureau ; parents séparés depuis quelques mois ; elle vit avec sa mère)
« je m’en rappelle même pas de celui qu’on fait (en ce moment vous en faites un ?) ouais [petit rire des deux] Je m’en rappelle que c’est un sonnet, ah si c’est Le Paresseux [...] j’ai trouvé la figure de style bien, mais... (ouais ?)mais à part ça rien » (Farid ; père : gardien de nuit ; ne connaît pas ses études ; mère : femme au foyer, école primaire)
« ([à propos du DS intitulé ‘‘Initiation au commentaire littéraire’’]tu te souviens ce que c’était comme texte ?) euh... ouais c’était... en fait c’étaient deux hommes i z’étaient... i marchaient et puis i voyent... une foule de... i voyent plein... de soldats, plein de soldats, plein de soldats. Et... à un moment l’un d’eux i dit ‘‘Ouais... c’est’’/ Euh... i dit... ‘‘Mille têtes !’’ I dit... ‘‘Ces masses de têtes noires’’ (hum hum) nan ‘‘Cette masse noire !’’ Moi je me suis dit c’est une métonymie... ça désigne la tête ! (hum hum !) mais ça c’est facile » (Leïla ; père : ouvrier ; mère : femme au foyer ; ne connaît pas la scolarité de ses parents en Tunisie)
« [à propos du Hussard sur le toit] quand i demandait... de travailler sur le temps qu’i s’écoule... j’ai trouvé ça assez intéressant donc ça je l’ai fait [...] en repensant au temps, ça me fait penser qu’au tout début de l’année on a fait... Maupassant . Alors c’était... bon des nouvelles mais je... le recueil... s’appelle... Ah oui ! Contes normands et... parisiens, un truc comme ça (hum hum) et... bon moi Maupassant j’aime bien [...] déjà c’est des nouvelles qui sont courtes mais qui sont... précises quoi. Je veux dire... c’est sur une histoire qui débute p’t-être de nulle part, qui finit un peu nulle part aussi mais... y a un événement qui est vraiment... précis et... si ça dure sur trois pages... on a cet événement avec... les détails nécessaires... enfin je veux dire... comme Maupassant le... l’a écrit je pense que c’est... c’est bien quoi. 'Fin moi j’aime bien Maupassant [...] j’aime bien ce principe de nouvelles courtes et... précises. 'Fin ça me plaît bien quoi. C’est pas toujours évident parce que... 'fin ça parle beaucoup de la campagne, de la... dure réalité quoi [cf. étude du réalisme] (hum hum) mais j’aime bien ouais, ça me plaît bien [...] (et dessus vous faisiez quoi là ? Vous faisiez aussi des... lectures analytiques ?) ah dessus... alors, on a fait... des lectures analytiques, oui... on a fait des études du temps... avec ellipse, sommaire, pause, et tout (hum hum) euh... ah oui et des études du... narrateur aussi. Et... ça c’est pas évident quand même le narrateur... j’ai un peu du mal à savoir si c’est une focalisation interne, externe... focalisation zéro... ça j’ai un peu du mal... (c’était la première année que tu voyais ces termes-là ? Ou...) ouais, ouais ouais. Mais... c’est intéressant parce que ça nous fait bien réfléchir enfin je veux dire... tous les détails de savoir que... ‘‘Cette dame s’appelle madame Untel’’, c’est que le... narrateur la connaît... donc on... 'fin ça fait une petite enquête quoi mais... j’ai beaucoup de mal à faire à ça [petit rire] » (Nadine ; père : commercial en milieu scientifique, après avoir été ingénieur chimiste, bac +5 ; mère : pharmacienne, chef de laboratoire, a travaillé longtemps pour l’agence française du médicament, est depuis peu à l’OMS, études supérieures)’

Ainsi, parce qu’elle est dirigée par des questions qui demandent l’objectivation des textes à partir de savoirs spécialisés, la lecture en contexte scolaire implique une appréhension analytique des textes. Du fait de l’organisation de l’enseignement et de l’appropriation de celui-ci par les élèves, le travail réalisé au lycée sur les textes est saisi notamment comme lieu de récitation et d’application de savoirs, comme exercice scolaire qui nécessite sérieux et application. Il suscite la mise en suspens ou au second plan d’une appréhension pragmatique des textes (le temps de ce travail tout au moins). La plupart des enquêtés focalisent leur attention sur les savoirs à apprendre et à « appliquer ». S’ils se concentrent avant tout sur ces savoirs c’est aussi que ceux-ci constituent des savoirs tangibles et maîtrisables contrairement à l’élaboration de perspectives d’étude et à l’organisation de propositions interprétatives ponctuelles.

Notes
1120.

C. Détrez note que pour certains élèves la « lecture savante [...] est une technique [...] que l’on doit maîtriser au mieux, au même titre que les théorèmes de mathématiques ou que le programme d’histoire-géographie », C. Détrez, Finie, la lecture ?, op. cit., p. 472, on souligne.

1121.

Nombre d’élèves interrogés pour qui l’apprentissage ‘‘par cœur’’ stigmatise trop les ‘‘petites classes’’ préfèrent se référer à leur glossaire qu’en mémoriser son contenu.

1122.

B. Lahire, L’Homme pluriel, op. cit., p. 81.

1123.

D. Thin, Quartiers populaires, op. cit., p. 165, on souligne. Parce qu’elle est en partie produite par l’organisation même de l’enseignement, une telle perception de l’acquisition des connaissances se retrouve chez des élèves d’origines sociales différentes (et pas seulement ceux d’origines populaires).