b. la force de l’habitude

Tous les enquêtés mettent en œuvre en contexte extra-scolaire des habitudes lectorales objectivement différentes de celles mobilisées en cours de français du fait du suivi de sollicitations qui se distinguent des sollicitations scolaires. Ils mettent en œuvre des façons de lire pragmatiques et satisfont des attentes lectorales qui relèvent d’une appréhension pragmatique des textes. Ils lisent des catégories de textes différentes de celles potentiellement étudiées. Ces sollicitations dissonantes peuvent être indépendantes d’un souci d’accompagnement de la scolarité mais, parce que les pratiques d’accompagnement mises en place ne concordent pas toujours avec les attendus scolaires, elles peuvent aussi témoigner d’une appropriation non conforme de cette préoccupation 1253 . Ces sollicitations demandent parfois la mise en œuvre d’habitudes lectorales antérieurement constituées et donc s’inscrivent dans une continuité de pratiques. Elles soutiennent d’autres fois la mise en œuvre de pratiques lectorales nouvelles.

La variation des habitudes lectorales mises en œuvre selon les contextes s’observe lorsque les lecteurs sont familiers d’une mise en œuvre d’habitudes lectorales différentes de celles mises en œuvre en cours de français se passant de ou négligeant des sollicitations lectorales encadrées et lorsqu’ils évoluent dans des configurations facilitant cette mise en œuvre : accessibilité des textes, appétence et habitude soutenant l’appropriation répétée de textes relevant d’une même catégorie, etc.

Au gré des sollicitations dont ils ont fait l’objet et des lectures qu’ils ont effectuées, les enquêtés ont en effet pu construire des appétences auxquelles sont liées des attentes lectorales variées. La recherche de satisfactions lectorales connues et reconductibles par des relectures ou par l’exploration d’une même catégorie de textes (participation romanesque et projection de soi, acquisition de connaissances nouvelles scolaires ou autres, suivi d’une actualité, etc.) peut susciter dans des conditions matérielles et culturelles qui, sans être nécessairement des sollicitations encadrées, y sont propices, la mise en œuvre d’habitudes lectorales antérieurement constituées, se passant de l’inscription des lectures dans des sociabilités lectorales. Parfois, la force de l’habitude semble plus déterminante que la recherche de satisfactions lectorales.

Autrement dit, la force des habitudes, associée ou non à une appétence pour les textes lus, la fréquentation et l’usage de lieux d’approvisionnement (publics ou privés), l’intériorisation d’une injonction à la lecture, la constitution de moments favorables à cette activité permettent la mobilisation d’habitudes lectorales qui peuvent être différentes des habitudes lectorales réalisées en contexte scolaire.

Les enquêtés ayant pris l’habitude de fréquenter seuls une bibliothèque et de s’y approvisionner ont l’occasion non seulement de satisfaire l’injonction intériorisée de trouver seuls leurs lectures, mais aussi de reconduire des habitudes lectorales antérieurement constituées en ne s’éloignant pas des rayons dont ils sont devenus familiers. Ainsi en entrant au lycée, Salah, Léonardo, Elodie, Gaëlle, Marie, Samantha, Séverine, etc. n’ont pas déserté leur bibliothèque de proximité. Ils continuent d’y puiser des œuvres de science-fiction pour les uns, des thrillers pour les autres, etc. Certains s’aventurent vers de nouveaux rayons. Mais beaucoup tiennent à distance les rayons « classiques ». Ils profitent de ces visites pour satisfaire des intérêts de lecture qu’ils ont constitués en dehors de l’institution scolaire et parfois en concurrence avec l’enseignement lectoral qui y est dispensé :

‘« Dernièrement j’ai lu un livre... de Barjavel(Ouais) Euh c’est... Les Dames à la licorne. Donc en fait c’était... c’est plus un... roman parce que en fait c’est l’histoire de cinq sœurs donc ça fait plus, ’fin ça fait histoire d’amour parce qu’elles ont chacune leurs problèmes et leur vie [petit rire] M ais en même temps dedans y a, ’fin des fois y a un peu de science-fiction dedans parce que y a, enfin... mais c’est pas tel/ ’Fin c’est léger quoi. C’est pas un livre de science-fiction (Ouais) [...] J’ai trouvé ça dans une bibliothèque... J’ai lu le titre et le résumé et ça avait l’air de me plaire et pis je l’ai lu et... (Ouais) Ouais ça m’a bien plu quoi [petit rire] En fait... ouais c’est comme ça quoi (Ouais. Et quand tu te promènes dans... la bibliothèque en fait tu vas vers des rayons précis ou euh...) Ouais ben / (/ Ou des fois tu vas vers des rayons où t’as jamais pris de livres ou...) Non ben en fait y a les rayons/ Ben y a le rayon de policier et tout ça, pis y a le rayon romans et c’est vrai qu’en fait... je regarde dans le rayon roman quoi (Ouais) Par contre y a le rayon classique [petit rire] où j’y vais presque jamais quoi [petit rire des deux] Que de temps en temps j’y vais et puis je regarde et puis... (Et puis tu prends pas ?) Non [petit rire des deux] » (Séverine ; père : potier, un an en IUT économie ; mère : potière, bac scientifique)’

Quelques enquêtés, familiers des lieux de vente et ayant construit par le passé des appétences ou habitudes lectorales à l’endroit de catégories de textes particulières, évoquent leurs achats ponctuels de livres, de bandes dessinées ou de magazines, au gré de leurs « envies » – socialement construites – et de leur argent de poche. Ainsi durant les vacances scolaires Thierry a l’habitude d’acheter des magazines. La thématique a varié en fonction de ses intérêts et activités – les magazines de snow, de surf ou de jeux vidéo ont pris la relève des Science et vie junior. En revanche, le moment propice à la lecture de magazine n’a pas changé. Il conduit même Thierry à lire des magazines alors qu’aucune thématique traitée ne l’attire spécialement :

‘« (Sur le questionnaire tu m’avais dit que tu lisais aussi des magazines... le journal, et puis euh...) [petit rire des deux suscité par l’évocation d’un nouveau type d’imprimés] Ouais, magazines, ouais... ça m’arrive... (C’est quoi comme... magazines ?) C’est des magazines de... de surf, de snow... ou des magazines de jeux vidéo ! Surtout ça, ouais (Et comment... comment tu les... lis ?) Ben je lis en fait... je lis tout le magazine... de la première ligne... à jusqu’au dernier mot quoi (Ouais ?) Ouais... (Y a pas des articles que tu sautes ?) Nan en fait je suis/, Quand je lis un magazine quoi je lis tout quoi ! Même si ça m’intéresse pas, je lis quand même pour voir parce que... Ouais ! Enfin ouais, c’est surtout les magazines, je les lis surtout quoi en vacances... quand j’ai plus de temps quoi parce que ouais nan sinon je... ouais, j’ai pas le temps (Pendant l’année scolaire... ?) Nan, pratiquement pas... (Et... tu les lis... ? T’en lis depuis longtemps ?) Ben des magazines, ouais... ! On en lit, ouais, et ben... ouais j’en lis depuis que je suis tout petit ! Tout ce qui était... Ouais, ben c’est de... toutes sortes, même... A une période j’ai lu des magazines... style... Science et vie Junior et tout (Ouais...) Et puis voilà quoi sinon / (/ T’étais abonné ?) Euh... nan, j’étais pas abonné, mais je l’achetais de temps en temps ouais. Comme ça c’est pas mal... (En fonction de quoi tu les achetais ? Du temps que t’avais, ou... du thème) Nan... c’est en fait, quand j’achète un magazine, c’est pas parce que... 'Fin, nan, c’est parce que en fait j’ai envie d’acheter un magazine... Je vais voir le magazine qu’i y a, même si y a pas vraiment... de magazine qui me plaît, je vais en prendre quand même(Hum...) C’est pas... : j’y vais, et si y a un magazine qui me plaît je le prends (Ouais) Donc c’est plutôt parce que... c’est l’envie d’acheter un magazine. Voilà quoi [...] je prends un magazine de... surf ou de jeux vidéo (Mouais) 'Fin ouais, je demanderais pas/ ça change en fait ! Au... fur et à mesure de l’âge... les magazines changent. Ouais ! Les types de magazines changent... [rire des deux] [...] (Les magazines... vous en... t’en discutes ?) Les magazines, nan... c’est un peu comme la lecture quoi ! C’est : on le lit pour soi... Et après, p’t-être ouais, si on a appris des choses, ou si on a lu des choses... on peut en discuter, ouais. Mais ça dépend le thème aussi (Ouais) Mais ouais, non mais sinon, ouais... quand on lit un magazine c’est... ouais, c’est tout seul... (Par exemple Science et vie... Junior... ça t’est arrivé d’en discuter ?) Nan en fait parce que ça c’était quèque chose en fait c’était... une culture pour moi... une culture scientifique, donc je la garde, ouais, nan, c’était un... Enfin, des fois, ouais, si c’était intéressant, ouais, j’en parlais et tout. Mais... ouais, c’était plutôt pour moi quoi (Hum. T’essayais de retenir pour les cours et tout ça ?) Pour les cours, aussi, et puis ouais ! Et puis comme je suis assez curieux, quoi c’était un... ouais ! Pure curiosité quoi (Ouais !) Ouais, pour les cours, aussi, ça a pu me servir... [...] [Autrement] je faisais du foot avant... Et puis j’ai arrêté parce que j’ai eu un problème... Et là, ouais, j’avais des magazines, ben je lisais des magazines de foot et tout. Donc ça j’étais... je m’y intéressais beaucoup, mais en fait je pratiquais, et... je m’intéressais au sport ! [...] J’étais abonné à, ouais, un magazine de foot... pendant deux ans (Ouais ?) Et après, ouais, j’ai arrêté. Mais... ouais ! Nan, c’était pas mal parce que je pouvais avoir des renseignements autres que juste les résultats... des matchs... Donc... Parce que aussi, ouais, j’étais quand même bien... à fond dans le truc [petit rire] » (Thierry ; père : ingénieur EDF, diplôme d’ingénieur ; mère : femme au foyer, donne des cours de catéchisme, docteur en pharmacie)’

Vanessa pour sa part continue de se rendre régulièrement dans une librairie pour acheter des livres. Suggestions professorales, mises en avant commerciales et expériences lectorales participatives attendues parce qu’éprouvées à l’occasion de lectures antérieures se combinent pour orienter sa sélection : les romans d’A. Christie, les thrillers, les œuvres de littérature classique dont elle a lu et apprécié des extraits selon une appréhension pragmatique ont sa faveur, surtout s’ils sont publiés dans des éditions peu chères. En début d’année madame B a distribué à ses élèves une longue liste d’œuvres et leur a demandé de cocher celles qu’ils avaient lues. Plein d’une bonne volonté scolaire et encouragé par sa mère (forte lectrice de biographies de star et de romans sentimentaux), Stéphane a décidé sans que cela soit explicitement recommandé par son enseignante de lire un livre parmi cette liste. C’est en s’appuyant sur ses habitudes et goûts lectoraux extra-scolaires qu’il s’est orienté parmi les titres. Amateur des récits, biographiques ou fictifs, permettant l’identification aux personnages sur la base de propriétés sociales communes, fils d’Italienne, Stéphane a opté pour Les Ritals :

‘« Quelquefois je lis... par moi-même je prends des romans quoi... je les lis mais même ça c’est assez rare quand même. Je préfère lire le journal et tout (Ouais, les romans c’est quoi ?) Euh... là j’ai lu... Les Ritals de François Cavanna, là j’ai / (/ Et comment tu l’as...) Ouais ça va il est pas mal (Ouais ? Tu l’as aimé ?) Ouais, ouais j’ai aimé. Et autrement... (Et attends, t’aimais quoi dessus ? Dedans ?)Les Ritals ? Euh... j’ai aimé... je sais pas, la façon dont c’était écrit quoi, c’était... Y avait pas trop de descriptions... Enfin... c’était assez vivant quoi (Ouais) et... En fait j’ai acheté ce livre parce que... ma mère est Italienne et tout donc voilà puis je me sentais assez proche de... de ça quoi t’sais parce que... j’ai vu le titre, bon ben... je l’ai acheté comme ça [...] Parce que... la prof nous avait donné une liste de livres(Ouais) Et dedans j’avais... vu ça (Ah ouais...) Et voilà quoi ça m’a frappé. Voilà, c’était pour ça que... je l’ai lu (Ouais) Ouais, parce que je me sentais assez proche de... de ça (Ouais, et les personnages tu les aimais bien dedans ou...) Ouais ça va (’Fin je sais pas en fait quand tu lis des fois tu te...) Ouais on s’identifie aux personnages... dans ce livre(Ouais ?) Ouais, hum. Y a des livres où on se sent... loin des personnages, mais là ben... on peut se mettre facilement dans la peau des personnages [...] Y a un autre livre que je lis tout le temps, c’est un livre d’un joueur de foot(Ouais ?) C’est... de Basil Boli 1254 , puis après... C’est un livre et en fait... là... je me mets à sa place quoi... dans ce qu’i dit quoi, je/ I vit un peu... Puis i raconte son adolescence et tout, et c’est... c’est à peu près la même que la mienne quoi (Ah ouais ?) Ouais, donc... voilà quoi je le lis tout le temps. J’ai dû le lire au moins... une cinquantaine de fois quoi (Ah ouais ?) Ouais, des fois, quand j’ai rien à faire je prends un passage, je lis les passages qui m’intéressent... et les passages je les lis... Ouais ouais comme ça. Tout le temps (Parce que c’était quoi son adolescence ?) C’est un... son adolescence, c’est pareil quoi i vivait dans la banlieue aussi. Il est allé au foot et tout puis son rêve c’était devenir un... footballeur, ouais... C’est comme moi quoi, c’est la même chose(Ouais) Donc... je m’identifie à lui aussi, puis voilà [...] [petit rire] Ben j’arrête pas de le lire en plus ça fait longtemps. Ça fait au moins deux ans, deux ans et demi, quand même (Que tu l’as ?) Ouais. Et tout le temps je le lis » (Stéphane ; père : plombier zingueur, certificat d’études ; mère : secrétaire, école primaire en Italie, école ménagère en France)’

La poursuite de lectures pour lesquelles des habitudes ont été constituées tient aussi à la place que les enquêtés leur réservent parmi leurs divers loisirs et aux fonctions qu’elles remplissent. Cela se perçoit par exemple lorsque Caroline évoque ses lectures des magazines adolescents. Cette enquêtée continue de lire occasionnellement Girl qu’elle a commencé à lire durant des vacances passées chez une grande tante. Ce magazine offrait alors l’avantage de ne pas heurter les principes éducatifs parentaux tout en constituant un support à des divagations amoureuses. Il palliait de fait les interdictions de sorties dont Caroline faisait l’objet et lui permettait d’envisager et de trier différents possibles amoureux :

‘« (Les trucs [ie. poèmes] d’amour que tu lis, c’est quoi ?) Je sais pas quand j’en vois un... Nan mais c’est pas des poèmes. C’est style [les poèmes] que les filles elles font, qu’elles mettent dans les livres... des conneries en fait ! (Comme quoi ?) Ouais, je sais pas comme dans Girl  que elles mettent ouais... ‘‘Tu es je sais pas trop quoi qui brille dans le ciel...’’. ç a ça me fait rire, j’y trouve joli mais... bon j’irais pas dire ça à un garçon... [petit rire des deux] Alors elles sont là ‘‘Ah ! Pour mon chéri que j’aime tant’’. Oui ! Si tu veux... ! P’t-être je le ferai un jour [...] J’aime bien les lire parce que j’y trouve joli, mais nan j’y mettrais pas. Même si quand on est petit, on a toujours écrit ‘‘Nanin, mon chéri’’. Mais nan, je le ferai pas je crois (Et Girl en fait ça... tu le lis... souvent et tout ?) Hum... Ah ouais l’année dernière ouais tout le temps, mais cette année, non [...] L’année dernière je lisais pour lire histoire d’avoir un petit peu de... de trucs comme ça mais bon... c’est pas très intéressant... (Tu lisais quoi ? Y avait quoi dedans que tu lisais ?) Ben en fait j’aimais bien les histoires qu’i y a, c’est... C’est marrant, mais en fait c’est trop nul ! (Parce que les histoires c’est quoi ?) C’est... c’est une fille toujours qui a des problèmes, qui trouve un garçon qui va la réconforter... C’est son super héros... [avec une voix volontairement niaise :] ‘‘Oh, c’est génial, tu m’as réconfortée... !’’ [reprenant une voix normale :] Nan ! Mais c’est des trucs comme ça, mais c’est marrant à lire [...] Les histoires [racontées], ça arrive pas tous les jours (Ouais ?) Là déjà ça fait... son copain, je sais pas lui il est en prison... ’fin des trucs comme ça. C’est vrai que c’est intéressant à lire mais... j’irai jamais sortir avec un garçon qui vole... c’est pas mon type hein !(Hum hum. Et comment t’avais connu ça ?) En fait/ Nan ! Je sais pas ! Un jour quand... y a mes parents, i z’ont dit ‘‘Tu veux un livre ?’’ Je fais ‘‘Ouais’’. Ben j’ai pris le premier livre qui arrivait celui qui se rapportait en plus à... avec... pas les trucs comme... je sais pas ! ceux qui parlent un peu trop de... de sexe hein on pourrait dire... clairement ! Mais parce que mes parents i m’auraient tuée mais... Nan, c’est le seul qui était un peu plus abordable et que j’ai trouvé et puis... donc je l’ai pris [...] ç a a commencé pendant les grandes vacances. J’étais dans un endroit où j’étais avec ma vieille tante et c’est pour ça que je m’ennuyais parce qu’elle m’empêchait de sortir parce qu’elle voulait pas que je voye de garçons... parce qu’elle croyait que/ Je sais pas ce qu’elle croyait que j’allais faire... Alors ben... j’ai trouvé les livres et euh... j’ai pris les livres qu’i y a, un livre comme ça... Et puis j’ai bien aimé. Donc vu que j’avais que ça à faire et ben j’ai lu, j’ai lu, j’ai lu... Donc voilà... [pause] (Et donc cette année, pas trop) Nan, pas du tout même... je l’ai p’t-être, si j’avouerais, je l’ai quand même acheté deux ou trois fois mais... ça s’est stoppé là. J’ai pas été l’adepte des livres Girl ! » (Caroline ; père : agent technique, études non déclarées « un scientifique » ; mère : coiffeuse, s’est arrêtée de travailler à la naissance de son 3ème enfant, CAP coiffure)’

L’entrée au lycée, sa fréquentation (Caroline redouble sa seconde) et le suivi de l’enseignement de la lecture littéraire qui y est dispensé n’ont modifié ni la façon de lire ces magazines ni les attentes lectorales que cette enquêtée y associe. Toutefois, si l’année de l’enquête Caroline n’a « pas été l’adepte des livres Girl » c’est que des transformations de son quotidien ont rendu leur lecture moins nécessaire :

‘« (Et sinon ouais en dehors des lectures... scolaires tu lis des magazines, des trucs comme ça ?) Euh... ouais... je lisais Girl ! (Ouais !) mais là je lis pas trop. Je préfère me poser sur mon lit et... 'fin réfléchir à plein de trucs et... Ouais voilà quoi. Et puis... comme y a plein de trucs main’nant dans la tête et... voilà c’est pour ça que... (Hum !) Donc... je préfère mieux me prendre la tête avec mes histoires que... (Que aller...) lire les livres et... Je sais pas comme... c’est/ 'Fin tout le monde a changé. Y a plus, c’est plus les mêmes histoires, main’nant y a les garçons... y a ci, y a ça et... ça prend la tête. Donc... on se pose plein de questions sur ça et... je me prends plus la tête sur les histoires... (vraies ! Que tu vis) Ouais... Que je vais lire... ça me donnera pas la solution aux réponses et... Donc... plutôt vivre et trouver la réponse moi-même qu’aller la chercher dans un livre» (Caroline ; père : agent technique, études non déclarées « un scientifique » ; mère : coiffeuse, s’est arrêtée de travailler à la naissance de son 3ème enfant, CAP coiffure)’

Ainsi, une relative familiarité avec des lieux publics d’approvisionnement et une autorisation ou incitation parentale préalable à l’achat ou à l’emprunt d’imprimés permettent à de nombreux enquêtés de reconduire des habitudes lectorales antérieurement constituées, distinctes de celles encadrées par les cours de français lycéens, du point de vue des façons de lire comme des textes lus. La poursuite/reconduction de ces lectures entraîne donc une variation intra-individuelle des habitudes lectorales mises en œuvre selon les contextes.

Pour plus d’enquêtés encore, c’est l’approvisionnement au domicile familial qui rend possible de telles reconductions.

Les textes qui appartiennent en propre aux enquêtés constituent des occasions facilitées de mises en œuvre d’habitudes lectorales antérieurement constituées (et distinctes des façons de lire attendues au sein des cours de français lycéens). C’est le cas des magazines éducatifs, sportifs, adolescents, etc. dont les abonnements ont été renouvelés ou qui ont été conservés 1255 . De rares enquêtés relisent des œuvres figurant dans les bibliothèques qu’ils ont remplies au fil de leur scolarité. Au moment de l’entretien, Bruno prend plaisir pour sa part à relire Harold et Maude qu’il a étudié en troisième. Il apprécie d’en avoir une lecture moins orientée littérairement qui « décortique tout ». Olivia quant à elle a relu Le Cas étrange du Docteur Jekyll et de Mister Hyde. Par cette relecture, elle espérait retrouver cette « ambiance bizarre » et des « détails » oubliés plus qu’elle ne cherchait à se remémorer les études réalisées en classe. Cette reconduction entraîne donc une variation des habitudes lectorales mises en œuvre selon les contextes :

‘« J’ai relu... Docteur Jekyll et Mister Hyde(Ouais ?) Je l’ai lu... quatre ou cinq fois. C’est mon livre préféré je crois, mais bon... [petit rire](Qu’est-ce qui te plaît ?) Euh... ben... que c’est caché parce que... il a une facette, il a l’autre facette quoi c’est bizarre... (Hum) C’est... toute une ambiance... C’est que des livres qui ont des ambiances comme ça [que j’aime] Des trucs : par exemple... ce qu’écrit... madame Montgomery, comme Anne... je me souviens plus du titre, Anne... et la vallée... de l’arc-en-ciel, un truc du genre. C’est tout des livres que je peux pas supporter [petit rire] [...] (Docteur Jekyll et Mister Hyde tu l’as lu quand la première fois ?) En quatrième (En quatr/ C’était avec l’école aussi ou... ?) Ouais. Oui, c’était avec l’école... (Qu’est-ce que... t’avais dû faire dessus ?) [petit silence] Bonne question : alors, je devais lire Docteur Jekyll et Mister Hyde et faire... je crois que c’était un... résumé avec... Hou là là... Mais après on avait pris des passages. On avait eu toutes les mêmes études en fait, c’est toujours la même chose... ou... parfois des passages avec des études du temps, ou parfois des passages avec... une étude un peu des personnages. C’est... ça me marque pas trop parce que c’est vraiment pas très intéressant je crois [...] Des fois, y a... on fait des trucs intéressants mais... y a d’autres que... 'fin surtout que ça fait deux ans donc... [petit rire des deux] même trois ! Ben oui, ça fait trois ans (Hum hum hum) Donc... je les oublie en fait ceux qu’on fait... quand ça me marque pas parce que c’est un peu bizarre ou d’autres (Ouais !) J’oublie (Et pourquoi tu l’avais relu en fait ? Parce que t’avais oublié ou... ?) Nan parce que j’aime bien (Hum hum) C’est un livre que j’aime beaucoup et... Ben oui... comme on oublie des détails  (Ouais ?) J’ai envie de me re -souvenir des détails, de... voilà » (Olivia ; père : architecte, études d’architecture ; mère : femme au foyer, donne des cours particuliers d’espagnol, études supérieures en sciences de l’éducation ; études parentales en Argentine ; elle vit en France depuis qu’elle a 7 ans )’

Le domicile constitue aussi, on l’a vu, un lieu propice à la construction d’habitudes lectorales à partir des imprimés des proches ou même des imprimés destinés à l’ensemble des membres de la famille. Les imprimés familiaux conservés ou renouvelés, aisément accessibles, permettent à de nombreux enquêtés de poursuivre des pratiques lectorales. Indépendamment d’incitations expresses, les enquêtés se saisissent de conditions qu’ils ont constituées comme favorables à la réalisation de certaines lectures. Ainsi plusieurs enquêtés dont les bibliothèques domestiques contiennent des bandes dessinées possédées depuis longtemps déclarent profiter des journées chômées pour s’emparer de ces imprimés et reconduire des habitudes lectorales constituées. Vincent parcourt la bibliothèque de son père les samedis et dimanches et lit ou relit les albums de Gaston Lagaffe notamment. Ce sont les albums de Tintin que Clara relit lors de la fête du Kippour :

‘« Y a un jour par an où on les lit [les BD] ! Parce que y a un jour où euh... 'Fin dans la religion juive y a... un jour, c’est le... Kippour, c’est le... Grand Pardon, on n’a ni le droit de manger, ni rien... Donc là régime, et... [petit rire] Je lis ça ! Et voilà ! (Hum hum) Donc ouais je mange rien » (Clara ; père : ingénieur en informatique, bac et école supérieure d’électricité au Maroc ; mère : pédicure, podologue en disponibilité, études non spécifiées)’

Sans susciter l’arrêt des lectures des bandes dessinées, l’entrée au lycée est contemporaine d’un infléchissement des pratiques de certains enquêtés tant du point de vue des moments de lecture que des modes d’approvisionnement ou des textes lus au sein de cette catégorie. Ainsi Marie-Eve lit des albums familiaux en fin de journée quand elle n’a plus le goût de travailler, en lieu et place des lectures romanesques qu’elle effectuait jusqu’alors plus fréquemment. Pour leur part, Séverine, Belinda, Olivia ou Kamel comme d’autres enquêtés, déclarent ne plus emprunter de bandes dessinées ou ne plus en acheter pour eux-mêmes. Ils n’en ont pas cessé la lecture pour autant : ils lisent les bandes dessinées que leurs cadets apportent au domicile. Leur entrée au lycée les a conduit à déléguer l’approvisionnement de cette catégorie de textes sans modifier fondamentalement leurs pratiques lectorales :

‘« Y a mon petit frère qui emprunte plein de BD... du coup je le laisse plutôt emprunter les BD » (Belinda ; père : ingénieur en télécommunication par ordinateur, bac S, DUT, ENIC ; mère : enseignante dans une école de puéricultrice, BEP sanitaire et social, DE infirmière, DE puéricultrice, licence de management)’ ‘« Ma sœur elle en prend pas mal alors après je lui les emprunte et j’en lis [petit rire] » (Séverine ; père : potier, un an en IUT économie ; mère : potière, bac scientifique)’ ‘« Quand... par exemple ma petite sœur prend un livre à la bibliothèque et tout... et je vois, je le lis, BD (Ah ouais aussi ?) Ouais BD... j’aime bien (C’est quoi comme BD ?) Ah ben... y en a beaucoup alors... Par exemple... Astérix je les ai tous lus, mais je les relis, ça fait rien, tout lu, tout... Ouais en fait ouais (ça c’est ceux que... ta sœur elle prend ?) Ouais... ma sœur, mon petit frère, ouais, j’ai lu... (Hum, et avant toi tu les prenais ?) Ouais ouais moi je les prenais (Et main’nant tu prends plus de livres toi à la bibliothèque ?) Euh... main’nant c’est de moins en moins (Ouais) Enfin c’est pas... Ouais j’en prends pratiquement plus, c’est surtout main’nant je les achète pour l’école (Ouais)ça fait on a beaucoup de livres à lire donc en fait là... c’est plus... je [ne] prends plus quoi le temps à lire... des romans, je les lis plus [...] A chaque fois ma sœur, elle les prend [ J’aime lire ] mais moi je les lis quand même, même si c’est très faciles à lire je les lis, et euh... Puis voilà (Parce que ça te fait rire ou...) Ouais comme ça en fait parce que... je le vois devant moi je le lis en cinq minutes et... je le repose » (Kamel ; père : soudeur ; mère : sans profession ; tous les deux scolarisés en primaire en Algérie)’

Contrairement à Kamel, Vanessa résiste à lire les Boule et Bill, Tintin et autres Spirou,entachés par les lectures enfantines. Elle poursuit cependant son exploration et son appréciation des bandes dessinées grâce à la variété des albums composant la bibliothèque familiale :

‘« (Tu lis des BD ? [...]) Des BD ? Euh ouais... ! Qu’est-ce que j’ai lu ? [...] XIII, Largo Winch... euh Lanfeustde Troy... [long soupir] Et puis voilà, c’est tout... Si ! Le... Balade au bout du monde. Je prends des BD de mon père quoi que j’aime bien (Parce que ton père il en lit ?) Ouais ! Il en a pas mal même [...] J’ai lu tous les Tintin , tous les Spirou , et... Mais avant je lisais que ça ! [petit rire] (Ouais ?) Maintenant... je lis des BD un petit peu plus... [petit rire] Je sais pas c’est... [petit silence] Maintenant... je pourrais plus en lire. Enfin je trouve ça stupide ! [petit rire] [...] Tintin p’t-être moins ! Mais surtout ouais... Bill et Boule [sic]... et tout ça ! [petit rire des deux] C’est trop nul ! C’est des trucs pas drôles mais... pff’... ! » (Vanessa ; père : directeur de division, bac + école de commerce ; mère : guide conférencier, bac, doctorat en microbiologie, fac d’histoire de l’art)’

Comme les bandes dessinées, les ouvrages de référence, les journaux et les magazines sont souvent des imprimés familiaux. Ils constituent de ce fait les catégories de textes dont la stabilité des appropriations est exemplaire alors même qu’elles ne sont pas toujours fortement investies et qu’elles diffèrent des pratiques scolaires. Ainsi Nicolas continue de consulter les ouvrages de médecine domestique en cas d’urgence sanitaire, quand Rachid feuillette le journal lorsqu’il le trouve chez lui, « sans plus » d’intérêt et de raison que l’habitude :

‘« (Le journal, ouais, tu disais ?) Le journal, ça dépend, je regarde les faits divers, les trucs comme ça, mais c’est tout, sans plus (C’est quoi... c’est quel journal que tu lis ?) C’est... Le Progrès ! (Ouais ?) Voilà... Je regarde les faits divers de temps en temps, quand il est chez moi sinon... je regarde pas [un camarade passe près de nous et suit un bref échange autour des orientations de première] [...] (Ouais les faits divers c’est... lesquels ? Ceux qui sont sur... la ville ou... ?) Ouais sur la ville. En fait ça dépend sur... en fait dans la région ! Dans le Rhône. Ce qui se passe en fait (Quand t’es déjà... Genre t’es au courant d’un fait divers et... tu vas voir... dedans ?) Nan nan c’est... je suis pas au courant. Si tu veux c’est : je suis pas au courant en fait, je prends le journal et... je regarde (Hum) C’est tout (Et ça c’est qui qui le ramène... chez toi ?) C’est ma mère (Ouais ?) Ouais... (Elle le lit aussi ?) Ouais... (Et tu sais ce qu’elle lit ? Si elle lit les mêmes... articles que toi ou euh... ?) Nan, je sais pas ce qu’elle lit... » (Rachid ; père : maçon ; mère : agent d’entretien ; ne connaît pas leur scolarité)’

Les bibliothèques littéraires parentales suscitent également la mobilisation d’habitudes lectorales antérieurement constituées et distinctes des façons de lire enseignées au lycée. Les enquêtés expriment alors souvent des motivations ambivalentes : entre une injonction intériorisée à lire de la littérature – particulièrement classique –, et une affirmation voire une revendication de pratiques lectorales différentes des exigences scolaires. Ainsi ayant toujours beaucoup lu et notamment de la littérature (reconnue ou non), Marie profite de la bibliothèque de son père pour donner suite à sa résolution de lire des classiques. Elle y trouve des œuvres figurant sur la liste distribuée par madame A. Elle affirme dans le même temps n’avoir lu que les œuvres lui apportant des satisfactions lectorales participatives et avoir au contraire abandonné les œuvres ne lui apportant pas de satisfactions particulières. Ainsi, intriguée par les circonstances « bizarres » d’un amour naissant, elle a poursuivi la lecture de Moderato cantabile. A l’inverse, elle a abandonné La Nausée qu’elle n’a pas compris. Les expériences lectorales qu’elle relate relèvent d’une appréhension participative et se distinguent donc des attendus scolaires :

‘« Y a pas longtemps j’ai lu... Moderato cantabile (Ouais) Et euh... ben en fait... comme elle avait écrit L’Amant (Ouais) J’ai vu le film. J’ai pas lu le livre, mais j’ai vu le film. Et on m’avait dit que le livre était vachement bien donc... ben j’ai voulu essayer. En plus comme ça fait... partie de la liste qu’elle nous a donnée la prof [petit rire] Je fais ‘‘Si i m’intéresse... ça va être bien’’[petit rire] Et puis ben... i m’a intéressée mais... i m’avait surprise en fait parce que c’est bizarre (Ouais ?) Ouais, ça surprend quand même [...] cette femme qui raconte sa vie à ce mec dans son café [petit rire] qu’elle connaît pas et puis... puis à la fin elle tombe amoureuse de lui... [rire des deux] C’est bizarre, mais... en plus c’est... ’fin c’est pas mal quoi (Hum) Sinon ben... en fait en ce moment [...] je suis en train de lire La Peste (Ouais) de Camus. Donc çui-là i me plaît. Camus j’aime bien, j’avais lu L’Etranger quand j’étais... en quatrième je crois [...] (La Peste comment tu l’as... choisi, c’était par rapport à L’Etranger que t’avais d’jà lu ou...) Un peu, et puis aussi c’est que bon... Camus ’fin c’est un auteur que je vais bientôt étudier (Ouais) Je pense que l’année prochaine je vais l’étudier, et... ben... Puis ce qu’y a aussi i faut que je m’y mette quoi parce que... aux classiques [petit rire des deux] C’est dur... mais encore ça ça va. Par contre y en a un que j’ai essayé de le lire, c’est La Nausée de Sartre (ouais) Et alors j’ai rien compris, donc en fait... j’ai lâché l’affaire. Mais... faudra que je m’y remette dans un certain temps. P’t-être que c’était pas une bonne période ou... ([petit rire] Et ça t’avais commencé quand ?) Lequel La Nausée ? (Ouais) Ben c’était au début de l’année (Ouais cette année) Hum [...] (Y a une bibliothèque chez toi ?) Ouais [petit silence] (Et tu t’en /) / Ouais ça m’arrive souvent d’y aller, d’aller piquer des livres et tout [petit rire]D’ailleurs j’ai pris plein de livres à mon père et que j’ai jamais lus. Mais d’ailleurs... Camus, Sartre, mon père il y a donc... (Ouais) c’est facile » (Marie ; père : gestion de production, « fac » ; mère : comptable, BEP puis cours par correspondance)’

Egalement grande lectrice de littérature ne figurant pas sur les listes de suggestion, Valérie fait sans le savoir une incursion dans la littérature recommandée scolairement en lisant un récit d’A. Ernaux trouvé au domicile paternel. Parce que contrairement aux romans classiques que ses parents possèdent le livre n’est pas en édition reliée, elle ose s’en emparer. A sa lecture, elle satisfait des expériences lectorales participatives :

‘« J’ai p’t-être des goûts spéciaux ou... [petit silence] Ah oui ! Par exemple... je sais pas si tu connais... Annie Ernaux... Ce qu’ils disent ou rien (Nan j’ai pas lu çui-là) Et y avait... une héroïne, et je sais pas je me suis vachement identifiée à ses idées. C’est vrai on pensait à peu près la même chose et (Ouais ?) Voilà (Là c’était quoi ? Parce que çui-là je l’ai pas lu)Elle était assez bizarre... comme moi... Je sais pas on avait un peu la même façon de penser... ouais, des cours... de la vie, des trucs comme ça quoi (Ouais, c’était... par rapport à... ses/ Ou elle racontait dans...) Elle racontait son quotidien et elle donnait certains sentiments sur des événements spéciaux (Ouais. Et ça tu l’avais lu quand ? Ce livre...) Euh... j’ai dû le lire... pendant les vacances de Toussaint, quèque chose comme ça (Ouais, cette année) Et après vu qu’i m’avait bien plu j’ai lu un autre livre du même auteur que j’ai aimé aussi, mais en fait, elle est dans un métro ou dans un RER et elle décrit toutes les attitudes des gens... leurs conversations... des choses comme ça. Si, ça m’avait bien plu (Hum, et comment t’as... découvert cet auteur ?) Ben en fait on avait un livre à la maison et... je sais pas, j’avais envie de le lire quand je l’ai vu [...] C’était mon père qui l’avait ramené du travail » ; « On a des trucs, des livres reliés de toute la collection de La Comédie humaine de Balzac(Ah ouais ?) Ouais, tous les Zola, mais... le problème avec ces livres, franchement moi j’ai peur de les lire. Enfin, je peux ja/ Et je les laisse toujours à la maison parce que... j’ai toujours peur de les abîmer, i z’ont/ La couverture elle est en cuir avec des reliures dorées alors [petit rire] ça me fait peur » (Valérie ; père : informaticien, bac et IUT informatique ; mère : ATSEM, CAP assurance puis CAP d’employée de bureau)’

Des habitudes et des appétences lectorales constituées permettent ainsi de reconduire sans incitations expresses des lectures différentes de celles réalisées au sein des cours de français soit par les catégories de textes lues soit par les façons de lire mises en œuvre.

Mais cette mise en œuvre des habitudes lectorales est loin de constituer la principale condition d’une poursuite de pratiques de lecture extra-scolaires différentes des pratiques scolaires. Plus nombreux sont les enquêtés qui ont constitué des habitudes lectorales dont la mise en œuvre repose sur des sollicitations lectorales encadrées. Ils reconduisent des habitudes antérieures différentes des lectures scolaires lorsque les contextes extra-scolaires qu’ils fréquentent sont porteurs de contraintes lectorales qui n’ont pas changé avec l’entrée au lycée. Ils peuvent avoir maintenu des sociabilités lectorales. Ils peuvent continuer des activités encadrant certaines lectures. Ils peuvent pratiquer ou partager des lectures semblables tout en évoluant dans des contextes renouvelés.

Notes
1253.

D. Thin, Quartiers populaires, op. cit., p. 127 et « Chapitre 6. Pratiques des familles populaires et scolarisation : l’‘‘ambivalence’’ ».

1254.

Stéphane pratique le foot depuis qu’il a 4 ans. Son père a pratiqué le football en amateur. Son oncle a été footballeur professionnel. Sur les lectures qui accompagnent parfois l’engagement dans la carrière de danseur, cf. S. Faure, « Identifications imaginaires », Apprendre par corps, op. cit., p. 76 et suivantes.

1255.

Les abonnements initiaux constituent une incitation parentale ou adulte plus ou moins perçue comme telle par les enquêtés. La marque des adultes perd encore de sa visibilité aux yeux des enquêtés avec les renouvellements ou les conservations dont les enquêtés ont plus ou moins la responsabilité.