2) S’en remettre à d’autres écrits, à d’autres personnes

Contrairement à ce que constate C. Détrez 1136 , les élèves de notre population ayant recours aux ouvrages de référence comme les Profil d’œuvres tentent de limiter les possibilités de « se laisser prendre par l’histoire ». Ils cherchent moins à s’y laisser prendre qu’à trouver des analyses des textes étudiés. Si un grand nombre d’enquêtés préfèrent les discours sur les œuvres aux œuvres mêmes – « le Profil il était mieux » que Le Rouge et le noir dit Aïcha –, c’est que ces discours offrent un savoir tangible sur les œuvres, proche des attendus professoraux, permettant d’y satisfaire. La vérification de lecture du Rouge et le noir est la seule copie qu’Aïcha m’a remise dont la note se situe au-dessus de la moyenne : elle a eu 14.5/20 et l’appréciation générale de l’enseignante est « C’est Tbien. Continue comme ça ! ». L’usage de ces imprimés, comme les discussions avec un entourage averti, permettent de proposer aux enseignants des discours analytiques sur les textes étudiés sans avoir à les produire soi-même ou en les produisant à l’aide de garde-fous. En effet, le recours aux productions parascolaires ou aux travaux de camarades, comme certaines discussions avec des membres de l’entourage, favorisent la mise en suspens d’une appréhension pragmatique des œuvres et donne accès à une lecture autorisée :

‘« le Profil je l’ai lu dans Le rouge et le noir, Stendhal, il était super bien [...] i... t’expliquaient les passages les plus importants, ce que ressentait... / Le parcours de Julien [...] tout ce qu’il a vécu et... i z’espliquaient comment... il était dans sa famille, et comment il est mai’tenant, et la durée du livre en fin de compte. Ça résumait tout quoi, je trouvais que c’était plus intéressant que le livre quoi (c’est vrai ?) han ! le livre ça m’a pris la tête [...] j’ai préféré lire le Profil et en plus j’ai compris avec le Profil, quand je lisais le livre des fois je comprenais pas hein. [Avec le Profil] je comprenais qu’il était... amoureux d’elle et tout, qu’il avait envie de la conquérir, de l’avoir et tout, qui, en fait c’était... comme un jeu pour lui [...] I disait ‘‘Aujourd’hui faut que je fasse ça. Faut qu je fasse ça, ça, ça’’. Et puis en fin de compte il le fait... i s’est mis une idée dans la tête, i va jusqu’au bout quoi, et puis... franchement le Profil il était mieux hein » (Aïcha ; père : a travaillé « dans les poteaux électriques », au chômage ; mère : chef d’équipe de propreté, en arrêt maladie longue durée ; scolarité primaire des deux parents en Algérie)’

Les sollicitations en direction des ouvrages de référence, l’ancienneté de la pratique ainsi que la tension liée à l’évaluation des lectures favorisent le recours à des discours d’accompagnement.

Selon les options pédagogiques de leurs enseignants, les élèves sont plus ou moins invités à s’emparer d’analyses et de commentaires d’œuvres ou de textes publiés dans des écrits variés (Profil, préfaces, encyclopédies, etc.). Ainsi monsieur F a mis en garde ses élèves des mauvais usages scolaires de ces écrits sur les textes que sont la copie et la récitation d’analyses de texte aux dépens de la production par les élèves de leur propre analyse (parfois nourrie de recherches documentaires). Contrevenant aux consignes lectorales, ces usages peuvent être sanctionnés. Jérôme raconte ainsi « le prof... i s’en aperçoit... quand on recopie... mot à mot... D’ailleurs, y en a qui avaient des zéros... Ben ça fait un peu mal quand même hein... on s’en rappelle... Faut éviter » et précise que son enseignant « avait parlé des préfaces, i nous avait dit que... i nous interdisait pas de les lire (ouais) i nous demandait juste de pas les recopier... de faire un travail personnel en fait ».

Certains enquêtés expriment leur intériorisation du point de vue professoral et scolaire. C’est le cas de Rodolphe qui s’approprie la justification professorale d’une construction de savoirs et savoir-faire analytiques dans une perspective morale :

‘« ([pour réaliser l’exposé sur les Contes d’Hoffmann] tu t’étais inspiré soit de dossiers... soit de... dans ton manuel si y avait des choses... ?) ah non pas du tout, non (non ?) j’avais juste... enfin je l’avais fait comme ça quoi (ouais ?) bon ben à partir de ce qu’avait dit le prof enfin des consignes générales qu’avait dit le prof quoi (hum hum ?) pour faire l’exposé mais... à part ça... j’avais pas utilisé de dossier... ni rien quoi (ouais !) parce que je trouve que ça fausse souvent... 'fin... nos capacités en fait (hum hum ?)y en a pas mal qui – genre pour un compte rendu de livre qu’on fait en cours (mouais ?) –qui apprennent le dossier, enfin qui lisent le dossier, et cetera, qui voient les... différents points de vue de grands lecteurs quoi et... enfin moi... je trouve ça stupide parce que ça fausse complètement notre point de vue et... (hum !) donc moi je préfère, quitte à avoir une... mauvaise note entre guillemets après quoi, je préfère le faire moi-même que... m’inspirer d’un dossier [...] après bien sûr on peut avoir 14-15 parce qu’on a... retranscrit exactement la pensée de quelqu’un d’autre mais... le but... c’est de mettre la sienne quoi (ouais !) mais bon ça je trouve, c’est ça que je trouve dommage et euh/ Et... je suis sûr que plus tard quand vraiment i faudra être franc, y en aura qu’auront... plus de problèmes que d’autres quoi (hum !) genre... dans des entretiens ou des trucs comme ça, ben... on pourra pas s’inspirer de la pensée d’autres quoi (hum hum)alors... d’un côté je préfère le faire tout de suite... et être plus à l’aise après que... (ouais ! T’habituer... tout de suite. Du coup, ouais, pour tous les autres livres... que vous avez dû lire pour les cours de français, t’as... jamais lu ni les préfaces, ni les dossiers, tout ça ?) ah non, jamais non, je lis jamais les préfaces ni rien parce que/ (/ ouais ?) bon des fois j’ai pas le temps non plus de lire mais... sinon... de manière générale je les ai jamais lues non plus quoi (hum !) parce que... ouais ! Et puis j’aime pas ça quoi » (Rodolphe ; père : directeur financier, bac, DESCF ; mère : secrétaire, bac)’

Si Colin regrette un malentendu avec son enseignant à propos de son recours au « dossier » pour préparer le contrôle de lecture des Nouvelles Pétersbourgeoises, il souscrit à la relative invalidation professorale dont il a fait l’objet. Il a obtenu 10/20 à ce devoir et l’appréciation générale de la copie par monsieur F est : « Des lacunes surprenantes dans la deuxième réponse, qui laissent penser que vous avez privilégié les lectures sur l’œuvre au détriment de celle-ci. »

‘« pour plusieurs [œuvres étudiées] j’avais regardé les préfaces ou... (hum !) ou souvent y a un dossier à la fin, les trucs comme ça (ouais ?) mais... ouais le problème c’est que des fois ça m’a... un peu trop influencé en fait [petit rire] (comment ça ?) et ben... après... 'fin le... prof i m’a dit que ça se voyait quoi que c’était... (hum hum) ça faisait... pas naturel pour lui. C’est ça en fait ! Je m’en rendais pas compte(ouais ?)je réécrivais la même chose un peu [petit rire] C’est vrai que/ (/ Tu trouvais que c’était juste comme interprétation ou... ?) ouais ouais c’est... je trouvais... ouais ça correspondait à ce que je pensais quoi... mais ouais je l’ai réécrit [petit rire] sans le vouloir en fait [...] [mais l’appréciation de monsieur F] c’était un peu vrai [sourire], je pouvais pas dire le contraire quoi [petit rire] (hum hum) mais... après j’ai essayé de changer. Ben... c’est vrai que c’est plus facile quoi ça aide toujours de lire un truc. Mais après pour s’en... séparer pour se faire... sa propre idée c’est... plus chaud » (Colin ; père : ingénieur, bac technique, diplôme d’ingénieur en formation continue ; mère : documentaliste au chômage au moment de l’entretien, baccalauréat)’

Bien que monsieur F refuse les récitations de préface ou de dossier, il n’en sanctionne pas nécessairement la lecture. En outre, la recommandation d’éditions particulières contenant générale­ment les textes étudiés et des commentaires, constitue une sollicitation implicite à la lecture de certains écrits sur les œuvres. Ainsi Jérôme souligne :

‘« (c’est le prof qui vous avait suggéré... de lire ces préfaces [...]) euh non au contraire. Non non les préfaces... non on a appris tout seul quoi, comme des grands on a vu qu’i y avait des préfaces et... voilà tout de suite hein, on a trouvé le meilleur moyen pour pas se faire suer [petit rire] » (Jérôme ; père : représentant dans une entreprise après y avoir été chauffeur-routier et vendeur, arrêt des études lorsqu’il était en seconde ; mère : assistante maternelle, arrêt des études en première)’

En posant des questions auxquelles les préfaces permettent de répondre, madame G incite également ses élèves à lire ces écrits. Caroline se félicite rétrospectivement d’avoir lu la préface d’Iphigénie avant le contrôle de lecture (cf. infra, chapitre 9). Pour sa part, madame B recommande à ses élèves l’usage de différents écrits sur les œuvres non seulement comme aide à la production des analyses de textes, mais aussi comme familiarisation avec les attendus professoraux : ces ouvrages donnent à lire des exemples d’analyses littéraires qui ne sont pas nécessairement des modèles parfaits 1137 . Tasmina rend compte de cette recommandation en soulignant le bon usage indiqué de ces documents. Leur lecture ne doit pas se substituer à la lecture des œuvres mais doit la compléter et constituer un soutien aux tentatives réelles de production d’une analyse des textes :

‘« [la prof] dit ‘‘Vous lisez le livre, mais après vous prenez le Profil pour vous aider un peu plus’’. En fait c’est un... comment dire c’est... ça complète (ouais)c’est pour compléter seulement, mais c’est pas pour... Faut pas lire seulement le Profil hein » (Tasmina ; père : gérant dans la restauration, après travail dans l’import-export, études de radiologie puis de commerce au Pakistan ; mère : femme au foyer, après avoir été professeur d’histoire au Pakistan ; elle vit en France avec ses parents depuis 11 ans)’

Les sollicitations à la lecture des écrits sur des textes étudiés en classe (ou au contraire les réserves émises à propos de cette lecture) ne sont pas seulement le fait des enseignants. Elles peuvent aussi émaner des membres de l’entourage familial (frères et sœurs, parents) ou amical, ou de professionnels du livre (bibliothécaires, médiateurs, libraires, etc.). Du fait de la diversité possible des sources de sollicitations, on comprend qu’un grand nombre d’enquêtés déclarent des lectures au moins occasionnelles d’écrits sur des textes étudiés. Le partage de ces lectures par un grand nombre d’enquêtés n’empêche pas des variations de ce recours du point de vue d’une part des écrits lus et d’autre part des manières de lire (assimilatives ou interprétatives) et des fonctions attribuées à ces lectures (comme complément de la lecture des originaux ou comme substitut à celle-ci).

Les écrits parascolaires tels les Profil sont plus souvent lus par des enquêtés dont les parents ne sont pas bacheliers et les « encyclopédies littéraires » ou « Littérature » sont plus souvent évoquées par des enfants de bacheliers dont les membres de la famille possèdent de tels ouvrages de référence et en orientent la lecture. Ainsi Esther lit la « Littérature » de son père :

‘« si y a un truc [que je ne comprends pas en français], je demande à mon père... ou je recherche dans une encyclopédie, ou... justement dans une Littérature, ou des trucs comme ça... Mais sinon, nan je vais pas... j’irais pas à la bibliothèque pour me renseigner sur... un auteur. » ; « (tu me disais que t’avais lu la préface... enfin je sais plus...) du Père Goriot(duPère Goriot. Tu lis tout le temps les préfaces... ou des trucs comme ça ?) mais après ! (hum hum) après, ouais souvent. Ça dépend en fait ! [...] Bon j’ai lu la préface du Père Goriot et pourtant c’était pas quelqu’un de connu, mais j’ai lu la préface des Liaisons dangereuses ...(ouais)c’était de Mauriac, je crois... ou du Malraux. Enfin, tu vois, je m’en souviens même plus... Et justement quoi quand c’est quelqu’un de connu [...] ça m’intéresse plus [...] sur Le Père Goriot j’ai lu la préface, mais alors pp’ que c’était un truc qui m’avait... [elle fait une grimace ; je ris] Je me dis mais j’ai... soit je me suis, 'fin ! D’ailleurs, ça m’avait arrêté parce que je me dis ‘‘Mais t’es passée à côté quoi !’’ J’étais... (ah ouais ?) ah mais oui, je me suis dit ‘‘Mais... je lis... on a lu le même livre ou euh... ?’’ Et puis après... mon père m’a dit ‘‘Nan mais i faut pas faire attention, ça dépend des fois, les opinions divergent après c’est autre chose quoi c’est...’’ Mais... Et ben Les Liaisons dangereuses c’était instructif en plus vraiment c’était... ‘‘Han...’’ [visage éclairé mimant la compréhension révélée...] C’était... Et puis je sais pas, je trouve que c’est bien aussi d’avoir justement le point de vue... la préface, ça donne un peu le point de vue... justement de... ben de... (de l’auteur... du critique) ouais, voilà : du critique » (Esther ; père : officier de police judiciaire, licence de philosophie ; mère : femme de ménage, enfance en Espagne, non scolarisée)’

Comme Marie-Eve, Eléonore déclare consulter les encyclopédies littéraires familiales (sur les conseils de ses frères aînés) mais ignore l’existence des Profil :

‘« je fais des recherches personnelles parce que... chez nous on a des... t’sais des encyclopédies des œuvres... (ouais) littéraires quoi depuis... le quinzième siècle... Siècle par siècle(ouais) Donc là i donnent des grandes idées... sur ce que pensait l’auteur... et cetera, donc ça ça aide plus que... les autres pages quoi du livre (ça tu le fais systématiquement ?) ça je le fais souvent ouais (ouais) et... c’est mes frères en fait qui m’ont donné cette idée(ouais) ’Fin qui m’ont donné cette idée, un jour i z’ont sorti tous les bouquins et i m’ont aidé à faire un truc(ouais) donc du coup main’nant je le fais systématiquement parce que... c’est un réflexe (ouais) quand j’ai besoin de quèque chose... je sors mon p’tit livre du seizième siècle et puis je lis ce qu’y a marqué [...] (hum, et sinon des fois ça t’arrive de lire des Profil des oeuvres ?) les Profil des oeuvres... (que vous étudiez en cours) les Profil, comment ça les Profil  ? » (Eléonore ; père : ingénieur ; mère : sans profession, bénévole dans une association d’accompagnement à la mort ; ne connaît pas les études de ses parents)’

Cette connaissance partielle de la production critique manifeste et accompagne la variété des légitimités scolaires des écrits sur les œuvres littéraires. Elle témoigne pour Eléonore de la proximité des arbitraires culturels familial et scolaire. Mais tous les enquêtés ne connaissent pas une telle proximité et ne bénéficient pas de ses avantages scolaires.

Outre les sollicitations lectorales expresses, la tension liée à l’évaluation des lectures peut induire le recours à de tels écrits. En effet, dans un contexte où les discours sur les œuvres sont appréhendés et évalués comme indicateurs des façons de lire mises en œuvre, un des plus sûrs moyens de canaliser une appréhension pragmatique des textes et d’avoir une appréhension analytique consiste à ne pas s’attarder trop sur les textes mêmes. C’est pourquoi des élèves interrogés privilégient les discours sur les textes tels qu’en dispensent des ouvrages de référence ou tels qu’en prononcent des membres de leur entourage. Ils suspendent de la sorte leur appréhension des œuvres et s’en remettent à celles qu’ils pensent mieux correspondre aux attendus professoraux. Stéphane témoigne d’une telle attitude :

‘« (des fois tu lis les Profil ?) ouais, ben pour Le Rouge et le noir j’avais acheté le Profil, et pour... et pour Dom Juan aussi, j’avais... lu les Profil. Ouais ça m’aide à... mieux comprendre en fait (hum, parce que c’est quoi toi ? ça t’aide comment ?) en fait c’est/ Ben... i prennent chapitre par chapitre et i réexpliquent tout quoi, surtout pour Le Rouge et le noir ça m’a aidé parce que les chapitres sont longs. Et là et ben c’était bien résumé et tout machin, et puis à côté y a... un commentaire quoi sur ce chapitre, et donc voilà quoi ça m’a aidé à comprendre dans le détail. Je sais pas je... mon DS sur Le Rouge et le noir j’avais réussi c’est... grâce au... au Profil. Je crois que si j’avais pas acheté le Profil... j’aurais pas eu... je crois que j’avais eu treize [une des meilleures notes] à ce DS je crois que j’aurais eu... une note plus basse, si j’avais pas eu le Profil. » (Stéphane ; père : plombier zingueur, certificat d’études ; mère : secrétaire, école primaire en Italie, école ménagère en France)’

Le recours à des écrits sur les œuvres ou à des discussions avec des membres de l’entourage sur les lectures sont d’autant plus fréquents que les élèves interrogés ont des enseignants qui vérifient et évaluent les lectures intégrales d’œuvres de la littérature classique (madame B, monsieur F, madame G). A l’inverse, quasiment aucun élève de madame D n’a lu de tels écrits (exceptés ceux qui sont invités par leur entourage à préparer l’épreuve anticipée de français dès la classe de seconde).

La déclaration du recours à des écrits ou à des aides personnalisées permet parfois l’expression d’une résistance aux exigences scolaires de réitération d’une production individuelle d’interprétations et d’analyses de texte. L’illégitimité scolaire de telles pratiques contribue sans doute à la faible fréquence de leurs déclarations en entretien (la prise de contact avec les enquêtés augmentant les probabilités d’un tel silence). Mais, la constitution de la population d’enquête explique vraisemblablement aussi la relative rareté du détournement volontaire des attendus professoraux à l’endroit des lectures d’accompagnement. Elèves de seconde d’enseignement général, volontaires pour participer à une enquête sur la lecture dont la prise de contact s’est effectuée au sein des cours de français, la plupart des enquêtés ont construit les savoirs et savoir-faire scolaires permettant de répondre plus ou moins adéquatement aux questions professorales. Ils ont de plus souvent intériorisé les principes et modalités légitimes de production de leurs réponses à ces questions : une production scolaire sans recours à des glossaires, commentaires, etc. – condi­tions réelles d’évaluation des compétences –, une maîtrise des savoirs scolaires appréhendée par la capacité à les produire plutôt qu’à les réciter.

De telles déclarations sont plus fréquentes lorsque les enquêtés sollicitent des membres de leur entourage pour répondre aux consignes professorales. Des enquêtés peu à l’aise avec les études de textes, peu amateurs de cette activité ou partisans du moindre effort en matière de lecture, s’en remettent aux travaux et aux explications de leurs proches sans toujours chercher à produire eux-mêmes l’analyse des textes réclamée par leurs enseignants. Ainsi Vanessa reprend le décompte de « deux » qu’a effectué son frère à l’occasion de l’étude de la relation fraternelle dans le roman de Maupassant, Pierre et Jean. Najia se fait raconter le même roman par sa grande sœur. Lagdar copie parfois les corrections de copains d’une autre classe. Yannick comprend le sens de ‘‘misan­thrope’’ en lisant des interviews d’un membre du groupe de métal du même nom. Olivia explique avoir préparé un exposé sur la littérature argentine à partir de quelques nouvelles lues de Borges et des échanges avec sa mère :

‘« (on m’a raconté qu’i fallait... dans Pierre et Jean compter le nombre de fois où y avait ‘‘deux’’, le nombre ‘‘deux’’... /) / ah mais je l’ai pas fait ça en fait parce que mon frère il l’avait étudié... avant et il avait déjà les résultats alors je les ai repris. Mais... nan... j’aurais pas aimé le faire ! (mouais ?) non... [petit silence] Donc ça m’a arrangée bien d’avoir un peu... de l’aide ! [petit rire des deux] Nan... mouais, je trouve pas ça super intéressant ! [pause] (il a eu la même prof ?) ouais ! L’année dernière... » (Vanessa ; père : directeur de division, bac et école de commerce ; mère : guide conférencier, bac, doctorat en microbiologie, fac d’histoire de l’art)
« des fois... je viens au CDI... je me pose et tout, et... on le fait ensemble en fait [...] quand c’est... les choses à relever, ben on relève tous... les mêmes choses mais... quand on écrit, on change les mots et tout pour pas que la prof elle dise ‘‘Ouais, voilà, vous l’avez fait ensemble, et tout’’. Mais... la prof en fait... à mon avis... elle doit rien dire juste pour... quand on travaille... ensemble... si on change les mots et tout, ouais c’est bon, mais... On essaie de voir... parce qu’autrement elle nous punit. Comme une fois, elle l’avait rodave [ie. remarquer] et elle nous a puni en fait elle nous a mis zéro parce que... on avait recopié sur une correction, on n’avait pas mis les mêmes mots, mais... elle a dû voir en fait. Elle s’en doutait c’est pour ça (ouais en fait c’étaient des... d’une correction de... d’une autre classe c’est ça) voilà. Mais ça je le fais, ouais voilà. Mais moi ça je le fais rarement ! Mais au sinon... c’est surtout ma sœur, je rentre toujours chez moi... au sinon je me pose, des fois je me pose avec Nordine et tout... » (Lagdar ; père : ouvrier chaudronnier en invalidité ; mère : femme au foyer ; pas de scolarité supposée en Algérie)
« on a lu un livre... (mouais) Misanthrope (hum hum. Et qu’est-ce que... tu te souviens si ça t’avait plu... déplu, euh...) ben... à premier aspect... comme je comprenais pas, ça m’avait assez déplu. Puis après ben... j’ai réussi à comprendre avec différents moyens. Et puis voilà quoi (qu’est-ce que... t’avais pas compris ? Puis comment t’as... réussi à comprendre p’tit à p’tit ?) [sourire ; je ris un peu] Ah... si tu veux c’est assez spécial puisque... ben au début je comprenais pas vraiment le rôle de Mo/, pas de Molière... d’Alceste(ouais)puis... y a un groupe de... musique qui s’appelle Misanthrope et... i parle assez de ça et puis... et j’ai donc pu comprendre comment... quel était / (/ en écoutant le groupe de musique ?) ouais puis... y a des interviews aussi sur les livres... que je connais et voilà. Voilà ça m’a pas mal apporté et j’étais content (c’est quoi ce groupe en fait ?) ben pff’... c’est un groupe de Metal [petit rire] (ouais) ouais ouais, puis... voilà quoi (et les interviews i disent quoi dedans ?) ben... pff’ par exemple sur les interviews i z’avaient demandé... ‘‘Pourquoi ?’’ Euh... par exemple : ‘‘Comment’’, ‘‘Quelle vision avez-vous des hommes ?’’ Et ben... il lui avait dit... que... ‘‘Je les aime pas... de telle façon... comme Alceste l’a montré, c’est exactement comme ça’’ et tout... Après j’ai... voilà. A peu près quoi » (Yannick ; père : ouvrier RVI à la retraite, « BEPC » ; mère : assistante maternelle, « BEPC »)
« j’ai fait... un exposé sur... la... littérature argentine(ah ouais, c’était pour remplacer. Et justement t’as parlé des nouvelles de Borges ?) ouais ! J’en ai parlé et puis j’ai parlé d’autres... auteurs (comment t’en as parlé ? Tu racontais les histoires ou... ?) euh... oui, j’ai raconté un peu leur vie, et puis les livres qu’i z’ont écrit et... certaines histoires. Même si... je ne les avais pas toutes lues (et comment t’avais fait ?) hum... ma mère qui m’avait raconté ! [mimique et ton malins] » (Olivia ; père : architecte, études d’architecture ; mère : femme au foyer, donne des cours particuliers d’espagnol, études supérieures en sciences de l’éducation ; études parentales en Argentine ; elle vit en France depuis qu’elle a 7 ans)’

Les enquêtés recourant à des écrits pour la production d’analyse de texte expriment moins ouvertement une résistance aux exigences scolaires d’une production individuelle. Ils le font surtout lorsque ce recours a été désigné comme malfaçon. Ainsi, les élèves de monsieur F qui recourent à des Profil, qui lisent les préfaces ou dossiers sur les œuvres, ou qui effectuent des recherches sur internet, savent qu’ils enfreignent les consignes professorales. Ils déclarent tous « se faciliter » la tâche en évitant de se confronter seuls à la production d’une analyse des œuvres ou, comme Jérôme, éviter de « se faire suer ». Bien que madame B ait moins mis en garde ses élèves contre ces usages illégitimes des écrits sur les œuvres, Sophie témoigne dans un sourire de l’illégitimité de ses recours aux Profil des œuvres étudiées :

‘« Britannicus i fallait que je le lise et puis... pp’... j’ai commencé [petit rire] je sais pas si je vais le terminer parce qu’en fait j’ai acheté le Profil parce qu’avec le Profil je comprends mieux, parce que comme ça les pièces de théâtre... je comprends pas grand chose » ; « (les Profil c’est plus quand... t’arrives pas trop à comprendre) ouais voilà, comme... là Britannicus... j’étais obligée (et dans La Peste comment...) dans La Peste ? (ouais) comment j’ai fait ? (ouais) euh pff’... ouais en fait parce qu’on avait un truc à rendre [...] La Peste j’avais le Profil aussi, alors quand [la prof] elle parle des personnages c’est bien, parce qu’i disent tout sur ce qu’i pensent, on n’a pas besoin de chercher nous-mêmes [petit rire] » (Sophie ; père : médecin, doctorat de médecine ; mère : sans profession, garde des enfants à domicile, a été laborantine, bac technique ; parents séparés depuis qu’elle a 5 ans, elle vit avec sa mère)’

Mais qu’il soit perçu ou non comme illégitime, le recours à des aides extérieures est souvent associé à un sentiment d’insécurité face aux exigences lectorales lycéennes. Il peut se comprendre par analogie au recours à des porte-parole politiques tel que l’analysait Pierre Bourdieu :

‘« la vision populaire est réaliste qui ne voit pas d’autre choix, pour les plus démunis, que la démission pure et simple, reconnaissance résignée de l’incompétence statutaire, ou la délégation totale, remise de soi sans réserve [...] confiance tacite, remise de soi silencieuse, qui choisit sa parole en choisissant ses porte-parole » 1138

Parce qu’ils sont peu sûrs de l’adéquation de leurs lectures aux exigences lycéennes (quelle que soit l’adéquation objective de leurs réponses aux exigences professorales), et lorsqu’ils sont confrontés à des textes qu’ils trouvent difficiles, de nombreux enquêtés recourent comme Stéphane à des Profil, à la lecture de préfaces et de dossiers sur les œuvres ou d’encyclopédies, ou à d’autres aides :

[1] S’en remettre à des personnes (médiateurs du livre, bibliothécaires)
A propos de Britannicus : « il est dur hein (ouais) je suis partie à la bibliothèque j’ai demandé à... au monsieur qui travaille à la bibliothèque de m’aider [...] et alors i m’expliquait » ; « [à la bibliothèque] Dès que j’ai un problème, j’ai pas compris le livre, je dis ‘‘Monsieur vous pouvez comprendre qu’est-ce qu’i veut dire le per/, l’auteur par là ?’’ et i m’explique » (Tasmina ; père : gérant dans la restauration, après travail dans l’import-export, études de radiologie puis de commerce au Pakistan ; mère : femme au foyer, après avoir été professeur d’histoire au Pakistan ; elle vit en France avec ses parents depuis 11 ans)
« je fais tout pour aller à la bibliothèque [...] si je comprends pas quèque chose, on peut m’aider là-bas(ouais ? tu demandes aux... aux gens) ouais... aux personnes qui s’occupent des bibliothèques » ; « y a... trois-quatre personnes qui nous aident [...] moi je vais... pour faire mes devoirs [...] i m’aident sérieusement en français [...] i savent de quoi [...] parle le texte et tout, i m’expliquent » (Kamel ; père : soudeur ; mère : sans profession ; scolarité primaire des deux parents en Algérie)
[2] S’en remettre à d’autres écrits
« (t’avais lu pendant les vacances Madame Bovary ou Rue cases-nègres ?) ouais [...] Madame Bovary... ça m’a gavé en fait [...] (et tu l’as lu en entier quand même ?) ouais je l’ai lu en entier, avec le procès et tout ça... (même la fin tu l’as lue ?) ouais, je suis sérieux [...] [la préface de] Madame Bovaryje l’ai lue parce que y a des trucs que je comprenais pas(ouais, ça t’a aidé ?) [...] ça aide si... des fois, mais... et après on a tout... ça fait qu’on pense un peu comme... la préface » (Matthieu ; père : agent de maintenance, CAP puis formation par l’AFPA ; mère : directrice d’un centre social, maîtrise d’économie ; parents séparés, il vit avec sa mère)
« [quand j’achète des livres pour le lycée] je prends... surtout Folio puisqu’y a pas mal de trucs en dehors(ouais, de trucs en dehors c’t-à-dire ?) de... de bibliographies... de commentaires(ça tu les lis ?) [...] ouais, j’y reviens après [...] en fait je passe pas mal de temps après le livre, à essayer de comprendre, à... retourner sur des morceaux tout ça » (Elodie ; père : responsable d’affaires, IUT d’automatisme, études d’ingénieur ; mère : professeur de comptabilité en lycée, maîtrise et CAPES)
« quand tu sais rien sur l’auteur ou... ou pas exactement les idées qu’i voulait développer, surtout quand tu captes rien au texte, ça peut... ça peut t’aider [les encyclopédies]. Ou alors j’ai des... auteur par auteur aussi : i z’espliquent des textes, et... de temps en temps et ben... ça donne des idées... plus fixes et plus... comment dire ? plus... je sais pas comment dire... plus concrètes » ; « je serais prête à lire [...] des explications [...] plutôt que de relire le livre et pour être bien sûre que j’ai bien compris... je préfère prendre des... des explications qui sont p’t-être... qui sont vraies, elles au moins, pas ‘‘au moins’’ mais... qui sont justifiées... et que l’auteur a voulu faire passer lui-même » (Eléonore ; père : ingénieur ; mère : sans profession, bénévole dans une association d’accompagnement à la mort ; ne connaît pas les études de ses parents)
« [Madame Bovary] je devais le lire pendant les vacances, et... j’ai fait, j’ai lu les cinquante premières pages, puis comme ça m’a gavée un peu, ben... j’ai arrêté. [...] des fois en plus je comprenais même pas ce que je lisais [quand je lisais le livre] alors j’étais obligée de reprendre tout le chapitre, et puis au bout de deux ou trois fois, c’est vrai que... y en avait un peu marre, et donc j’ai laissé tomber et puis j’ai pris le Profil et puis je l’ai lu en entier, et ça me détaillait tous les chapitres donc ça allait » ; « moi j’achète toujours les Profil quand je lis une œuvre parce que... après je me dis ‘‘Si je comprends pas et tout au lieu de... rester comme ça et tout... à pas comprendre, ben au moins j’ai le Profil et puis je peux comprendre’’ et puis y a beaucoup plus de trucs. Donc voilà, c’est vrai que... je préfère prendre un Profil [...] je fais ‘‘Si c’est difficile, ben tu pourras toujours... lire le Profil quoi’’ [...] T’façons ça, ça va être un devoir où on n’aura pas le livre aussi, ça sera en cours [...] en deux heures [...] Donc j’ai intérêt à bien quand même... comprendre ce texte [Britannicus] » (Véronique ; père : cadre commercial au chômage, équivalent baccalauréat ; mère : hôtesse d’accueil, études d’hôtesse de l’air)
« Le Rouge et le noir quand même je l’ai lu en entier, en sautant quelques chapitres parce que j’étais à la bourre... pour le contrôle (ouais ?) mais bon... on était bien obligé, mais j’avais acheté le... comment on appelle ça ? Le... Oh ! (le Profil ?)le Profil voilà... qui m’a bien aidée quand même(ça tu l’as lu ?) oui le Profil oui en entier, j’étais bien obligée [...] dans le Profil y a [...] le résumé de chaque partie, y a l’étude des personnages et... tous les p’tits points qui sont... et d’ailleurs ces p’tits points... j’ai remarqué qu’on les a revus en cours(ouais ?)voilà, donc ça ça m’a aidée hein aussi, voilà [...] (et pour Madame Bovary par exemple ?)Madame Bovary aussi je l’ai lu le Profil, mais... bon i m’a p’t-être moins servi, parce que comme on l’a étudié en classe, on n’en avait pas tellement besoin et y avait pas de contrôle dessus » (Isabelle ; père : policier, niveau bac ; mère : vendeuse, après avoir été modiste, arrêt des études à 14 ans)
« moi j’ai beaucoup aimé... Edgar Poe. C’était bien maîtrisé bien... bien, bien sympa. Franchement avec le petit dossier à la fin du livre... ça aide bien aussi(ouais ?)pour saisir des choses qu’on a... p’t-être pas vues au début... du genre... les rapports à la couleur et à la société de l’époque... par exemple le rouge... du XIXe siècle... où... ça symbolise quèque chose d’un peu gauchiste... ou alors... le noir qui symbolise le deuil... mais peut-être que dans la situation... où le passage est en Afrique... noir symbolise la gaieté... le blanc, le deuil, enfin. Enfin je sais pas y a des rapports à la société et des codes , des connotations qu’on retrouve pas... de par soi-même  !(hum)parce que on n’est pas dans la société de l’époque et on n’est pas dans la tête du poète enfin... de l’auteur ! Donc les dossiers sont là et ça c’est... i sont sympas aussi [...] en gros je lis quand même les dossiers parce que... c’est vraiment un coup de main quoi. Puis ça permet de pas trop se fatiguer, y a quelques remarques sympa... et puis quand on relit, on retrouve... ça fait écho en fait dans la tête. Tu te dis ‘‘Ah ! P’t-être que là...’’. [...] ça aide bien les dossiers quand même » (Jean ; père : directeur marketing dans une entreprise pharmaceutique, doctorat de biologie ; mère : conseillère en formation pour cadres licenciés, bac, études supérieures « de base » en psychologie)
« [Gatsby le magnifique] on avait un contrôle dessus en fait c’était un contrôle, on devait étudier les thèmes dessus (hum hum)alors pour faire ça moi je suis pas fort du tout pour ça. J’ai été sur internet j’ai fait Gatsby le magnifique . Pouf ! Oh, un article dessus, je prends le premier qui vient et je le lis quatorze fois... (hum hum) et j’ai réussi à trouver, à dégoter toute une petite trame comme ça (qu’est-ce qu’i y avait écrit, tu te souviens ?) euh... le dossier était... très complet [...] Et j’ai eu quand même... onze... onze ou douze à ce contrôle(ouais ?) c’était... une de mes seules notes au-dessus de la moyenne, j’ai dû avoir un 10, un 11, un 12 et un 14... Sinon les autres c’étaient des 9 » (Gaspar ; père : pasteur ; mère : ouvrière ; études des deux parents jusqu’en troisième au Laos)’

En justifiant leur réponse par le paratexte qui accompagne le sujet d’un devoir, Kamel et Adeline manifestent leur recours habituel à des écrits sur les œuvres pour répondre aux questions professorales. L’explicitation de ce recours est jugée peu opportune par les enseignants :

‘A la question « Le destinataire réel du discours est-il présent [dans la tirade] ? Pourquoi ? », Kamel répond : « Le destinataire réel du discours n’y est pas, la femme de Chrysale n’est pas présente alors que l’entête nous indique que le discours porté par Chrysale lui est destiné. Elle est autoritaire et lui qui est un mari timoré est dominée [sic] par celle-ci qui est une femme-savante, une précieuse ». L’entête disait : « [...] Chrysale, un mari timoré dominé par son épouse autoritaire, Philaminte, qui est une ‘‘femme savante’’, c’est-à-dire une précieuse. [...] Chrysale ose en fin se révolter face à sa femme et à sa sœur [...] ».
A la question « A qui renvoient ces pronoms personnels ? [...] Qu’en concluez-vous ? », Adeline conclut sa réponse par : « D’après la notice du texte nous savons que le 4 décembre 1851, les troupes de Napoléon firent un carnage. Donc on peut en conclure que ce texte a été écrit contre Napoléon à cause de ce fait ». Madame A note dans la marge : « aucun rapport clair avec les pronoms ».’

Qu’elles complètent ou remplacent la lecture des œuvres, qu’elles soient ou non conçues comme pratiques illégitimes scolairement, les lectures d’ouvrages ou de textes de référence (ou les discussions) participent d’une logique de vérification-rectification de l’appréhension des œuvres et sont liées à la tension des enquêtés quant à la valeur de leur compréhension de textes 1139 . Intentionnellement ou non, les enquêtés vérifient si ce qu’ils ont compris des textes, est bien ce qu’il fallait comprendre. Et ils peuvent oublier (un temps tout au moins) ce qu’ils avaient compris des textes au profit des discours sur les œuvres qu’ils ont collectés, s’il le faut pour répondre aux attendus professoraux. Ces recours à des aides extérieures et l’évitement de la production d’analyse des textes constituent des manières de ne pas « se desservir » 1140 lorsque les savoirs et savoir-faire ne sont pas assurés. Ils sont aussi des manières de se familiariser avec des discours sur les œuvres voire de les mémoriser. Ils constituent parfois peut-être une familiarisation avec un recours universitaire à l’appareillage critique des œuvres qui précèdent toutes recherches.

Ce recours à d’autres écrits pour « se faire expliquer » les textes qui doivent être lus pour les cours de français, pour les « comprendre » comme ils doivent être compris en classe de seconde, révèle les difficultés réelles rencontrées par les élèves. Mais il manifeste également la force des représentations attachées aux différentes catégories de textes ainsi que les effets de la tension liée à l’évaluation des façons de lire. Tout se passe comme si le sentiment d’insécurité éprouvé face à des textes littéraires (dont la lecture est évaluée) n’était plus de mise face à des écrits ‘‘informatifs-explicatifs’’ désignés comme contenant une juste analyse des textes. Pour reprendre les mots de Matthieu « le mode d’emploi » a pour lui l’évidence de la clarté par opposition « aux poèmes » :

‘« [les poèmes étudiés] je comprends rien ! [...] ça fait des mots... les uns... à la suite des autres (ouais) y a même pas de verbe on dirait à des moments, on comprend pas et... faudrait un mode d’emploi avec [petit rire] » (Matthieu ; père : agent de maintenance, CAP puis formation par l’AFPA ; mère : directrice d’un centre social, maîtrise d’économie ; parents séparés, il vit avec sa mère)’

L’appartenance des œuvres littéraires au corpus des textes étudiés en cours de français contribue sans doute à renforcer les représentations sociales des différentes catégories de textes : si les œuvres sont étudiées, c’est qu’elles sont difficiles et qu’elles doivent faire l’objet d’une explication.

Notes
1136.

A propos de collégiens, C. Détrez note « l’histoire prévaut sur le style. Les enquêtés invoquent leur passion du ‘‘suspens’’. La tension vers la fin préside en général à la lecture des collégiens : c’est la fin et l’attente de la fin, qui justifient la lecture. [...] D’où le succès des ‘‘profils’’ d’une œuvre, collection dont le principe est de proposer un résumé et une analyse d’une œuvre littéraire », C. Détrez, Finie, la lecture ?, op. cit., p. 359.

1137.

Madame B affirme un tel point de vue lors de l’entretien. La lecture des « bons passages » de copies lors des rendus de devoirs s’inscrit dans une même logique d’enseignement.

1138.

P. Bourdieu, La Distinction, op. cit., p. 489, on souligne.

1139.

Par analogie avec l’analyse proposée par P. Bourdieu des productions langagières, on pourrait dire ‘‘le prix de sa production symbolique sur le marché scolaire’’, P. Bourdieu, Ce que parler veut dire, op. cit., p. 76-77.

1140.

D. Thin, Quartiers populaires, op. cit., p. 149.