II. Le contournement des difficultés des textes et des consignes lectorales par la mobilisation de savoirs et savoir-faire non attendus

Le temps de la réponse à des consignes professorales de lecture n’est pas toujours aussi court que lors d’un devoir. Par ailleurs, l’encadrement de cette lecture n’est pas toujours aussi rigide qu’au sein de la salle de classe.

Lorsqu’ils doivent effectuer des préparations à la maison qui ne sont pas toujours évaluées ou lorsqu’ils doivent lire chez eux des œuvres qu’ils vont étudier en classe, les élèves peuvent aménager les conditions de leur appréhension des textes. Ils ne vivent pas une situation d’urgence où la mise en œuvre d’un sens pratique de la lecture est la seule solution possible. Les habitudes mobilisées pour répondre aux demandes professorales ne sont pas des réactivations inopinées, favorisées par le court délai accordé à la formulation d’une réponse. Elles peuvent être décidées. Ce sont des réactivations plus intentionnelles (vs « malgré soi ») d’appréhensions pragmatiques des textes que l’on peut analyser. Pour être intentionnelles, ces réactivations n’en sont pas décalées par rapport aux consignes scolaires. Différents éléments concourent à ces mobilisations inopportunes :

Lorsqu’ils sont désarmés ou craignent de l’être, les élèves ont recours à des pratiques mobilisant des habitudes acquises antérieurement, plus stabilisées, pour comprendre les textes. Ces habitudes favorisent une appréhension pragmatique des textes et gênent une appréhension analytique : lire à haute voix, lire avec d’autres ou répondre collectivement à des consignes de lecture, visionner l’adaptation cinématographique d’une œuvre, lire une œuvre intégrale pour donner sens à un extrait de texte étudié en groupement. Comprendre un texte signifie alors saisir l’intrigue dans son entier, ou encore identifier les personnages, inscrire la compréhension du texte dans des relations d’interaction, etc. Ces pratiques scolaires et habitudes lectorales mobilisées ne répondent pas aux consignes scolaires de lecture analytique, mais elles permettent aux élèves de ne pas « perdre la face » 1190  : d’une part, par rapport aux enseignants (en cas de vérification des lectures) puisqu’ils ont quelque chose, fut-ce inadéquat, à dire des textes ; d’autre part, par rapport à eux-mêmes, puisqu’ils ne restent pas sans comprendre les textes. En outre, ces pratiques et habitudes permettent à certains élèves de satisfaire des intérêts de lecture frustrés lors d’une appréhension analytique des textes.

Des élèves ne font pas suivre ces pratiques d’un travail propre à répondre à des consignes de lecture analytique.

Notes
1190.

M. Millet et D. Thin, Ruptures scolaires, op. cit., p. 164.