1) Des contextes scolaire et extra-scolaire aux contraintes lectorales similaires

a. une appréhension analytique de la littérature étudiée en réponse à des sollicitations encadrées

Une des manifestations de la non variation de certaines pratiques lectorales selon les contextes scolaire et extra-scolaire découle de la réalisation, en plus des prescriptions scolaires, d’appréhensions analytiques – souvent articulées à des appréhensions participatives – de textes de littérature recommandée scolairement ou d’œuvres dont des extraits ont été étudiés en classe.

Un encadrement extra-scolaire des lectures analytiques de la littérature recommandée fait écho à leur encadrement scolaire. Avant de présenter les conditions de ces lectures et façons de lire, on évoquera les caractéristiques des enquêtés mettant en œuvre de telles habitudes lectorales en contextes scolaire et extra-scolaire.

Pour resserrer le propos, on a choisi de se centrer sur l’analyse des enquêtés qui s’emparent de la sorte de la littérature classique et de présenter des pratiques extra-scolaires peu mentionnées jusqu’à présent. Douze enquêtés se singularisent du reste de la population par le fait de réaliser de telles lectures en plus des obligations scolaires. Ils ont pour caractéristiques d’être sensibles aux incitations professorales à un prolongement hors école des activités scolaires, de connaître des sollicitations extra-scolaires convergentes, d’avoir construit les habitudes lectorales ou savoirs et savoir-faire permettant d’y répondre, d’apprécier les intérêts – si ce n’est les satisfactions – de ces lectures qui relèvent moins d’une appréhension participative des textes qu’ils ne s’inscrivent dans une perspective de capitalisation des lectures.

Tableau 24 Enquêtés effectuant des lectures analytiques de littérature recommandée ou étudiée hors des cours de français
  Parents bacheliers Parents non bacheliers
Filles Belinda
Clara
Eléonore
Elodie
Esther
Marie-Eve
Olivia
Samantha
Peggy
38 8 /23 1 / 15
Garçons Léonardo
Maxence
Thierry
 
39 3 / 19 0 / 20
  11 1
Total 12

Ces enquêtés se distinguent d’une grande partie de la population qui réserve la lecture de cette catégorie de textes aux cours de français. Ils se distinguent aussi des enquêtés comme Marie, Mathilde, Ophélie, Valérie, Vanessa, Jean, Marc, Matthieu, Caroline, Leïla, Cédric, Pierre-Jean dont les lectures de la littérature classique sont en partie effectuées en vue de satisfactions lectorales ressortissant à une appréhension participative des textes 1290 .

Ainsi, en plus des œuvres qu’ils étudient en cours de français, ces enquêtés lisent des œuvres de littérature classique afin d’étendre leur connaissance directe de cette littérature et de capitaliser leurs lectures. Cet objectif se perçoit dans les modalités de choix des textes (veiller à lire des œuvres de littérature classique, recommandées scolairement, en sélectionner des extraits dans leur manuel de français, etc.). Il se manifeste aussi dans la réalisation de lectures partielles visant à saisir les caractéristiques des œuvres, plutôt qu’à se laisser emporter par le texte :

‘« [J’essaie de lire] surtout aussi... par rapport à l’année prochaine quoi les grands classiques... ! J’essaye de faire en grandes lignes, quoi de me faire une idée à peu près de... (De chaque auteur) Voilà de chaque auteur... Enfin, je vois... on a les gros bouquins, je sais pas si tu les as vus, là... sur... justement ! Le... / (/ Les Itinéraires, là ?) Ouais, voilà et... Donc moi j’essaye de faire... Enfin là, je suis un peu ambitieuse là [petit rire] Mais... disons que j’essaye de voir enfin quand même les grands classiques quoi Balzac... I faudrait que je lise Stendhal, aussi, Zola... Tout ça » (Esther ; père : officier de police judiciaire, licence de philosophie ; mère : femme de ménage, enfance en Espagne, non scolarisée)’

A côté des extraits d’œuvres classiques lus dans ses manuels, Esther a lu Le Père Goriot et Les Liaisons dangereuses. Olivia emprunte régulièrement des livres au CDI ou feuillette des œuvres présentes au domicile familial. Au cours de l’année elle a eu entre les mains et lu quelques pages notamment d’Anna Karénine et de Voyage au bout de la nuit. Elle souhaite poursuivre leur lecture durant les vacances. L’année de l’enquête Maxence a lu La Peste, L’Etranger, Une Vie et Le Lys dans la vallée. Marie-Eve consulte les pages de ses manuels de littérature consacrées à certains courants littéraires. Elle a commencé Pêcheur d’Islande lorsque nous réalisons l’entretien. En plus d’extraits de la littérature russe découverts sur les recommandations de son enseignante de 3ème langue (Crime et Châtiment et Guerre et Paix), Elodie a lu Bel-Ami, L’Education sentimentale et Moderato Cantabile. Léonardo s’efforce de découvrir Balzac. Samantha a opté pour des œuvres de Voltaire, Maupassant et Baudelaire. Thierry a lu La Peste et prévoit de lire un roman de Malraux. Peggy a lu et résumé Le Dernier jour d’un condamné. Belinda s’est emparé du Lys dans la vallée et Eléonore du Rouge et le noir. Clara a commencé Une Vie.

Lorsqu’ils rendent compte de leurs lectures, les enquêtés caractérisent stylistiquement les œuvres lues. Ils identifient des traits littéraires. Olivia affirme ainsi accorder la primauté à l’identification des styles littéraires. Elle justifie cette attention par la spécificité des œuvres lues. Ainsi, à propos de Voyage au bout de la nuit qu’elle a commencé à lire, elle déclare :

‘« On pouvait pas ne pas faire attention à comment Céline écrivait [...] [Donc] c’est plutôt la manière dont c’est écrit aussi qui importe, c’est pas l’histoire en elle-même » (Olivia ; père : architecte, études d’architecture ; mère : femme au foyer, donne des cours particuliers d’espagnol, études supérieures en sciences de l’éducation ; études en Argentine)’

Belinda se dit attentive et sensible aux métaphores qui parsèment Le Lys dans la vallée. Si Eléonore a été désarçonnée par l’incipit du Rouge et le noir, elle a persévéré dans sa lecture. A mi-ouvrage elle déclare apprécier le « style » de Stendhal qui lui permet de « ressentir les sentiments des personnages » et donc d’articuler satisfactions lectorales participatives et appréhension analytique :

‘« Stendhal j’ai bien aimé. Je suis en train de lire Le Rouge et le noir, mais c’est un peu... (Ouais) C’est pas du tout pareil par rapport à Chroniques italiennes mais... Mais j’aime bien son style : c’est assez descriptif et tu ressens bien les sentiments des personnages, surtout dans le... Le Rouge et le noir » ; « Le début de... Le Rouge et le noir ça me (Ouais) J’aimais pas du tout. Au début c’est... c’est bizarre je trouve (Ouais ?) Tu te demandes ce que ça va t’amener de savoir tout ça... y a des descriptions, je sais pas si tu te souviens du début mais i parle de prix ou des machins comme ça. Et donc je comprenais pas... c’était pas du tout ce à quoi je m’attendais. Tu vois j’avais une p’tite idée que c’était une relation entre deux personnes et cetera qui étaient pas du tout du même... milieu, mais je comprenais pas [petit rire] Franchement je comprenais pas ce que ça venait faire là[petit rire] Et... au fur et à mesure, nan je me suis pas dit/ J’ai pas baissé les bras donc... j’ai continué et puis maintenant ça va, ça va mieux quoi. Mais en général j’ai jamais abandonné un livre » (Eléonore ; père : ingénieur ; mère : sans profession, bénévole dans une association d’accompagnement à la mort ; ne connaît pas les études de ses parents)’

Elodie témoigne également d’un entremêlement des appropriations analytique et pragmatique des romans qu’elle a lus lorsqu’elle distingue L’Education sentimentale et Bel-Ami de Madame Bovary. En effet, sa comparaison de l’évolution des personnages souligne son attention à la construction d’ensemble des œuvres. Elle apporte en même temps une justification plus pragmati­que à sa préférence pour les romans où les hommes s’en sortent socialement par le biais des femmes plutôt que pour ceux décrivant le déclin social ou moral de femmes :

‘« Pendant les vacances du ski [petit rire] j’ai lu L’Education sentimentale[...] J’ai bien aimé. Ça ressemble un peu trop à Bel-Ami [elle précise :] de Maupassant (Ouais) Mais... Sinon ouais, c’est bien (Qu’est-ce qui t’a plu ?) Ben c’est pareil c’est qu’i part de rien et qu’i monte. Mais là, au lieu de rester en haut, i redescend [petit rire des deux] Donc ça... c’est la différence avec Bel-Ami. Et... c’est pareil c’est tout par les femmes. J’aime bien... les relations homme-femme qu’on sent... voir si ça aide, si ça gêne, si ça fait arriver les catastrophes, ou au contraire si... c’est bénéfique tout ça (Ouais)ça j’aime bien. [...] [A l’inverse Madame Bovary] ça m’a pas plu. Je sais pas parce que... j’aime mieux quand c’est... l’homme le héros et que les femmes servent de relais (Ouais) Tandis que là c’est l’inverse. Nan j’aime pas parce qu’on sent pas monter en fait. J’ai l’impression qu’elle reste toujours en bas, et que même elle s’enfonce, donc c’est pour ça, ça m’a pas plu (Parce qu’y avait pas d’ascension sociale et tout ça) Ouais, y avait pas... Ouais, on sentait pas que ça l’aidait, que ça la faisait progresser (Ouais) C’est juste une impression qu’elle se donne mais c’est tout. Ça sert à rien en fait pour elle (Ouais [petit rire]) Puis on sent que ça va retomber vite fait dès qu’elle monte un peu : pouf ça s’écroule. Je trouve que... les progressions qu’elle a elles sont pas assez sur le temps, dans les pages. Par exemple quand elle est avec... je sais plus comment i s’appelle ? L’autre qui habite pas très loin dans un château, je sais plus (Rodolphe) Ouais Rodolphe, on sent que ça monte un peu mais tout de suite ça s’écroule. Puis même, parce qu’en fait c’est pas direct. Elle est encore avec lui, mais vu que lui on a aussi ses paroles, ses pensées et qu’on sait qu’i s’en fout [petit rire] Ben ça s’écroule tout de suite et on se dit ‘‘ ç a va servir à rien’’. Donc c’est pour ça y a un peu des passages à vide où on sait que ça sert à rien et... c’est décevant » (Elodie ; père : responsable d’affaires, IUT d’automatisme, ingénieur ; mère : professeur de comptabilité en lycée, maîtrise et CAPES)’

Les satisfactions et insatisfactions lectorales identifiées et rapportées à des marques textuelles ne déterminent ni ne soutiennent à elles seules les lectures des œuvres. Ainsi, Elodie poursuit les œuvres entamées même si elle ne les apprécie pas pour s’en faire une « opinion » :

‘« (Et tu l’as lu en entier quand même [Madame Bovary] ou...) Ouais ouais, je finis toujours (Ah ouais ?) Parce que sinon... Au début je finissais pas. Main’nant je finis toujours [petit rire] M ême quand je suis déçue. Je me dis ‘‘Et ben ça me servira à quèque chose d’avoir lu un livre qui me déplaît’’ (Ouais) ç a me fait une opinion, ça m’aide [petit rire] J’ai des livres qui me plaisent, j’ai des livres qui me plaisent pas » (Elodie ; père : responsable d’affaires, IUT d’automatisme, ingénieur ; mère : professeur de comptabilité en lycée, maîtrise et CAPES)’

De même, Eléonore n’a pas « baissé les bras » en commençant Le Rouge et le noir. Soucieux de lire intégralement au moins un roman de Balzac, Maxence n’interrompt pas sa lecture du Lys dans la vallée qui, si elle suscite des « émotions », lui procure cependant moins de satisfactions lectorales participatives que celle d’Une Vie 1291  :

‘« Si on lit un livre, i faut le lire en entier i me semble (Ouais ?) Ouais ! (Même si i te plaît pas... ou...) Mouais ! Ben là j’ai lu... quoi Le Lys dans la vallée . Ça me plaisait pas trop, je me suis un peu forcé à le finir quoi (Ouais. Tu l’as lu... cette année quoi ?) Ouais ! (Récemment) Mouais... la semaine dernière, 'fin... ! Le mois dernier plutôt... (Et pourquoi tu l’avais lu ?) Parce que je dois lire Balzac un peu [...] Et puis comme je n’avais pas lu de Balzac aussi... I fallait que je vois ce que c’était quoi [petit silence] Ouais, je me suis un peu forcé à le finir parce que bon... Je sais pas... y a des descriptions comme toujours... 'Fin c’est assez ennuyeux à lire quoi (Hum... Des descriptions de quoi tu n’aimes pas ? T’ennuies ? Dans Balzac ?) Pff’, ben tout ! C’est... Balzac i fait tout en... I décrit tout le temps tout quoi. Et puis, ouais, y a pas trop... d’action... (C’est quoi le... l’histoire ?) Pff’, c’est... l’histoire d’un... alors... C’est un homme qui a une enfance assez douloureuse... et qui tombe amoureux d’une comtesse qui est mariée... Et puis voilà. Et puis à la fin... en fait... il arrive pas ! Enfin la comtesse elle est amoureuse de lui mais vu qu’elle est très pieuse, elle veut pas... elle veut pas tromper son mari... Et puis à la fin elle meurt, et puis elle regrette... ben de pas avoir trompé son mari (Hum ! Et donc là... [petit rire] T’étais pas trop...) Nan... Y avait beaucoup d’émotions à la lire mais bon... C’est de la littérature... (Toi t’en as ressenti de l’émotion ?) Ouais ouais... parce qu’à la fin y a une dernière lettre... qu’elle lui a demandé de lire avant sa mort... Et voilà, et donc... Et puis elle raconte tout... 'Fin, en fait c’est... le gars, le... l’homme il raconte à sa femme, en fait, toute son histoire... (Hum hum... Et quel... type d’émotions t’as ressenti ?) Un petit peu de la tristesse, un peu à un moment... et puis du regret quoi... (Comme si, à la place de la femme en fait) Mouais... ouais, puis de l’homme aussi, d’ailleurs... 'Fin ouais, sinon... quand elle sait tout en fait ! (Et les moments où t’en avais un peu... assez, comment tu... [petit rire] tu lis, tu procédais pour...) Ben je m’arrêtais un peu en fait et puis je reprenais... Je voulais le finir, alors voilà... Je lisais [petit rire] » ; « [je voulais] au moins en avoir lu un de Balzac, c’est p’t-être pour ça ! Parce que sinon... si c’était pour l’histoire, je l’aurais arrêté quoi » (Maxence ; père : magistrat, ENM ; mère : femme au foyer, elle a été attachée d’études dans le privé ; a fait des études de droit)’

Maxence met en place des stratégies qui assurent un certain rythme de lecture. Il profite de tous les moments dont il dispose pour terminer ce roman. Ainsi, au lieu de le lire le soir dans son lit, Maxence le lit « entre midi et deux », un espace-temps moins favorable, pour lui, à la participation romanesque. Il survole par ailleurs les passages qui ne « servent pas trop à grand chose » :

‘« Vu que j’avais envie de finir Le Lys dans la vallée, que j’avais envie de le finir vite, alors... je l’ai lu entre midi et deux ! [petit rire des deux](Et du coup y a des passages que t’as moins... que t’as un peu survolés, ou... ?) Ouais ! (Ouais ?) Toutes les longues descriptions... ça je les avais... survolées [je ris ; il se tait un moment] Je me dis ‘‘Ouais... C’est bon ! ça sert pas trop à grand chose...’’ » (Maxence ; père : magistrat, ENM ; mère : femme au foyer, elle a été attachée d’études dans le privé ; a fait des études de droit)’

Si lors de l’entretien, ils présentent les œuvres lues par des caractéristiques stylistiques, ces enquêtés ne maîtrisent pas tous de manière assurée les savoirs et savoir-faire spécialisés attendus au sein des cours de français 1292 . En effet, leurs résultats en français sont variés. Léonardo, Thierry, Elodie, Esther, Marie-Eve, Olivia ont des notes qui dépassent quasi-systématiquement 12/20. Clara, Samantha, Maxence obtiennent autour de 11-12/20 et exceptionnellement une note au-dessous de la moyenne. Mais Belinda et Eléonore connaissent des notes irrégulières entre 13 et 8/20 tandis que Peggy obtient le plus souvent des notes proches de 7-8/20 et exceptionnellement une note au-dessus de la moyenne 1293 . Les réponses qu’ils apportent aux demandes scolaires ne sont pas toujours celles attendues. Celles de Peggy par exemple, ne le sont que rarement.

Cependant, des habitudes lectorales constituées antérieurement lors de nombreuses lectures (au sein des cours de français ou en dehors) amènent ces enquêtés à s’emparer des œuvres littéraires sans trop de difficultés, dans une perspective de capitalisation des lectures et d’entraînement à une appréhension analytique des œuvres (Ils ont tous eu des appréhensions analytiques de la littérature durant la période collégienne, cf. Annexe chapitre 4 collège). Ces enquêtés lisent de façon analytique des œuvres classiques en plus des obligations scolaires et en dehors de la classe : ils en dégagent et évoquent des caractéristiques et spécificités stylistiques tout en exprimant des satisfactions ou insatisfactions de lecture participative. Leurs habitudes à lire de la littérature leur permettent de donner suite à une injonction professorale à laquelle ils sont sensibles. Ils prêtent attention aux titres et aux auteurs figurant sur les listes d’œuvres distribuées par leur enseignant de français (mesdames A et D et monsieur F). Ainsi Maxence a lu L’Etranger et La Peste de Camus qui figuraient sur la liste de madame D. Les œuvres qu’Olivia a empruntées au CDI et feuilletées pour s’en faire une idée figuraient sur la liste de monsieur F. Certains enquêtés ont lu intégralement des œuvres dont ils ont étudié un extrait en cours de français (c’est le cas de Maxence pour Une Vie et d’Esther pour Les Liaisons dangereuses) :

‘« [Chez moi] je lis à peu près le même genre [qu’en classe], je lis surtout des romans, comme je te disais et euh... Et là par exemple Le Rouge et le noir c’est pour moi quoi (Ouais) Donc euh... tu vois l’effort que je fais... franchement pour mes lectures personnelles (Tu te forces ?) ouais. Nan c’est pas que je me force mais... nan nan je me force pas sinon... franchement je le ferai pas quoi parce que... surtout si c’est pour moi, mais... Nan c’est des classiques(Ouais) Et puis... et la prof elle fait tout le temps référence à des bouquins(Ouais) On dirait qu’elle a lu tous les livres de la terre t’sais, donc c’est assez... Comment dire ? Tu te sens un peu inférieure [petit rire] quand même quand elle te dit ‘‘Oui vous avez pas lu ça ?’’ ‘‘Non bon, tant pis, OK’’ [petit rire des deux] Personne lui dit oui de toutes façons. Si moi j’ai dit une fois oui, pour Une vie [petit rire] Mais... Nan souvent je lis des romans ou des... livres qu’on pourrait très bien étudier en classe quoi (Ouais) ou alors des extraits je te dis qu’elle nous donne et après on prend le livre et... et puis voilà » (Eléonore ; père : ingénieur ; mère : sans profession, bénévole dans une association d’accompagnement à la mort ; ne connaît pas les études de ses parents)’

S’ils se soumettent aisément à cette injonction c’est non seulement parce qu’ils ont construit des habitudes lectorales mais aussi parce que des proches, intercesseurs des exigences scolaires, émettent des sollicitations convergentes. Ces sollicitations constituent à la fois des incitations lectorales et des soutiens à la mise en œuvre d’une appréhension analytique des œuvres littéraires : soit parce qu’elles rendent la satisfaction d’attentes lectorales participatives négligeable, soit parce qu’elles guident une appropriation analytique. Elles contribuent à ce que le contexte extra-scolaire au sein duquel ces enquêtés évoluent soit porteur de contraintes lectorales proches des contraintes lectorales scolaires. L’entourage familial occupe une place essentielle dans l’expression de ces sollicitations. Esther lit les classiques que son père et sa grand-mère lui recommandent ou qu’ils possèdent dans leur bibliothèque. Elle échange avec eux des propos sur les spécificités littéraires des œuvres lues. Esther apprécie ces sociabilités lectorales comme Olivia qui a commencé Voyage au bout de la nuit que son père avait acheté après avoir vu un spectacle avec Luchini, et avait laissé traîner au salon. Pour leur part, Léonardo, Maxence ou Clara sont moins enclins à suivre les suggestions obligeantes de leurs parents. Si les incitations réitérées de la mère de Clara à l’endroit de la littérature classique ont eu plus d’efficacité au lycée que les années précédentes c’est pour plusieurs raisons. Elles ont fait écho à la recrudescence des sollicitations scolaires (avec la distribution d’une liste de suggestions lectorales par madame D et une rencontre parents-enseignants). Elles ont reçu le renfort de la recommandation d’une camarade de classe amatrice de littérature classique (Esther) à la lecture du roman de Maupassant. Elles sont intervenues alors qu’ayant apprécié Pierre et Jean, étudié en début de seconde, Clara est dans des dispositions plus favorables vis-à-vis de cet auteur. Au moment de l’entretien cette enquêtée n’a toutefois pas terminé Une Vie qui déçoit finalement ses attentes lectorales participatives. Mais, craignant des représailles maternelles, elle invoque d’autres moteurs lectoraux que la participation romanesque et déclare compter poursuivre sa lecture :

‘« [Une Vie] pour l’instant ça me plaît pas ! [petit rire] (Tu l’as pas encore lu ?) J’ai lu les dix... ! / (/ Si, mais t’as pas fini) Les... dix premières pages quoi ! (Ouais) Mais je trouve pas, pour l’instant je trouve pas ça bien ! (Ouais !) 'Fin i faut que je... que j’avance un peu avant de me faire un avis... Mais je trouve pas ça... Mais je crois que je vais être obligée de le lire parce que ma mère, elle a... C’était avant-hier ! Elle m’a dit ‘I faut absolument que tu lises !’’ Elle m’a dit ‘‘Sinon, j’arrête tout à... internet, euh...’’ (Ah bon ?) Mais enfin je sais [petit rire] I va falloir que je le lise quoi... » (Clara ; père : ingénieur en informatique, bac et école supérieure d’électricité au Maroc ; mère : pédicure, podologue en disponibilité, études non spécifiées)’

Les pairs émettent également parfois des sollicitations pour une appréhension analytique d’œuvres littéraires classiques. Elodie a lu L’Education sentimentale sur les conseils de son frère aîné qui avait lu « deux-trois Flaubert ». Eléonore et Thierry suivent les conseils avertis de leurs aînés. L’émulation avec quelques camarades de classe aide Samantha à suivre les incitations professorales et à explorer la littérature classique qu’elle ne lisait auparavant qu’au sein des cours de français. En effet, avec ses pairs, Samantha a constitué un mini-cercle de lecture : ensemble elles partagent les achats d’œuvres littéraires ; elles se les échangent et se les recommandent. Elles se soutiennent ainsi dans la lecture de cette catégorie de textes. Pour Samantha, cette reconduction hors école des sollicitations scolaires s’inscrit dans une attitude plus générale vis-à-vis de la scolarité. Cette enquêtée réalise scrupuleusement les devoirs donnés, quelles que soient les disciplines. Elle effectue même des tâches supplémentaires (lecture des manuels, mise au propre des cours sous Word, etc.). En matière de lectures, Samantha s’est toujours soumise aux sollicitations professorales même lorsqu’elle n’appréciait pas les œuvres étudiées. Bien qu’ayant fortement déprécié la « longue » entrée en matière du Capitaine Fracasse, elle a terminé le roman donné à lire au collège. De même, l’obligation scolaire de lecture lui a permis de passer outre l’ennui lectoral suscité par l’ennui des personnages et la « lenteur » du rythme narratif de Madame Bovary lu pour la rentrée de seconde. Elle emprunte depuis longtemps des livres en bibliothèque (SF, littérature jeunesse) et tient à distance les lectures maternelles différentes des recommandations scolaires (des récits et témoignages de vies difficiles ou d’enfances malheureuses : drogue, handicap, etc.). Les sollicitations scolaires à l’endroit de la littérature classique se faisant plus pressantes au lycée (avec la distribution d’une liste de suggestions lectorales par madame A), il n’est pas étonnant qu’en plus des œuvres étudiées, cette enquêtée s’attèle à lire Baudelaire, Maupassant et Voltaire (Candide, Zadig, etc.) et lise précisément, mais comme par hasard, les pages consacrées à cet auteur dans son manuel de littérature :

‘« Sur Voltaire je sais qu’y a quèque chose... [dans le manuel] Ouais si... j’ai regardé parce que y a... une fois je suis tombée sur un truc de lui (Ouais) Mais moi je... bon ben... je l’avais lu ce livre, c’était Zadig » (Samantha ; père : électricien, au chômage ; mère : technicienne de méthode à la SCAPEL, arrêt maladie longue durée, BTS ; beau-père : profession et études non déclarées ; elle vit avec sa mère depuis l’âge de 3 ans)’

Les sociabilités que Marie-Eve entretient avec sa cousine, élève de première, la conduisent à étayer ses savoirs permettant une appréhension analytique de la littérature classique. Elles donnent une orientation moins « hasardeuse » à la consultation de ses manuels de littérature. Marie-Eve y recherche par exemple des informations sur le romantisme dont elle a discuté avec sa cousine :

‘« J’ai lu un peu... les deux énormes bouquins de français qu’on nous a donnés en début d’année ! (Oui ?) Du coup... oui j’ai lu quelques textes dedans [...] Au début de l’année, j’avais un peu de temps... Ou pendant les vacances, des fois, je les feuilletais comme ça et puis... Un peu au hasard en fait (Ouais ! C’était pas en lien avec ce que vous étudiiez ou...) Non ! Non pas du tout... (Ni par rapport à un auteur ?) Même pas ! [...] Non vraiment au hasard ! (Ouais !) J’ai feuilleté, et puis voilà ! Au hasard, je l’ouvrais, ben çui-là i me plaît... le titre m’inspire, je le lis et puis... Ou je le lisais en diagonale et puis si i me plaisait et ben je le relisais bien quoi ! (Ouais ! Et... là tu lisais uniquement l’extrait ou tu lisais justement les notes introductives, ou... ? Si y en a d’ailleurs ?) ça dépend ! Le passage sur le romantisme... j’ai lu quelques notes et aussi sur... Je sais plus, si on a un petit peu de Moyen-Âge aussi où j’avais lu des notes... I me semble qu’on en avait... ou alors je confonds avec un autre bouquin mais i me semble qu’on en a un peu... au début ! (Et pourquoi... sur le romantisme t’avais lu ?) Ben j’ai lu parce que ma cousine, ben encore ma cousine ! [ je ris un peu, elle sourit] qui est en première ! Qui a étudié... le romantisme cette année (Ouais ?) et qu’elle m’en a parlé et... qu’elle avait fait pendant six mois le romantisme et tout ça ! [petit rire des deux] Et que ça commençait à la bassiner ! Et... donc voilà... j’ai un peu regardé... Moui, j’ai regardé un peu ce que c’était que le romantisme quoi ! [...] (Et les autres courants... littéraires ?) Les autres courants et ben... [ petit silence] Je les connais pas ! [petit rire](Ouais ?) Non... j’ai p’t-être lu des choses d’autres courants mais... je sais pas à quel courant ça appartient (Ouais ! Là c’était vraiment en lien avec ce que te disait ta cousine, et...) oui, voilà ! » (Marie-Eve ; père : ingénieur en fluides, bac+5 ; mère : statisticienne, bac+5, économie)’

C’est le statut particulier de Peggy au sein de l’internat qui l’amène à lire des œuvres de littérature classique en plus de ses obligations scolaires. En effet, parmi ses copines d’internat, Peggy fait figure d’exception. Elle incarne la lectrice en lisant les romans que son père lui prête, en empruntant des livres au CDI, etc. Cette spécificité la conduit à lire davantage encore. Peggy soulage ses copines qui n’aiment pas lire en s’emparant à leur place des textes qu’elles doivent étudier pour leurs cours de français. Remise de soi, reconnaissance des pairs ainsi que satisfactions lectorales soutiennent en se combinant la réalisation par Peggy des résumés des œuvres lues et celle des commentaires de textes. Elles parviennent même à contrebalancer la crainte de Peggy de faire un hors-sujet :

‘« En français c’est pareil hein là y a des filles de l’internat, elles ont des commentaires à faire, c’est moi qui les fais hein !(Hum ! Ah ouais ?) Ouais ! Elles sont pas dans ma classe hein pourtant ! Sylvie, ben celle qui était là [habillée] en noire, elle est... L’autre fois... elle galérait et tout... Elle m’a donné son truc. Je l’ai fait en une heure elle eu... treize ! Parce que moi ça me fait plaisir de l’aider et puis quand c’est du français... ça me fait rien en fait de faire du français (Ouais ! Hum...) Même si des fois j’ai peur de faire hors-sujet ou n’importe quoi. Je me dis ‘‘Tant pis, parce que c’est mieux. C’est mieux, t’façons, que si c’était elle qui le faisait’’(Hum hum) Donc autant que je le fasse. Et puis moi ça me dérange pas. Par contre on me demande de faire des maths... ‘‘Je suis incapable’’, je le dis ‘‘Et je veux pas !’’ [...] (Et le commentaire que t’as fait pour... Sylvie c’était quoi ?) Hou là ! C’était... J’en ai fait plusieurs ! [petit rire] Y avait un texte c’était... Le texte ça décrivait un... - faut pas le dire au prof ! [petit rire de complicité] - ç a décrivait... une femme qui... elle est amoureuse d’un homme, et qui l’attend ! (Ouais) Et donc c’était ‘‘Analysez l’attente de la femme’’(Hum) Pourquoi... / Parce qu’elle décrit, elle dit qu’elle pense tout le temps à lui et ‘‘Pourquoi elle est... pourquoi elle a autant plaisir à l’attendre ?’’ (Hum hum) Donc en fait j’ai dit que... ‘‘Quand t’attends une chose, t’es vraiment bien’’. Parce qu’elle était déçue dès qu’il était là en fait. Et donc... dès qu’i... Ouais en fait j’ai... j’ai [dit]... en gros que... ‘‘Quand on obtient la chose, des fois t’es déçue parce que c’est... ce qui est le plus beau c’est de l’attendre’’. Donc c’était ça... J’ai écrit des pages et des pages... ! [...] Un autre [devoir fait pour Sylvie], c’était sur... un condamné à mort. Et je l’ai lu le livre ! Pour elle ! [petit rire] De Victor Hugo, je crois... Le dernier jour d’un condamnéje crois que ça ça s’appelle (Hum hum hum) I me semble que c’est... Ouais, je crois que c’est Victor Hugo. Donc je l’ai lu. Ça va il est/ ça va ! [je ris un peu] Et je l’ai lu ! Et donc elle l’a jamais lu. Elle a eu l’interro d’ailleurs, et puis elle a lu le résumé elle [...] I fallait se mettre à la place du condamné (Hum) et les dernières heures, et décrire ce qu’i ressentait... jusqu’à sa mort. Donc voilà j’avais écrit une feuille double(Et i t’avait plu ce livre ?) Ouais ça va, ouais ! Ouais. Mais souvent, je lis, c’est pas pour moi hein ! [petit rire] (Ouais !) C’est pour aider les autres. Mais là c’est pas grave. Si elle me dit ‘‘Allez pour demain i faut que je lise ça’’. Ben... toute la soirée je vais me mettre à lire, c’est pas grave ! Si ça l’aide(Hum hum) Mais... i m’aurait pas plu hein, j’aurais dit ‘‘Ben... tu te démerdes’’(Ouais !) » (Peggy ; père : gérant d’une société de maçonnerie, études jusqu’en 4ème ; mère : aide-soignante, BEPC, diplôme d’aide-soignante)’

En plus de son frère aîné, c’est avec son enseignante de français qu’Elodie entretient des sociabilités lectorales qui soutiennent des lectures non obligatoires (comme c’était déjà le cas avec son professeur de troisième). Elle rend compte à madame A de ses impressions sur Moderato cantabile et se plaît à partager des avis pédagogiques. Pour Elodie, les difficultés stylistiques de l’œuvre de Duras rendent impossible son étude en classe de seconde :

‘« [Discuter de mes lectures] je le fais un peu avec... madame A, notre prof de cette année(Ah bon ?) Hum, par exemple j’ai lu Moderato cantabile(Ouais) Et elle m’a fait... ‘‘Est-ce que tu crois que ça pourrait être étudiable en... dans cette classe’’ et tout. Je lui fais ‘‘Je pense pas’’ parce que... [petit rire] Par exemple dans un regard, la mère parle au fils et le fils du coup ça passe au piano [petit rire] et le piano à la rue. On comprend pas... ’Fin c’est très dur à... suivre [...] (Moderato cantabile par exemple il était sur la liste [distribué par madame A]) Je l’ai trouvé sur la liste, j’avais ce... En fait je me suis dit ‘‘Allez on va essayer de lire un livre de la liste’’ (Ouais) Et... Marguerite Duras mon frère m’avait dit que ça lui plaisait. Donc on est allé sur cet auteur. Et en fait je voulais lire L’Amant au début, et il y était pas. Donc je suis tombée sur çui-là dans le rayon [petit rire] Et elle, la bibliothécaire m’a dit qu’elle devrait acheter L’Amant normalement (Ouais) Mais... Ben en attendant j’ai lu ça quoi. Mais j’ai pas tellement... aimé (Pas accroché, hum) C’était très dur à suivre (Ouais) L’histoire est pas mal mais ffou’... y a beaucoup de choses pour rien dire en fait. Elle arrive à voir des sentiments alors qu’i font rien [petit rire] Elle arrive à... Ouais, c’est dur... à voir les correspondances. Elle dit pas tout clairement. Elle dit très peu clairement, trop peu [petit rire des deux] Moi faut qu’y ait quand même assez d’explicite pour pouvoir... trouver l’implicite. Sinon je trouve pas (Ouais, et quand tu trouves pas...) Ben pp’. J’essaye de comprendre mais... ça désespère un peu (Ouais) Donc si mon... frère l’a lu j’essaye de lui demander, mais sinon, ben, l’autre fois justement sur Moderato cantabilej’en ai parlé avec la prof, mais c’est tout » (Elodie ; père : responsable d’affaires, IUT d’automatisme, ingénieur ; mère : professeur de comptabilité en lycée, maîtrise et CAPES)’

Certaines des habitudes lectorales de ces enquêtés varient donc peu entre le contexte scolaire et le contexte extra-scolaire. Cette faible variation est rendue possible par les habitudes lectorales qu’ils ont constituées et sont à même de mobiliser. Elle s’appuie sur la proximité des contraintes/sollicitations lectorales des contextes scolaire et extra-scolaire au sein desquels ces enquêtés évoluent.

Le prolongement hors école du contexte scolaire de lecture et les conditions de possibilité de ce prolongement se situent pour la plupart des enquêtés dans la continuité de ce qu’ils faisaient au collège. En effet les enquêtés lisaient alors de manière participative des romans recommandés au sein des cours de français, en plus des obligations scolaires. Leur suivi de l’injonction scolaire plus ou moins explicite était déjà facilité par des sollicitations lectorales familiales convergentes. Ainsi, Marie-Eve a lu les romans de Frison-Roche de la bibliothèque parentale après en avoir lu pour les cours de français. Conciliant demandes professorales et suggestions paternelles, Esther enchaînait les romans de Zola, Dumas et Maupassant. Pour sa part, Maxence décrit ses lectures de romans policiers recommandées par ses enseignants de français comme constituant sa principale lecture extra-scolaire de littérature. Il range aussi ses lectures des œuvres figurant sur la liste de suggestion de madame D et non étudiées en classe parmi les lectures faites « par [soi]-même » :

‘« (Quand t’étais au collège, en fait, tu lisais aussi beaucoup... en dehors de ce qui était étudié en classe ?) Ben... un peu, en histoire et en français... (C’étaient des romans, aussi ? Ou...) Ouais. Déjà c’étaient pas... des auteurs... En fait c’était en rapport avec les livres scolaires ! (Ouais ?) Mais ouais, c’étaient plus des romans policiers, des livres comme ça ! (Qui t’étaient conseillés aussi ?) Hum hum... ouais... certains... (Comme ?) [petit silence ; petit rire des deux] Je sais plus... Je sais pas... ! [petit rire] (Et conseillés par tes enseignants ? Ou par des copains... ?) Par mes enseignants... ou... des copains aussi, ouais... » ; « (Dans les lectures que tu fais... tu m’as dit que... c’étaient plutôt des conseils... de profs...) Hum... oui. Oui... ouais, c’est assez souvent... (Depuis tout le temps ?) Mouais... Mais enfin ça, ça m’arrive quand même... d’en lire par moi-même... (Ouais) Ouais... (Tu te souviens de livres que t’as... lus par toi-même ?) Les romans policiers... [inaudible] Enfin, par moi-même, à moitié quand même... parce que le cours, ça... Ben t’façons les livres qu’elle met dans la liste... C’est par moi-même en même temps... » (Maxence ; père : magistrat, ENM ; mère : femme au foyer, elle a été attachée d’études dans le privé ; a fait des études de droit)’

Quant à Peggy, elle lisait et résumait pour sa sœur aînée des œuvres de la littérature classique en échange de vêtements. Les relations d’internat ont pris le relais des relations fraternelles limitant les effets potentiellement défavorables à la lecture de la littérature classique de la décohabitation d’avec sa sœur.

Clara est la seule parmi ces enquêtés qui, au collège, ne lisait intégralement que les œuvres étudiées en classe et laissait de côté les œuvres achetées par sa mère en vue d’une reconduction des exigences scolaires. Elle préférait se soumettre aux incitations lectorales extra-scolaires portant sur des catégories de textes au centre de sociabilités lectorales familiales comme la littérature ne figurant pas sur les listes de suggestion, les ouvrages de référence, les textes religieux, les magazines ou les bandes dessinées. La réalisation de ces nouvelles lectures extra-scolaires repose sur un entraînement collégien à ces lectures, réalisé au sein des cours de français, et sur le caractère plus pressant des sollicitations lectorales maternelles.

Pour ces enquêtés, la réalisation hors école de lectures qui s’apparentent aux lectures scolaires s’appuie sur des habitudes antérieurement constituées et sur l’impossibilité des enquêtés à se soustraire aux sollicitations lectorales expresses ou intériorisées et soutenues par des sociabilités lectorales. Elle dépend moins ou pas seulement de satisfactions lectorales relevant d’une appréhension participative. Certains comme Esther ou Elodie dont les contextes familiaux ont été particulièrement favorables à la reconnaissance de la légitimité lectorale scolaire y adhèrent apparemment sans retenue et satisfont pleinement leurs attentes lectorales par des lectures analytiques de la littérature classique. D’autres, comme Léonardo ou Clara, la vivent comme une concession et un consentement à des incitations familiales et scolaires dont ils reconnaissent la légitimité et l’intérêt scolaires sans avoir construit d’appétences à leur endroit. Pour eux, ce sont d’autres catégories de textes et/ou d’autres façons de lire qu’ils ont constituées comme leurs et dont ils escomptent la satisfaction de leurs attentes lectorales – participatives ou analytiques. Mais, pour les uns comme pour les autres, la non variation de certaines de leurs lectures selon les contextes scolaire et extra-scolaire ne constitue qu’un aspect de leur profil lectoral extra-scolaire : ces appréhensions analytiques de la littérature classique côtoient toujours d’autres lectures.

En effet, les habitudes lectorales analytiques constituées sous l’effet d’une variété de sollicitations lectorales et permettant de répondre à des sollicitations proches portées par des contextes différents cohabitent avec d’autres habitudes lectorales. Les enquêtés ont constitué des habitudes leur permettant d’apporter les réponses attendues aux différentes contraintes/sollicitations contextuelles auxquelles ils sont confrontés. Ils ne sont pas tous à même de mobiliser telles ou telles habitudes sans sollicitations encadrées.

Parfois, c’est une appréhension participative de la littérature étudiée qui est soutenue par les contraintes/sollicitations des contextes scolaire et extra-scolaire.

Notes
1290.

Ils se distinguent encore des enquêtés qui lisent de façon analytique d’autres catégories de textes : Elodie pour la littérature jeunesse ; Belinda, Gaëlle pour la littérature ne figurant pas sur les listes de suggestion ; Elodie, Esther, Gaëlle, Lamia, Colin, Gaspar, Jérôme pour les bandes dessinées ; Edith, Marie-Eve, Nadine, Bastien, Colin, François, Rodolphe, Vincent, Bruno, Nordine pour les journaux ; Marie-Eve, Samia, Bertrand, Thierry pour les textes religieux.

1291.

Cf. supra, chapitre 7.

1292.

Cf. supra, chapitre 7, les conditions d’acquisition des savoirs et savoir-faire lectoraux attendus en seconde.

1293.

Cf. Annexe, notes obtenues en français par les enquêtés (d’après les matériaux collectés).