2) Quelques résultats...

On montre dans cette thèse le caractère socialement construit des habitudes lectorales et on pointe le fait que la caractérisation des lecteurs passe sous silence un déterminant essentiel des lectures effectives lorsqu’elle ne mentionne pas les sollicitations lectorales auxquelles ils réagissent : la mise en œuvre des habitudes de lecture est liée à la rencontre entre habitudes et sollicitations particulières.

L’organisation de la thèse et des analyses vise à cette démonstration en développant la recherche dans trois directions : l’étude de la constitution des habitudes de lecture (à laquelle on s’est attachée de l’enfance jusqu’en seconde), l’analyse des sollicitations contextuelles que l’on a réalisée en particulier pour le contexte scolaire lycéen, les réactions attendues ou non des enquêtés à ces sollicitations contextuelles par la mise en œuvre ou la mise en veille de certaines de leurs habitudes lectorales.

Une des préoccupations centrales a été de mettre en évidence des sollicitations lectorales à partir d’une focale individuelle, et d’indiquer les modalités concrètes par lesquelles des habitudes lectorales différentes se constituent et sont mises en œuvre en différents contextes. On entendait souligner par là, et en évitant l’adoption d’un point de vue scolaro-centré, que toutes les habitudes de lecture reposent sur des conditions de constitution particulières et sont liées à des arbitraires culturels spécifiques. L’inégale reconnaissance sociale ou scolaire des habitudes lectorales ne découle donc pas d’un inégal travail de constitution, ‘‘au mieux’’ découle-t-elle des inégales visibilité et reconnaissance de ce travail comme tel, liées notamment à la légitimité de ceux qui le dispensent et le réalisent. A l’inverse, des degrés d’engagement similaires pour des goûts et intérêts lectoraux distincts et inégalement reconnus socialement s’expliquent par l’intensité (affective ou matérielle) des relations au sein desquelles peuvent se constituer des habitudes lectorales différentes et par l’inscription des habitudes constituées dans des arbitraires culturels et des styles de vie particuliers.

Cette préoccupation a donc guidé l’exposition des analyses en pointant, en outre, la variation des sollicitations lectorales qu’ont connues les enquêtés à différents moments biographiques. Pour être socialement constituée comme période de familiarisation avec la lecture, l’enfance se distingue de la période collégienne et lycéenne. Cependant, qu’on s’attache aux pratiques réalisées durant l’enfance ou au cours de la classe de seconde, on constate des récurrences dans l’analyse des sollicitations lectorales et des habitudes mises en œuvre, qui peuvent être présentées comme des résultats.

Le premier est celui de la variation sociale des sollicitations auxquelles ont été confrontés les enquêtés à chaque moment biographique. Celle-ci dépend de la rencontre et de l’articulation de plusieurs caractéristiques des configurations au sein desquelles évoluent les enquêtés : la familiarité de l’entourage avec l’institution scolaire et ses habitudes de lecture, les activités extra-scolaires autour de la lecture auxquelles les enquêtés ont ou non participé dans tel ou tel équipement culturel et les sociabilités lectorales qu’ils ont ou non nouées, l’enseignement scolaire qu’ils ont reçu en matière de lecture et la manière dont ils se le sont appropriés. De la variation sociale des sollicitations rencontrées (et non du fait d’une plus ou moins grande ouverture ou fermeture d’esprit) découle en partie celle des habitudes lectorales constituées par les enquêtés. Alors que l’ensemble des enquêtés ont appris à mettre en œuvre une appréhension pragmatique de plusieurs catégories de textes, plus rares sont ceux qui ont appris à mettre en œuvre une appréhension analytique des textes, et les catégories de textes qui en font l’objet sont aussi peu nombreuses (essentiellement la littérature classique, les bandes dessinées ou d’autres littératures de genre ayant connu un processus de légitimation).

Le second est celui de la diversité même de ces sollicitations. On l’a approchée à partir de l’examen des liens entre contextes de lecture et sollicitations, en cherchant à les caractériser de différentes manières. On a pris en compte leur « nature », c’est-à-dire les textes et les façons de lire qu’elles suggèrent. On s’est intéressée à la forme, explicite ou implicite, des sollicitations (conseils, discussions ou mise à disposition personnalisée ou non d’imprimés). Grâce à cela, on a notamment pu mettre en évidence le rôle des pères dans les sollicitations lectorales perçues par un certain nombre d’enquêtés. S’ils accompagnent moins souvent que les mères les enfants à la bibliothèque, les pères mettent à leur disposition leurs albums et livres de jeunesse, lisent le journal, etc. L’appropriation de ces textes est susceptible d’être constituée en enjeu socio-affectif fort, motivant des lectures. On a enfin veillé aux différents types de sollicitations : les prescriptions des professionnels de l’enseignement de la lecture, les incitations des non professionnels de cet enseignement, les sollicitations de communion passant par le partage de lecture avec des proches.

On souligne ainsi que l’institution scolaire se caractérise par la relative concentration des sollicitations sur les textes recommandés, et par l’usage de certains types de sollicitations (prescription et souvent fort encadrement). En revanche elle enseigne une pluralité de façons de lire (analytiques et pragmatiques) et émet donc des sollicitations lectorales de nature variée. Elle le fait encore au lycée même si les diverses sollicitations ont des statuts différents : certaines sont valides ponctuellement, dans le déroulement du cours, mais insuffisantes voire disqualifiantes en situation d’examen, d’autres sont valides et attendues en situation d’examen. Cet enseignement n’annule donc pas une hiérarchisation des façons de lire, ni une inégale reconnaissance des façons de lire. Si, dans une perspective analytique, les élèves peuvent appréhender la presse comme des récits de fiction en comparant la construction narrative ou argumentative, l’appréhension participative que certains ont de la presse, comme une fiction, est illégitime : des fonctions et attentes lectorales différentes sont attribuées aux différentes catégories de textes. L’institution scolaire légitime les façons de lire participatives socialement dominantes des différentes catégories de textes, à mettre en œuvre lors des lectures extra-scolaires ou à reconnaître lors des lectures scolaires.

On indique aussi la relative diversité des sollicitations portées par les contextes extra-scolaires : non seulement du fait de la variation sociale des contextes fréquentés par les enquêtés, mais aussi du fait de l’hétérogénéité même des sollicitations portées par les différents contextes extra-scolaires au sein desquels ils évoluent (chacun émet des sollicitations plus ou moins proches des sollicitations scolaires). Il peut y avoir des variations entre les sollicitations familiales, amicales, professionnelles (bibliothécaires, libraires, animateurs, etc.), mais aussi par exemple entre différents membres de la famille. On observe des variations de sollicitations du point de vue de leur degré d’encadrement. Les lieux de distribution émettent des sollicitations peu encadrées (le classement des rayons peut infléchir l’appréhension qui est faite des textes mais la façon de lire effectivement réalisée n’est ni vérifiée, ni encadrée par des consignes guidant le déroulement de la lecture par exemple). Les enquêtés doivent avoir été initiés à ces sollicitations pour y être sensibles et les suivre. En revanche, les sollicitations des lieux de distribution peuvent rejoindre les sollicitations scolaires à l’endroit des lectures extra-scolaires : ils mettent en effet en avant les fonctions socialement reconnues des textes pour une appréhension participative. Les sollicitations familiales ou amicales peuvent pour leur part non seulement être plus encadrées (lorsque les lectures constituent des références communes obligées), mais aussi associer à des catégories de textes des fonctions et attentes lectorales socialement illégitimes (lire la presse comme un récit de fiction, lire des récits de fiction comme des comptes rendus objectifs de réalités, etc.).

L’étude des différentes relations au sein desquelles sont émises des sollicitations lectorales pointe qu’en matière de lecture, la « transmission verticale » (des adultes aux enfants ou adolescents) est loin d’être évincée par la « transmission horizontale » (entre pairs). En réfléchissant au choix de regroupement des membres de la fratrie avec les pairs ou avec les parents, elle montre en outre que la mesure des différentes transmissions dépend de ses modalités de production. L’étude rejoint les travaux préoccupés par la comparaison des transmissions horizontales et verticales en constatant que si les pairs et les adultes se distinguent parfois par les types et la nature des sollicitations qu’ils émettent, ils se distinguent peu par la force et l’efficacité de leurs sollicitations, quelles que soient l’institutionnalisation et la légitimité sociale de ces dernières.

Un troisième résultat important concerne les liens entre l’encadrement des sollicitations et leur suivi.

On montre que la variété des formes d’encadrement des sollicitations et des lectures (par la vérification professorale des lectures effectuées, par la demande parentale de comptes rendus, par les implicites au cours de discussions amicales qui enjoignent, en creux, la réalisation de lectures communes, etc.) n’induit pas mécaniquement une variété des degrés d’encadrement : les pairs, les parents peuvent objectivement exercer des contraintes aussi fortes que les contraintes scolaires. Elle n’induit pas non plus les expériences qu’en ont les enquêtés : certains enquêtés font leur les sollicitations lectorales scolaires de prescription, au point de construire des plaisirs spécifiques à la mise en œuvre de façons de lire analytiques sur la littérature classique (cf. Salah, Maxence) ; d’autres, au contraire, se sentent brimés par de telles sollicitations (cf. Marie ou Valérie).

Il apparaît en revanche que le suivi des sollicitations varie selon leur degré d’encadrement (vérification professorale ou non des lectures, distribution ou non d’un plan explicite de travail, suggestion amicale et questionnement rétrospectif ou non sur une lecture conseillée, etc.) et surtout selon la familiarité des lecteurs avec telle ou telle forme de sollicitations : les dispositifs objectivés que constituent les rayonnages d’un lieu de distribution actualisent des sollicitations lectorales peu encadrées (consignes lapidaires, non vérifications de la réalisation des lectures et des façons de lire mises en œuvre, etc.). Ils sont néanmoins susceptibles de dispenser des sollicitations fortement encadrantes auprès des lecteurs qui y ont été familiarisés (elles peuvent leur servir à s’orienter parmi une offre abondante d’imprimés, elles peuvent suggérer une façon de lire en insistant sur telle caractéristique textuelle ou sur telle expérience lectorale, etc.). En ce sens, on souligne que ce qui est qualifié d’autonomie est une aisance acquise des individus au sein de dispositifs objectivés qui n’en émettent pas moins des sollicitations. Les lecteurs réagissent toujours à partir de leurs habitudes lectorales à des sollicitations même si celles-ci sont peu encadrées. On indique aussi que l’aisance au sein des dispositifs objectivés découle d’une initiation plus que de la seule force d’un goût constitué.

Un fort degré d’encadrement des sollicitations réduit cependant la possibilité de leur évitement, mais aussi celle de leur détournement auprès de tous les lecteurs qu’ils soient ou non initiés aux sollicitations. Il permet en effet aussi bien la mise en œuvre d’habitudes lectorales qui sont dépendantes d’un fort encadrement que celle d’habitudes lectorales qui se satisfont d’un encadrement faible des sollicitations.

Vis-à-vis de sollicitations encadrées, les lectures effectuées et les habitudes constituées pendant l’enfance dépendent des caractéristiques du sollicitateur. Il apparaît que sans encadrement adulte (scolaire ou extra-scolaire), la découverte et l’entraînement à la lecture individuelle de récits longs sont rares au cours de la familiarisation avec la lecture. L’encadrement enfantin des lectures favorise pour sa part la construction d’habitudes de lecture collectives de récits brefs ou surtout de bandes dessinées et de magazines. Mais qu’il s’agisse de lectures individuelles ou collectives, de romans ou de bandes dessinées, etc., d’une familiarisation indirecte à la littérature par l’écoute, l’illustration ou l’évocation d’histoires lues ou racontées par autrui, chaque habitude constituée autour de la lecture découle d’un encadrement et de sollicitations spécifiques.

Le quatrième résultat est de faire apparaître que les individus s’approprient les sollicitations, quel que soit leur degré d’encadrement. A partir des souvenirs d’enfance comme des évocations de sollicitations lectorales plus récentes, on a pu reconstruire que les enquêtés peuvent suivre les sollicitations de manière attendue, les détourner, les éviter, les refuser ou les négliger. On a ainsi prolongé l’investigation sur le « travail de l’héritage » par l’héritier (au sein de la famille, mais le suivi ou l’évitement des sollicitations scolaires sont également justiciables d’une analyse en terme d’appropriation). On montre que celui-ci se réalise soit par reproduction de l’héritage soit par différenciation. La reproduction comme la différenciation des pratiques lectorales de l’entourage ne s’accompagne pas nécessairement d’un jugement négatif ou positif des pratiques d’autrui. En outre, les pratiques de leur entourage non reproduites par les enquêtés peuvent être construites comme enviables et inaccessibles ou au contraire comme détestables et rejetables.

Les logiques de reproduction ou de différenciation des pratiques lectorales de l’entourage ne peuvent être renvoyées aux seules caractéristiques des textes lus ou des façons de lire et aux goûts et intérêts lectoraux des enquêtés. Elles sont en effet liées à des principes de socialisation sexuée, générationnelle et culturelle dont les effets respectifs ne sont pas mécaniques et qui peuvent se contrebalancer. Si Benjamin ne lit pas Le Nouvel Observateur de sa mère c’est notamment parce qu’il s’agit d’une lecture familialement constituée comme féminine et parce qu’il se préoccupe peu de « politique ». Il n’en demeure pas moins frustré de ne pas comprendre les articles et espère pouvoir le lire plus tard. Lagdar pour sa part écarte le magazine de sa sœur non seulement parce qu’il se désintéresse de la vie des stars mais aussi parce qu’il l’appréhende comme un imprimé féminin. Ahmed en revanche lit avec plaisir les magazines de ses sœurs. Pour lui, le plaisir des sociabilités lectorales l’emporte sur un principe de distinctions sexuées des lectures. Enfin, il apparaît que l’héritier effectue rarement seul ce « travail de l’héritage », mais est souvent accompagné voire guidé par son entourage même. En effet, celui-ci peut devancer les réactions de l’héritier en les suggérant, il peut aussi les accompagner en mettant par exemple à sa disposition des imprimés spécifiques ou en l’incitant au contraire à s’emparer des imprimés familiaux, etc.

L’intérêt propre d’une sociologie de la lecture pour la mise en évidence des habitudes lectorales – tant du point de vue des textes lus que des façons de lire et des conditions individuelles ou collectives de lecture –, et de leur distribution sociale nous a conduite à réaliser ce qu’on pourrait appeler une ethnographie des habitudes de lecture. Celle-ci procède par la production d’un matériau susceptible de faire apparaître la diversité des habitudes de lecture, et notamment des habitudes lectorales négligées par d’autres enquêtes (comme l’appréhension pratique des textes théâtraux, ou une appréhension participative des textes religieux). Elle passe aussi par la place consacrée à leur présentation et à leur analyse des conditions de leur constitution et de leur mise en œuvre. Au fil des chapitres ce sont donc la diversité et la variation sociale des habitudes constituées qui apparaissent.

Elle permet d’abord de pointer les entremêlements des cultures orale et écrite lorsque la familiarisation de certains enquêtés avec la culture écrite se fait sans entraînement intensif des habitudes de lecture individuelle, par la découverte indirecte du répertoire lu par autrui, perçu à partir d’adaptations, etc. Ainsi, plus qu’elle n’a lu elle-même des récits de littérature classique et jeunesse, Leïla a écouté depuis son enfance des récits (histoires lues ou racontées par des animateurs de bibliothèque, textes lus en classe en lecture suivie ou étudiés/évoqués au collège, etc.). Elle a illustré plastiquement les histoires entendues, mémorisé et joué certaines d’entre elles, discuté et échangé à leur propos. En revanche, elle s’est peu entraînée à réaliser elle-même et seule de telles lectures et éprouve des difficultés à le faire lorsqu’au lycée, elle y est obligée (cf. chapitre 9).

La citation d’extraits d’entretien prouve par ailleurs que l’étude de la lecture, des réactions aux textes, des façons de lire et attentes lectorales est une manière d’aborder des arbitraires culturels dont on perçoit la diversité.

En plus de signifier la diversité des styles de vie et des arbitraires culturels, plus ou moins proches de ceux transmis ou portés par l’institution scolaire, l’étude fine des constitutions des différentes façons de lire pointe par exemple que, bien que souvent désignées comme néfastes au plaisir de lire participatif, et comme plus difficilement accessibles, les appréhensions analytiques des textes peuvent susciter auprès de certains élèves des plaisirs lectoraux spécifiques. Ce ne sont pas toujours elles qui opposent le plus de difficultés aux élèves. Les oppositions d’ordre idéologique qui apparaissent à l’occasion des appréhensions participatives manifestent d’autres difficultés, non moins importantes. En effet, ces difficultés révèlent notamment des rapports aux valeurs différents négligés par les pédagogues ou sociologues qui cherchaient illusoirement à définir des savoirs et savoir-faire analytiques libres de tout arbitraire culturel et omettaient de réfléchir sur les modalités d’enseignement et de présentation d’un corpus littéraire (ou autre), nécessairement ancré socialement. De même, ceux qui décriaient cette recherche pédagogique ou scientifique et la mise en avant d’une appréhension analytique-stylistique des textes, supposaient, également illusoirement, des lectures participatives univoques et identiques chez des lecteurs aux « arbitraires culturels » ou « horizons d’attente » différents.

Cette étude permet de plus de s’interroger sur le devenir des différentes habitudes lectorales constituées par les enquêtés, leur articulation, leur synthèse ou leur cohabitation et juxtaposition. Elle souligne que certains enquêtés ont constitué une pluralité d’habitudes lectorales, tant analytiques que pragmatiques et sont susceptibles de les combiner, d’autres moins. Des enquêtés font reposer leurs appréhensions analytiques des textes réclamées scolairement sur une appréhension participative, quand d’autres ignorent la seconde. Par ailleurs, l’étude indique qu’un relatif cloisonnement des habitudes constituées et des sollicitations rend possible le maintien d’habitudes lectorales construites en contexte extra-scolaire avec l’avancée du cursus, indépendamment de ce qui s’enseigne en cours de français et des habitudes nouvelles constituées. Elle pointe la variation des expériences des différentes sollicitations liées à la cohabitation d’habitudes hétérogènes selon qu’elles sont construites ou non comme contradictoires (chapitre 5).

Le sixième résultat a trait à une autre préoccupation transversale à la recherche qui, prolongeant ce questionnement sur l’articulation des habitudes de lecture constituées, tâche de rendre compte des conditions de la variation intra-individuelle des habitudes de lecture selon les contextes. Cette préoccupation apparaît en filigrane dans l’analyse de la constitution des différentes habitudes lectorales en différents contextes (chapitre 2, 3, 4 et 5). Elle est traitée frontalement au chapitre 9 par la comparaison des lectures scolaires et extra-scolaires des enquêtés. On constate alors que la variation intra-individuelle des habitudes de lecture selon les contextes dépend non seulement de la pluralité des habitudes de lecture constituées, mais aussi de la variété des sollicitations lectorales portées par les contextes scolaires et extra-scolaires qu’ils fréquentent. Parce qu’ils lisent hors école d’autres textes que de la littérature ou qu’ils appréhendent les imprimés dont ils s’emparent d’une façon pragmatique, les enquêtés ont des lectures extra-scolaires distinctes de leurs lectures scolaires effectuées de façon analytique sur cette catégorie de texte. Ainsi, du point de vue des habitudes de lecture, les individus interrogés ont un profil hétérogène, lié aux sollicitations variées dont ils ont fait l’objet au sein du contexte scolaire même, mais aussi au sein d’autres contextes, extra-scolaires. Ils sont le plus souvent amenés à contextualiser leurs habitudes hétérogènes. Mais la plupart d’entre eux connaissent aussi, ponctuellement et sur certaines lectures, les conditions propices à une non variation de leurs pratiques lectorales selon les contextes scolaire et extra-scolaire : soit parce que les contextes sont porteurs de sollicitations lectorales semblables ; soit parce que les enquêtés ne parviennent pas à se soumettre à certaines sollicitations lectorales d’un des deux contextes, ou les ignorent. La non variation intra-individuelle des habitudes lectorales selon les contextes est alors moins liée à l’unicité de leurs habitudes lectorales qu’à la mobilisation au sein du contexte scolaire ou extra-scolaire d’habitudes lectorales produites en l’autre contexte. Les conséquences de ces mises en œuvre décalées varient selon que le contexte a le pouvoir de certifier ou de disqualifier les habitudes lectorales révélées.

Pour analyser les lectures scolaires et extra-scolaires réalisées durant l’année de seconde, on a montré, en les rappelant à point nommé, l’importance des habitudes lectorales constituées (antérieures, plurielles, etc.) par les enquêtés. On a indiqué la manière dont elles déterminent en partie les réactions lectorales à des sollicitations particulières. On a par ailleurs reconstruit quelles étaient les habitudes lectorales constituées par chaque lecteur interrogé.

Mais, souhaitant mettre l’accent sur les sollicitations lectorales et les modalités de constitution des habitudes (reconstruites à partir de socialisations individuelles), on n’a pas pris le parti de dresser des typologies de lecteurs selon la pluralité des habitudes constituées ou selon l’évolution diachronique des habitudes qu’ils mettent en œuvre, ce qui aurait été une autre manière d’exposer les résultats, et aussi, indissociablement de décider d’autres enjeux de la recherche.