Du fait de l’organisation même de la structuration sociale 1250 , la scolarité joue un rôle essentiel dans l’orientation des trajectoires sociales. Elle joue un rôle majeur aussi dans la constitution des habitudes lectorales. De plus, la maîtrise des habitudes enseignées et évaluées au sein des cours de français et l’entraînement à leur mise en œuvre sont objectivement nécessaires aux bonnes évaluations scolaires. Cependant, l’institution scolaire ne régente ni l’ensemble des contextes au sein desquels les individus évoluent, ni l’ensemble des pratiques sociales 1251 .
Les contextes extra-scolaires fréquentés par les individus interrogés sont en effet relativement indépendants de l’institution scolaire. Leurs modifications ou leur stabilité ne sont pas réductibles au parcours scolaire des enquêtés. De fait, les contraintes lectorales dont les contextes extra-scolaires sont porteurs, et auxquelles les enquêtés réagissent, peuvent en être indépendantes. Si l’entrée au lycée influe indubitablement sur les habitudes lectorales mises en œuvre en contexte scolaire, elle n’influe pas nécessairement sur celles mises en œuvre en contextes extra-scolaires.
La force de l’habitude et parfois le souci de lui conserver une place parmi d’autres pratiques ainsi que la stabilité des sollicitations lectorales d’une part, et différentes transformations des configurations au sein desquelles les individus évoluent d’autre part, peuvent soutenir la mise en œuvre d’habitudes lectorales distinctes des habitudes lectorales scolaires, hors des cours de français.
Dans La Distinction,P. Bourdieu suggère la place essentielle de l’institution scolaire dans la structuration de l’espace social : non seulement du fait de la formation dispensée et de ses effets sur les individus, mais aussi du fait de l’importance accrue des diplômes dans l’accès au marché du travail. Ces analyses restent d’actualité. Ainsi dans la fonction publique, les concours et titres distinguent les candidats selon leur niveau de diplôme ; dans le secteur privé, l’importance de la scolarité se perçoit dans l’exigence de certification d’un nombre toujours plus important de compétences – manuelles, intellectuelles, etc. Ainsi, le CAP petite enfance créé en 1991 certifie scolairement des compétences longtemps non reconnues comme telles, « naturelles », etc. –. Elle se manifeste aussi par le suivi des niveaux de qualification des grilles de rémunération.
Lorsqu’il étudie le mode populaire de socialisation, D. Thin met en évidence la non hégémonie du mode scolaire de socialisation malgré sa position dominante (du fait de sa large diffusion et de sa légitimité). D. Thin, Quartiers populaires, op. cit., p. 33.