b. des savoirs et savoir-faire maîtrisés ou rapidement acquis

La scolarité antérieure de ces enquêtés n’est pas exempte de déconvenues lectorales. Ils déclarent avoir ponctuellement eu à lire des textes qu’ils n’appréciaient pas ou avoir obtenu quelques « mauvais » résultats à des travaux d’écriture (pour hors-sujet). Néanmoins, ils dressent le portrait d’une scolarité en français globalement brillante : les diverses habitudes lectorales auxquelles ils se sont exercées ont été reconnues scolairement.

Rétrospectivement, ils perçoivent leurs cours de français au collège (et lors de la première seconde pour Caroline) comme une initiation à l’étude de texte. Tous ont analysé le style de quelques auteurs classiques et ont observé certains de leurs procédés d’écriture (« Balzac et ses descriptions »). Tous ont étudié des figures de style et des personnages. Tous ont résumé des livres. Séverine se souvient même avoir eu à effectuer l’étude détaillée d’une œuvre intégrale (constitution guidée mais individuelle d’un dossier littéraire sur Une Saison blanche et sèche analysant les personnages, la construction narrative, les thématiques, etc.). De fait, malgré la nouveauté des exigences lectorales lycéennes, ces enquêtés ne sont pas pris au dépourvu et, à l’instar d’Olivia, ils savent faire face aux nouvelles consignes :

‘« tout ce qu’on fait cette année, c’est nouveau par rapport aux années d’avant(ouais ?)on avait déjà vu les champs lexicaux, ce que ça entraînait qu’i y ait beaucoup de mots enfin bon voilà ! Mais pas... sous la forme qu’on la voit cette année, mais c’est vrai que c’est pas tout nouveau... c’est pas ‘‘Etudier les champs lexicaux : merde qu’est-ce que c’est qu’un champ lexical ?’’ (hum hum hum) non c’est vraiment... on avait vraiment... on avait les bases ! Donc... le collège on a appris ce que c’était que les choses, mais là on le met plus en forme selon ce qu’on nous demande au bac » (Olivia ; père : architecte, études d’architecture ; mère : femme au foyer, donne des cours particuliers d’espagnol, études supérieures en sciences de l’éducation ; études parentales en Argentine ; elle vit en France depuis qu’elle a 7 ans)’

Lorsqu’ils ne possèdent pas les savoirs et savoir-faire spécialisés dont les consignes lectorales exigent la mobilisation et la mise en œuvre, les enquêtés les apprennent rapidement ou recourent à des outils appropriés.

Ainsi, comme Mathilde ou Bruno, Philippe dit avoir appris systématiquement les procédés stylistiques qu’il n’avait pas étudiés au collège :

‘« [pour les DS et les études de texte] je révisais des... des mots  ! Des termes... que je connaissais pas, des mots qui... qui signifiaient des trucs (comme quoi ?) ben... tout ce qui est éloge et blâme... apologie et tout ça (ouais ?) j’ai... j’essayais de... je les apprenais par cœur... toutes les figures de style j’apprenais par cœur ! Pour connaître ce que c’était ! » (Philippe ; père :électricien, CAP ajusteur mécanicien ; mère : aide comptable, CAP employée de bureau)’

D’autres enquêtés mentionnent le recours opportun à des outils de travail. Comme Philippe ou Marie-Eve, Séverine consulte les fiches-méthodes de son manuel lorsqu’elle en ressent l’utilité. Elodie et Bruno relisent leurs cours et cherchent des informations dans leur manuel de littérature. Comme Caroline pour réaliser l’explication de texte d’un extrait de Madame Bovary, Olivia compulse un Profil pour constituer un dossier littéraire sur Nouvelles Pétersbourgeoises et préparer son contrôle de lecture. Elle n’en retient que ce qui lui semble important et fondé à l’aune des consignes lectorales professorales et de ses habitudes lectorales analytiques constituées :

‘« (quand tu prépares des textes... tu te sers de ton cours ou... du manuel, ’fin... du livre de littérature ou...) ben... au début oui parce que... fallait tout le temps... parce que dans... i z’ont des fiches-méthodes dans le livre pour l’énonciation et tout, puis à force de faire toujours les mêmes exercices c’est rentré et... en fait... non j’arrive bien à chercher comme ça (ouais maintenant tu t’en sers plus) ouais » (Séverine ; père : potier, un an en IUT économie ; mère : potière, bac scientifique)
« (tu travaillais avec ton cours, pour faire tes... [préparations ?]) puis... des livres aussi. Le livre de méthodes... on s’en est pas trop servi cette année (ouais ?) mais moi je me suis bien servi pour les préparations... parce que bon par exemple des fois i disait... ‘‘Qu’est-ce qu’un poème ?’’ Moi je sais pas... donc moi... c’est pour ça je prends mon livre, je regarde, je regarde un peu (ouais ?) et... je note l’essentiel et je le mets sur la copie hein » (Bruno ; père : ajusteur ; ne s’intéresse pas à ce que fait sa belle-mère ; mère : secrétaire, au foyer depuis la naissance de son dernier enfant, arrêt des études en 4ème ; beau-père : boulanger ; parents séparés depuis qu’il a 8 ans, il vit avec sa mère)
« y a une seule [œuvre] où y avait le Profil d’œuvre mais ça m’a pas servi à grand chose vu qu’i racontait absolument n’importe quoi(et c’était quoi ?)c’était pour Gogol (hum hum ?) je trouvais qu’i racontait pas... vraiment... 'fin ce qu’on devait trouver [...] (/ Pourquoi i disait n’importe quoi ? Tu te souviens de... ce qu’i/)/ Mais en fait... i faisait des études [...] C’était Le Manteau... Ah le titre c’était Le Manteau... annonce de l’apocalypse. Et c’était vraiment... y avait des trucs tirés par les cheveux... en fait y avait trois petits trucs, et i parlait de ces trois petits trucs pendant six pages(hum hum)et donc j’ai pas trouvé ça vraiment bien. Moi ça m’a pas aidée ! C’était très intéressant à lire... (ouais ?)vraiment j’ai trouvé ça vachement intéressant mais j’ai pas... c’est pas ça qui m’a... aidée !(ça tu l’avais mis par exemple dans ton étude ?)mais nan i m’aurait traitée de dingue... ! [petit rire](ouais ?)ouais ! Nan c’était vraiment trop poussé... à la limite, vraiment à l’extrême. C’était trop... » (Olivia ; père : architecte, études d’architecture ; mère : femme au foyer, donne des cours particuliers d’espagnol, études supérieures en sciences de l’éducation ; études parentales en Argentine ; elle vit en France depuis qu’elle a 7 ans)’

Qu’elle passe par le recours à des outils de travail ou par l’apprentissage par cœur de savoirs spécialisés, l’acquisition des savoirs requis pour une appréhension analytique des textes va de soi pour ces enquêtés et accompagne une connaissance directe des œuvres étudiées (pas nécessairement par une lecture intégrale). Pour Caroline même, les exigences lectorales lycéennes ne sont pas plus difficiles que les exigences lectorales collégiennes parce que de nouveaux savoirs ont été acquis entre ces deux moments de l’enseignement du français :

‘« [les études d’œuvres collégiennes et lycéennes] c’est déjà différent parce qu’i y avait... c’est quatrième et seconde donc... (ouais ouais [sourire]) ouais, nan mais, en fait, nan moi j’y trouve tout, aussi facile parce qu’on a grandi, on a appris... à voir d’une autre façon les choses(hum !) donc c’est pour ça que c’est, dans l’un et l’autre, c’est même p’t-être mieux, plus facile cette année parce qu’on a plus de connaissances et... on a plus... on est plus... riches intellectuellement [petit rire – elle rit de ce qui lui semble un manque de modestie –] Donc c’est plus facile de répondre aux questions et de comprendre les livres » (Caroline ; père : agent technique, études non déclarées « un scientifique » ; mère : coiffeuse, s’est arrêtée de travailler à la naissance de son 3ème enfant, CAP coiffure)’

En plus de maîtriser les savoirs spécialisés exigés dans les études de texte, ces enquêtés ont intériorisé la logique analytique attendue qui suppose le passage du repérage de procédés stylistiques et de leur analyse ponctuelle à leur inscription dans une perspective d’étude :

‘« i faut savoir aussi étudier... le côté plus... technique (hum hum) qui est p’t-être un peu plus barbant mais qui... quand t’essayes d’aller plus loin... n’est pas si barbant que ça en fait. Quand t’étudies les procédés et les figures de style... quand tu peux aller plus loin ça... ça peut justement t’amener vers le ressenti et vers... Et c’est ce lien-là qu’on a appris cette année qui est difficile à voir en fait au premier abord 'fin je trouve » (Mathilde ; père : architecte, bac et études d’architecture ; mère : institutrice, formation d’institutrice, deug de psychologie en formation continue)
« (étudier les champs lexicaux tout ça pour les lectures analytiques, c’est des choses... t’as l’impression que ça te permet de... comprendre un peu mieux les textes et tout ou... pas vraiment ?) non, ça sert juste [ton coquin :] à expliquer ce que j’avais compris dans le texte (ouais ? C’t-à-dire ?)je l’utilise pas comme point de départ mais plutôt... comme preuve   (hum hum ?) parce qu’on voit les choses et... on voit que... le temps passe et donc i nous faut des mots pour le prouver et c’est ça » (Olivia ; père : architecte, études d’architecture ; mère : femme au foyer, donne des cours particuliers d’espagnol, études supérieures en sciences de l’éducation ; études parentales en Argentine ; elle vit en France depuis qu’elle a 7 ans)
« [en classe, il faut] étudier la composition du texte... l’énonciation, les temps, ’fin suivant les textes y a les temps des verbes, y a... les personnages [...] Mais en fait... au départ, c’est surtout des questions [...] style l’énonciation, les procédés stylistiques, et en fait pour après arriver au sens quoi... [petit rire] c’est... (t’as l’impression que tu pourrais passer au sens directement ?) non non [...] c’est plus facile de partir d’un truc et après d’expliquer ‘‘ça veut dire ça’’ que de dire directement ‘‘ça veut dire ça’’ [...] Par exemple les tonalités [...] quand c’est ironique, elle demande de montrer l’ironie et... qu’est-ce que ça traduit quoi. Donc... ’fin ça aide à partir de quelque chose parce que sinon... c’est un peu abstrait » (Séverine ; père : potier, un an en IUT économie ; mère : potière, bac scientifique)
« [les sujets de devoirs] c’étaient des textes... aussi de ce genre-là et... et en fait i faut réfléchir, y a des questions... et après y a un, soit y a une argumentation, soit c’est... ben ! justement, le commentaire composé(mouais...) donc euh voilà [petit rire] (et les questions généralement c’est...) ben... ! Généralement, c’est... questions de grammaire... qui aboutissent après à des questions de réflexion... et ensuite... à l’argumentation. En fait d’abord on étudie le... la forme du texte... et après on essaye de l’analyser. En fait c’est un peu le même style que en commentaire composé quoi en fait l’argumentation, c’est... Les questions c’est en rapport, en fait c’est... une sorte de... commentaire composé... guidé (hum hum) et après y a le... les questions de... l’argumentation » (Thierry ; père : ingénieur EDF, diplôme d’ingénieur ; mère : femme au foyer, donne des cours de catéchisme, docteur en pharmacie)’

Au moment de l’entretien (deuxième ou troisième trimestre selon les cas), les enquêtés maîtrisent les principes et les modalités d’exécution des études de texte. Ils savent justifier leurs analyses par l’évocation d’éléments textuels identifiés à partir de savoirs spécialisés et les organiser selon des perspectives d’études, données par leur enseignant ou élaborées individuellement. Cependant, ils ont pu rencontrer des difficultés dans l’acquisition de cette façon de lire.