La question du goût pour les textes ne se pose pas lors de l’étude : un lecteur-commentateur doit pouvoir étudier tous les textes quelle que soit son appréciation de ceux-ci. Des enquêtés soulignent d’ailleurs leur concentration sur la réalisation des repérages et de l’analyse des procédés stylistiques, indépendamment de leur appréciation des textes.
Néanmoins, les enquêtés se sont soumis assez aisément à l’exercice lorsque je les ai invités à produire un jugement sur les textes étudiés : « est-ce que tu as aimé ? », « qu’est-ce que tu en as pensé ? », « est-ce que tu appréciais ? », « quoi ? et pourquoi ? ». Ils se sont sentis habilités à produire de tels jugements, à donner leur opinion personnelle. Si en matière de compréhension et d’interprétation des textes, les élèves interrogés s’en remettent parfois à d’autres, ils ne délèguent pas leurs paroles pour exprimer des jugements de goût. Quel que soit leur profil de lecteur – qu’ils lisent beaucoup ou pas du tout en dehors du contexte scolaire, qu’ils privilégient tel type d’imprimés aux dépens de tel autre, etc. –, les enquêtés produisent un jugement sur les textes qu’ils lisent pour les cours de français.
Parce que la socialisation scolaire favorise la « revendication du droit à l’‘‘opinion personnelle’’ » 1214 et parce que, conçu comme « principe incréé » et révélateur d’une personne singulière, le goût est « le terrain par excellence de la dénégation du social », il n’est pas étonnant que les jugements de goûts s’expriment aisément lors d’un entretien centré sur la personne et ses habitudes lectorales, réalisé avec des élèves ayant derrière eux au moins neuf ans de scolarité.
Cette facilité d’expression des jugements n’assure en revanche ni leur transparence ni leur indépendance des conditions de lecture et de leurs conditions d’énonciation.
Dans le cadre d’un entretien portant notamment sur les lectures scolaires qui ont pu faire l’objet d’évaluation, les goûts exprimés manifestent parfois fortement les « effets performatifs des jugements scolaires » 1215 . Par exemple, si Samantha a détesté L’Ecole des femmes, « une vraie torture » dit-elle, c’est en partie parce qu’elle a eu une « mauvaise note » à l’analyse d’un extrait de cette pièce : « la torture » évoquée est aussi celle d’avoir été disqualifiée scolairement. Les goûts émis sont donc en certains cas plus révélateurs des rapports des élèves aux jugements scolaires qu’aux textes mêmes.
Par ailleurs, lorsque les élèves sont invités à juger les textes étudiés ou lus pour les cours de français, ils sont invités à se positionner frontalement à l’échelle des légitimités scolaires en matière de littérature. De fait, leurs jugements se comprennent par la relation que les enquêtés entretiennent à celle-ci. Certains peuvent incliner à revendiquer des goûts lectoraux pour des œuvres légitimes 1216 : ces déclarations varient alors selon leur connaissance et maîtrise même de la légitimité culturelle 1217 . D’autres se saisissent de l’occasion qui leur est donnée d’exprimer leur avis sur les textes pour tenter de « renverser l’ordre des légitimités ». Ils se retrouvent alors dans une position similaire à celle décrite par Navel et dont J.-C. Passeron dit :
‘« dans une interaction directe ouverte de ce type, [l’ouvrier traversant un wagon de 1ère classe] n’a pas le choix d’ignorer une dissymétrie qui joue en sa défaveur ; il ne peut avoir la conscience culturelle en paix, même et surtout si elle ne se réduit pas au sentiment de sa propre indignité ; il faut qu’il justifie sa revendication de n’être pas ce qu’il sait que l’évaluation de la situation par ‘‘les autres’’ lui impose d’être. » 1218 ’Par analogie, il n’est pas étonnant que Rue cases-nègres, ouvrage de peu de valeur littéraire aux yeux des enseignants, soit plébiscité par les élèves interrogés qui l’ont lu et qui déplorent le peu de temps passé à l’étudier, et qu’à l’inverse, les œuvres de Flaubert et Stendhal soient ouvertement dépréciées, qu’ils aient été ou non confrontés familialement à la légitimité littéraire. Du fait de son entourage familial, Léonardo est l’un des enquêtés les plus sensibles à la légitimité littéraire :
‘On l’a vu, en sus des obligations scolaires, ses parents – et surtout son père – l’encouragent à lire des classiques de la littérature française. Son frère fait des études de lettres en anglais, est « toujours plongé » dans des textes littéraires légitimes et n’apprécie plus les bandes dessinées. Ponctuellement présente lors de l’entretien, sa mère lui demande de réciter les auteurs de prédilection de son père. Léonardo rencontre plus fréquemment que la majorité des enquêtés des situations dans lesquelles il se sent illégitime à aimer les bandes dessinées, les romans policiers ou de science-fiction, etc. (cf. supra, chapitres 2, 3 et 4).’Il opère lors de l’entretien un renversement des valeurs littéraires à propos des lectures scolaires. En témoignent par exemple ses propos virulents à l’égard de Madame Bovary :
‘« J’avais lu... cinquante pages de Madame Bovary j’en avais marre... J’ai arrêté tout de suite [petit rire] Mais bon... c’est toujours pareil... c’est les grands livres... qu’i faut qu’on lise, c’est toujours les plus emmerdants... faut être un peu plus mûr pour comprendre parce que là... pour lire ce genre de livres... faut avoir envie » ; « Avant j’aimais bien lire, maintenant... j’aime pas trop [...] Je crois que c’est... le syndrome Madame Bovary [petit rire des deux] C’est depuis Madame Bovary , crr’, je peux plus lire, hum... Faudrait plus lire Flaubert [petit rire des deux] » (Léonardo ; père : dentiste, doctorat en médecine ; mère : sans profession, a été professeur d’économie, maîtrise d’économie, CAPES)’Parce qu’elle côtoie des lecteurs n’exigeant ni une adhésion ni une soumission à la légitimité littéraire, Séverine ne manifeste pas de sentiment d’illégitimité à lire en contexte extra-scolaire des œuvres pourtant illégitimes scolairement. Elle n’en opère pas moins que Léonardo pour autant un renversement des valeurs littéraires lorrsqu’elle déprécie en entretien les œuvres de Stendhal et Flaubert et valorise à l’inverse le récit de Zobel.
Selon J.-C. Passeron,
‘« si on prend au sérieux ce que suppose le mécanisme de l’inversion dans l’engendrement de la résistance culturelle des dominés - à savoir que la conscience de la domination subie est son point d’appui obligé -, il faut bien conclure que ce n’est pas dans les situations de confrontation inégale qu’une culture populaire laisse observer les mécanismes qui exprimeraient le mieux son autonomie de fonctionnement » 1219 ’Autrement dit, l’entretien portant notamment sur les lectures scolaires et dont la prise de contact avec les enquêtés s’est effectuée au sein des cours de français n’est pas la situation la plus propice à saisir ce qui est au principe des goûts et dégoûts des élèves en matière de lecture littéraire (dans leur autonomie de fonctionnement par rapport à la légitimité scolaire).
Cependant, lorsqu’on compare les jugements produits tout au long de l’entretien sur différents types de textes, sur des textes dont la lecture a fait ou non l’objet d’une évaluation scolaire, lorsqu’on a veillé auparavant à atténuer la perception de l’entretien comme lieu d’évaluation scolaire (en sollicitant l’évocation de nombreuses autres lectures, etc.), il est possible 1/ d’identifier les effets performatifs des jugements scolaires quand il y en a, ainsi que les mécanismes de positionnement à l’endroit d’une légitimité culturelle dominante et 2/ de discerner les critères de jugements des œuvres mobilisés par les élèves enquêtés.
Les logiques professorales ne permettent donc pas d’appréhender ce qui sous-tend des différences d’appréciation des romans du XIXe et du livre de Zobel par les élèves. En effet, ces derniers ne mobilisent pas les logiques professorales de classement et d’appréciation des œuvres littéraires comme critères de jugement des œuvres mais comme critères ayant leur logique propre. « La lecture savante n’est pas, chez ces adolescents, intégrée au point de modifier profondément les structures de jugement [...] des textes » 1220 . Lorsqu’ils apprécient les œuvres lues pour les cours de français, les élèves mobilisent en effet des critères de jugement révélateurs d’une façon de lire pragmatique, différente de celle enseignée et attendue au lycée qu’ils ont pu intérioriser durant la période collégienne en contextes scolaire et extra-scolaire de différentes manières : en lisant des œuvres de fiction et en portant attention à l’histoire, aux personnages, etc. (pour faire des résumés, lors de lectures suivies, etc.) ; en suivant des consignes lectorales scolaires et extra-scolaires, etc. 1221 Autrement dit, pour produire des jugements sur les œuvres étudiées en classe de seconde, les élèves enquêtés réactivent des habitudes lectorales constituées durant la période collégienne et mises en œuvre sur des œuvres littéraires (plus souvent romanesques) auxquelles sont attachées des attentes lectorales relevant d’une appréhension pragmatique.
Cette façon de lire repose d’abord sur une appréciation du « fond » : « l’œuvre ne paraît justifiée pleinement, quelle que soit la perfection avec laquelle elle remplit sa fonction de représentation, que si la chose représentée mérite de l’être » 1222 . Par analogie à une appréciation des photos à partir de l’objet qu’elles représentent (une photo est belle lorsque ce qui est photographié est beau) 1223 , un texte est bien lorsque ce qu’il évoque est jugé tel. Inversement, un texte est déprécié lorsque les réalités évoquées déplaisent : texte et réalité représentée sont indissociablement évalués par de nombreux élèves interrogés. Dépréciant l’apprentissage des savoirs scolaires, Adeline envisage avec déplaisir l’éducation pratiquée au XVIe siècle. De nombreux élèves de madame D (surtout des garçons vs des filles) justifient leur dépréciation de Senso par leur dépréciation du personnage de la comtesse Livia (femme adultère qui se venge de son amant infidèle). Sensibilisé depuis peu aux actualités et enjeux politiques (locaux et nationaux), Philippe apprécie Germinal pour l’évocation de la lutte des mineurs. Bien que partageant la critique d’une jeunesse dorée, Nadine reste séduite par le faste des soirées de Gatsby :
‘« Y avait le groupement... ‘‘Humanistes’’, prise de tête... (Prise de tête ?) Ouais Montaigne... ’fin Montaigne ça allait, mais alors Rabelais... comme j’aurais pas aimé(T’as pas aimé...) J’aurais pas aimé être à cette époque-là hein (Ah ouais ?)Apprendre tout par cœur, avoir beaucoup dans le crâne mais... mais rien y comprendre, c’est pas la peine. Déjà que nous maintenant... [petit rire] c’est à peine si on veut apprendre un truc par cœur, si eux tous les textes i fallait les apprendre par cœur c’était pff’... Mais bon c’est quèque chose de l’histoire hein » (Adeline ; n’évoque ni la profession, ni les études de son père ; mère : agent commercial qualifié, CAP ; parents séparés depuis qu’elle a 6-7 ans, elle vit avec sa mère)L’importance accordée au « fond » est liée à « une attente profonde de participation [...]. Le désir d’entrer dans le jeu, en s’identifiant aux joies ou aux souffrances des personnages, en s’intéressant à leur destinée, en épousant leurs espérances et leurs causes, leurs bonnes causes, en vivant leur vie, repose sur une forme d’investissement » 1224 . Pour que le lecteur puisse entrer de plain-pied dans le texte, il doit y trouver des éléments faisant écho à ses préoccupations 1225 , soit dans l’ordre de l’imaginaire, soit dans l’ordre des expériences qu’il vit ou a vécues. Il doit y découvrir, des thèmes qui lui sont proches 1226 , des personnages dont il se sent familier 1227 , etc. C’est dans un va-et-vient entre le monde du texte et le monde du lecteur que le sens des textes et leur appréciation s’élaborent. Comme l’écrit C. Détrez : « les lectures alimentent l’expérience, mais inversement, l’œuvre est lue au travers de ses expériences, selon l’application des schèmes éthiques et pratiques » 1228 .
Toutefois, comme on l’a vu dans le chapitre précédent, dans un contexte scolaire où la question de la forme est incontournable, celle-ci fait également l’objet d’une appréciation (positive ou négative). Familiarisés avec une observation des procédés stylistiques, les élèves sont mieux à même de porter un jugement à son endroit, ils détournent aussi les savoirs et savoir-faire interprétatifs. Ainsi, en comparant le nombre de pages consacrées à la description et à l’évocation de différentes actions dans Madame Bovary, Matthieu manifeste une observation du texte essentielle à une analyse du rythme narratif et donc un savoir-faire interprétatif. Avec humour, il ‘‘rivalise’’ aussi avec l’auteur et ‘‘recrée’’ imaginairement l’œuvre en fonction de ce qui lui aurait plu 1229 :
‘« [A propos de Madame Bovary] Une page pour expliquer qu’elle a un enfant... Dans une page : l’enfant il est né, il a trois ans, et en cinquante pages... elle va acheter le pain et elle revient. Et elle regarde les rideaux et ça fait cinquante pages [...] Les rideaux c’est bon hein [rire] les trucs comme ça... l’écart sur le chemin c’est bon, je préférais savoir ce qu’il allait se passer » (Matthieu ; père : agent de maintenance, CAP puis formation par l’AFPA ; mère : directrice d’un centre social, maîtrise d’économie ; parents séparés, vit avec sa mère)’Les critères à l’aune desquels les enquêtés évaluent la forme et les procédés stylistiques sont illégitimes au regard de l’appréhension lycéenne. Pour qu’un texte plaise, « Le style se doit [...] d’être au service de l’histoire [ou de l’idée développée], doit se faire le plus discret possible [...] [Les] descriptions sont [...] ressenties comme des retards, des obstacles à la bonne poursuite de l’intrigue » 1230 . Les élèves sont d’autant plus gênés par tel ou tel traitement stylistique (descriptions, etc.) que les intrigues ne les captivent pas. Pour un certain nombre d’enquêtés, il ne se passe rien, ou pas grand chose, ou des choses qui ne sont pas propres à les intéresser, dans les textes qu’ils lisent pour l’école et qu’ils n’apprécient pas. Les livres qu’ils apprécient proposent au contraire des histoires qu’ils décrivent comme plus mouvementées.
‘ [1] Des textes appréciés pour la rapidité du rythme narratif, l’intrigue, des personnages familiers, etc. :Face aux œuvres intégrales, les élèves interrogés ne bénéficient pas des décisions d’éditeurs, qui, en vue des façons de lire supposées d’un lectorat populaire, conduisent à « amput[er] les textes des récits superflus mais surtout des descriptions des propriétés sociales ou des états psychologiques des personnages, tenus pour inutiles dans le fil de l’action » 1231 . Cependant, certains enquêtés mettent en œuvre des « tactiques » 1232 qui s’en approchent (ils se sentent autorisés à les déclarer en entretien et en sécurité pour le faire). Pour éviter les ‘‘ralentissements’’ du déroulement de l’intrigue, ou les « répétitions », Marie, Isabelle ou Véronique 1233 par exemple déclarent « sauter » les descriptions qu’elles jugent inutiles, et prêter attention aux dialogues, marques des personnages, qui constituent les éléments textuels qui les intéressent le plus :
‘A propos de Madame Bovary : « Flaubert y a des descriptions mais des descriptions d’ailleurs à la fin mais... je les passais quoi (Ah ouais ?) Ouais, carrément [petit rire des deux] C’étaient les dialogues [que je lisais] et... mais en fait y a pas de dialogues, pas très souvent » (Marie ; père : gestion de production, « fac » ; mère : comptable, BEP puis cours par correspondance)Ce faisant, les enquêtés prennent des libertés non seulement par rapport aux consignes scolaires de lecture, mais aussi par rapport aux propositions des écrivains et aménagent les œuvres par les lectures qu’ils en ont.
Enfin, quelques enquêtés étayent leurs critères de jugement révélateurs d’une façon de lire pragmatique d’éléments de l’enseignement lectoral lycéen retenus de manière éparse.
Ainsi, ayant intériorisé la conception d’une écriture littéraire intentionnelle, des enquêtés reprochent aux auteurs de concentrer leurs efforts sur une recherche formelle qu’ils jugent vaine et de négliger d’autres aspects de la production littéraire (les « rimes » vs le « scénario »). Ils peuvent leur reprocher de mettre en lumière des pans de la société aux dépens d’autres ou de publier des textes qu’ils devraient garder pour eux... :
‘« [Racine] s’est cassé la tête hein, pour écrire... [Britannicus] une petite histoire... d’un mort. Pour tuer quelqu’un quatre-vingt pages [petit rire] mais... C’est tout quoi (Ouais ?) C’est pas très intéressant l’histoire hein [...] ça amène pas à très loin [...] C’est bien, c’est joli, ça fait des rimes [...] mais l’histoire... elle est pas très intéressante » (Matthieu ; père : agent de maintenance, CAP puis formation par l’AFPA ; mère : directrice d’un centre social, maîtrise d’économie ; parents séparés, vit avec sa mère)En opérant un lien entre des procédés stylistiques et leurs façons de réagir aux textes, des enquêtés réinterprètent des savoirs acquis en cours de français dans l’ordre de leurs logiques appréciatives et les élaborent comme critères de jugement. Par exemple, dans Rue cases-nègres, Samantha et Elodie ont apprécié de saisir le personnage principal grâce à la langue utilisée :
‘« Le style déjà il est bien parce que on commence... la première page, on voit que c’est un peu... je dirais pas mal écrit, mais on voit que c’est vu d’un p’tit enfant quoi la manière dont i parle, et après plus l’histoire se passe, plus l’enfant i grandit et donc plus on... le style change en fait » (Samantha ; père : électricien, au chômage ; mère : technicienne de méthode à la SCAPEL, arrêt maladie longue durée, BTS ; beau-père : profession et études non déclarées ; elle vit avec sa mère depuis l’âge de 3 ans)Ainsi, les élèves interrogés apprécient les œuvres qu’ils ont lues pour les cours de français à l’aune de solides habitudes lectorales, constituées antérieurement sur des œuvres de fiction. De ces habitudes de lecture dépendent en effet des attentes lectorales ressortissant à une appréhension pragmatique des textes. Pour une majorité d’enquêtés, les critères de jugements des œuvres et l’expression de jugements personnels sont soutenus par des habitudes lectorales pragmatiques et non par une appréhension analytique des textes littéraires. Maîtrisant souvent imparfaitement en seconde, ils la perçoivent comme extérieure à eux-mêmes, ils ne l’ont pas faite leur. Sa mise en œuvre est encore fortement dépendante des consignes lectorales scolaires. Elle sert donc rarement à l’élaboration de critères pour l’expression de jugements de goût sur les œuvres. Parfois, des savoirs et savoir-faire interprétatifs récemment ou plus anciennement acquis servent à l’élaboration de jugements sur les œuvres. Mais ils sont alors détournés et réinscrits dans une logique pragmatique d’appréhension des textes.
La « revendication du droit à l’‘‘opinion personnelle’’ et la défiance à l’égard de toutes les formes de délégation, surtout en politique, s’inscrivent logiquement dans le système des dispositions propres à des individus dont tout le passé repose sur le pari du salut individuel, fondé sur les ‘‘dons’’ et les ‘‘mérites’’ personnels », P. Bourdieu, La Distinction, op. cit., p. 486 et 487.
P. Bourdieu, M. de Saint-Martin, « Les Catégories de l’entendement professoral », Actes de la recherche en sciences sociales n°3, 1975, p. 81 :« La taxinomie scolaire des qualités scolaires (proposée comme table de l’excellence humaine) s’interpose entre chaque agent et sa ‘‘vocation’’. C’est elle qui commande par exemple l’orientation vers telle discipline ou telle section, d’avance indiquée dans le verdict scolaire (‘‘j’aime beaucoup la géo’’). »
P. Bourdieu, « La lecture : une pratique culturelle », op. cit., p. 273-274 : « la plus élémentaire interrogation de l’interrogation sociologique apprend que les déclarations concernant ce que les gens disent lire sont très peu sûres en raison de ce que j’appelle l’effet de légitimité : dès qu’on demande à quelqu’un ce qu’il lit, il entend ‘‘qu’est-ce que je lis qui mérite d’être déclaré ? [...]’’ ». C’est dans les mêmes termes que l’on peut saisir les déclarations de goût pour tel ou tel ouvrage placé sur une échelle de légitimité.
P. Encrevé et M. de Fornel, « Le Sens pratique en question », op. cit. Les auteurs montrent qu’il ne suffit pas d’entretenir un rapport tendu à la légitimité (et témoigner d’une bonne volonté culturelle) pour déclarer des goûts légitimes en matière de musique : il faut encore connaître et maîtriser les produits légitimes et illégitimes.
C. Grignon et J.-C. Passeron, Le Savant et le populaire, op. cit., p. 79.
C. Grignon et J.-C. Passeron, Le Savant et le populaire, op. cit., p. 79.
C. Détrez, Finie, la lecture ?, op. cit., p. 472.
Cf. supra chapitres 3, 4 et 5 et C. Détrez, Finie, la lecture ?, op. cit.
P. Bourdieu, La Distinction, op. cit., p. 45.
Cf. les réactions des membres des classes populaires à l’égard de photographies, analysées dans P. Bourdieu, La Distinction, op. cit., p. 44.
P. Bourdieu, La Distinction, op. cit., p. 34
B. Lahire, « Ecrits hors école », op. cit., p. 137-155.
Certains élèves (et surtout certaines) mettent en œuvre les mêmes critères d’appréciation pour évoquer ce qu’ils apprécient dans les magazines, dans les témoignages, etc.
Sur ce point l’analyse des personnages des romans interactifs de P. Bruno est intéressante même si, partant peu des lecteurs, elle impute majoritairement aux textes la capacité d’être proches des lecteurs, et ne reconnaît pas suffisamment aux lecteurs la capacité de se rapprocher des personnages, ceux-ci fussent-ils loin d’eux (ce qu’une enquête auprès d’un lectorat permet d’approcher), P. Bruno, « Cultures adolescentes et sociocritique », in S. Goffard et A. Lorant-Jolly (dir.), Les Adolescents et la lecture, op. cit., p. 133-138.
C. Détrez, Finie la lecture ?, op. cit., p. 363
Ce sont de telles suggestions qui justifiaient, selon M. de Certeau, qu’on considère des lecteurs comme des « créateurs » face au texte, in M. de Certeau, L’Invention du quotidien, op. cit.
C. Détrez, Finie, la lecture ?, op. cit., p. 360.
R. Chartier, « Du livre au lire », op. cit., p. 109.
M. de Certeau, L’Invention du quotidien, op. cit., p. XLVI.
Si ces deux dernières enquêtées « sautent » des passages, c’est aussi, on l’a vu, parce qu’elles lisent parallèlement les Profil des œuvres et qu’elles sélectionnent dans les textes ce qui leur permet de répondre aux questions posées par leur enseignante.