a. mises en œuvre d’habitudes lectorales analytiques sans sollicitations encadrées

Pour quelques enquêtés, la variation globale de leurs pratiques lectorales selon les contextes est contrebalancée par la mobilisation d’une appréhension analytique des textes en contextes scolaire et extra-scolaire. Pour eux, c’est moins la similitude des contraintes lectorales d’un contexte à l’autre (conditions de non variation des pratiques lectorales analytiques mises en évidence au premier point) que la possession d’habitudes de lecture mobilisables intentionnellement et sans sollicitations contextuelles encadrées qui explique la non variation de certaines de leurs habitudes.

On l’a vu (cf. supra, Partie I), durant la période collégienne un certain nombre d’enquêtés ont construit les premiers jalons d’une appréhension analytique de différentes catégories de textes à l’occasion de diverses pratiques non forcément conjuguées :

  • des lectures abondantes, diversifiées et comparées de textes d’une même catégorie (par exemple les bandes dessinées) ;
  • l’entretien de sociabilités lectorales avec des amateurs avertis (parmi les membres de l’entourage familial, les pairs, les professionnels du livre ou les enseignants)
  • la réalisation d’activités encadrant des lectures analytiques ;
  • la lecture de rubriques critiques de revues comme Phosphore, CinéLive, Télérama, Joystick,etc. permettant l’intériorisation de critères d’appréciation et de classification (genre, scénario, graphisme/photo, etc.) de produits culturels divers (livres, bandes dessinées, films, jeux vidéo) ;
  • la mémorisation et la transposition de principes de perception et d’appréciation des œuvres littéraires enseignés au sein des cours de français.

Au gré de ces sollicitations et lectures, ils ont pu constituer une appétence pour ces catégories de textes en satisfaisant des attentes lectorales participatives ou analytiques, en augmentant leur connaissance de telle ou telle catégorie de textes et en affinant leur appréhension analytique de celles-ci 1302 .

Pour certains enquêtés, l’entrée au lycée ne fait pas obstacle à la poursuite de ces lectures. Ils bénéficient de conditions favorables à cette reconduction. En plus de l’appétence constituée, ils fréquentent des lieux d’approvisionnement ou disposent familialement de textes à lire et découvrir. Ils ne connaissent pas de sollicitations concurrentes, lectorales ou autres, entraînant la mise en veille, par relégation, de ces façons de lire. Mais, contrairement aux enquêtés dont les pratiques ont été étudiées en II. 1), comme Elodie qui continue d’échanger avec son frère ses avis sur des lectures à partir de principes analytiques, et qui discute de ses lectures littéraires avec madame A, ils n’entretiennent plus de sociabilités lectorales donnant lieu à des retours sur lectures ou ont arrêté des activités ayant contribué à la constitution de leurs habitudes lectorales. Non soutenues par des sollicitations encadrées telles que le sont des sociabilités ou des activités, la reconduction de leurs lectures est rendue possible par le type d’habitudes lectorales qu’ils ont constituées. Par des incitations de leur entourage, par la fréquentation de lieux d’approvisionnement (vastes bibliothèques familiales, bibliothèques municipales ou scolaires, librairies), par le goût pour une appréhension analytique de telle ou telle catégorie de textes et les satisfactions lectorales qu’elles leur procurent, par l’intériorisation des injonctions à la lecture et la réalisation de lectures non inscrites dans des sociabilités lectorales, etc., ils ont appris à choisir seuls leurs lectures parmi une offre relativement étendue d’une même catégorie de textes. Ils ont aussi constitué des habitudes lectorales dont la mise en œuvre se passe de sollicitations lectorales encadrées.

La plupart de ces enquêtés ont des parents bacheliers, comptent dans leur entourage de forts lecteurs (amateurs de catégories de textes spécifiques) et sont usagers de bibliothèques. Les bandes dessinées sont les textes qu’un plus grand nombre d’enquêtés lisent l’année de l’enquête de manière analytique en se passant de sollicitations encadrées. La plupart de ces enquêtés a, au moins ponctuellement, de bonnes notes en français, et certains ont de très bonnes notes.

Tableau 26 Enquêtés effectuant des lectures analytiques de différentes catégories de textes hors des cours de français par mobilisation d’habitudes de lecture dont l’activation se passe de sollicitations contextuelles encadrées
 
Littérature classique Littérature jeunesse Littérature non suggérée Bandes dessinées Magazines Journaux Ouvrages de référence
PB PNB PB PNB PB PNB PB PNB PB PNB PB PNB PB PNB
F
Séverine   Valérie   Karine
Séverine
Marie-Eve
  Edith
Emilie
Marie-Eve
Nadine
Ophélie
Séverine
Vanessa
          Marie
Valérie
 
1 0 1 0 3 0 7 0 0 0 0 0 2 0
G
          Salah Arthur
Bastien
Colin
Jean
Léonardo
Raoul
Samuel
Livio
Philippe
Salah
  Livio Léonardo   Didier  
0 0 0 0 0 1 7 3 0 1 1 0 1 0
T 1 1 4 17 1 1 3

Lecture : F = filles ; G = garçons ; T = total ; PB = parents bacheliers ; PNB = parents non bacheliers. Aucun enquêté n’a d’appréhension analytique de textes religieux en cours de français.

Des enquêtés continuent de lire des catégories de textes en portant sur ceux-ci un regard analytique qu’ils ont constitué avec des proches ou par des lectures importantes et comparatives de textes relevant du même domaine de production, alors même que leurs sociabilités lectorales ont pris fin. D’autres enquêtés mobilisent des façons de lire constituées en classe à l’occasion de lectures extra-scolaires de textes qu’ils ont trouvés seuls.

Notes
1302.

On a reconstruit les appréhensions analytiques des textes à partir des façons dont les enquêtés disent leurs lectures en entretien. Or l’entretien constitue une situation socio-discursive différente de la situation d’examen puisqu’il s’agit d’une interaction.