II. Les conditions de possibilité des non variations intra-individuelles des habitudes de lecture selon les contextes

Si les habitudes lectorales mises en œuvre ne varient pas selon les contextes scolaire et extra-scolaire, c’est que les enquêtés lisent hors école les mêmes catégories de textes que celles qu’ils lisent en cours de français ou qu’ils lisent de la même façon.

Ces non variations se déclinent différemment selon que les façons de lire mises en œuvre en différents contexte sont analytiques ou participatives et selon les modalités d’activation des habitudes (sur sollicitations encadrées, sans ou en dépit de sollicitations encadrées). Deux grandes conditions de possibilité peuvent être dégagées.

La première découle d’une proximité des sollicitations lectorales portées par les différents contextes au sein desquels les enquêtés évoluent et de la constitution par ces derniers des habitudes lectorales permettant d’y répondre. La mobilisation d’habitudes lectorales, participatives ou analytiques, résulte de la rencontre de différents éléments non reliés par un lien de causalité :

La seconde provient de la mise en œuvre d’habitudes lectorales similaires en différents contextes, malgré des sollicitations contextuelles différentes soit par leur degré d’encadrement, soit par la nature des sollicitations (catégories de textes ou façons de lire). Deux situations s’observent alors. Dans la première, les individus mettent en œuvre des habitudes lectorales constituées en d’autres contextes en négligeant les contraintes contextuelles dominantes (et réagissent à des sollicitations contextuelles peu encadrées). Cette négligence n’est pas liée à une moindre maîtrise des habitudes lectorales correspondant aux sollicitations mais au détachement que les lecteurs ont à leur égard. Les principes de mise en œuvre de ces habitudes lectorales s’apparentent à ceux des hypocorrections langagières d’individus maîtrisant les codes langagiers de situations officielles et les tournures et la langue légitimes. Dans la seconde situation, les individus négligent les contraintes contextuelles dominantes parce qu’ils n’ont pas construit les habitudes permettant d’y apporter une réponse attendue. La mobilisation des habitudes ne peut toutefois être réduite à une mobilisation par défaut. Elle traduit comme dans la première situation la primauté accordée à d’autres habitudes lectorales que celles attendues par les sollicitations dominantes.

Ces non variations intra-individuelles de certaines habitudes lectorales s’accompagnent toujours de la variation d’autres habitudes lectorales selon les contextes. Ainsi, dans l’enquête, un lecteur qui lit de façon analytique de la littérature classique au sein des cours de français et en dehors, lit toujours aussi de façon participative d’autres catégories de textes, comme les magazines, en contexte extra-scolaire. Certaines de ses habitudes lectorales se retrouvent d’un contexte à l’autre et d’autres non.

On a choisi de présenter quatre conditions idéales-typiques de non variations intra-individuelles des façons de lire selon les contextes – non exclusives les unes des autres – à partir des enquêtés qui, par les habitudes constituées et mises en œuvre et par les sollicitations lectorales auxquelles ils se soumettent, les approchent le plus 1289 .

Pour étudier les situations où des façons de lire participatives se retrouvent d’un contexte à l’autre, on décrit plus précisément les pratiques effectuées en contexte scolaire. On s’y attarde moins en revanche lorsqu’on étudie les situations où des façons de lire analytiques se retrouvent d’un contexte à l’autre (puisque cela reprend des analyses présentées dans les chapitres précédents).

Notes
1289.

M. Weber, « L’Objectivité de la connaissance dans les sciences et la politique sociales », Essais sur la théorie de la science, rééd, Pocket, 1992, p. 117-200.