1°) Appréhender les objets techniques :

Une approche multidisciplinaire

Dans la plupart des études en sciences sociales sur les objets techniques, l’auteur débute son propos en soulignant la rareté des études et réflexions sur la technique, rappelant ainsi le statut dévalorisé de la technique et de ses objets dans nos sociétés 8 . En Sciences de l’Information et de la Communication, discipline plus récemment institutionnalisée, les auteurs déplorent aussi un manque d’intérêt pour la technique. « Alors que par définition la communication médiatisée fait appel à des systèmes techniques, l’étude de ces "machines à communiquer" n’a jamais constitué un élément très important de la recherche sur la communication » 9 .Toutefois, la multiplication d’objets techniques et notamment de machines à communiquer dans les sociétés occidentales encourage les études et réflexionssur ce type d’objet. Tout en l’appréhendant comme l’expression d’un malaise, L. Sfez relève ce phénomène : « L’intérêt que suscitent les nouveaux objets techniques, leurs florissants succès, leur présence omnipotente dans nos vies quotidiennes expliquent l’emballement des discours qui croissent aussi vite que se développent les nouveaux outils, comme s’il fallait rattraper par la pensée un mouvement qui lui échapperait si l’on n’y prenait garde » 10 .

A l’instar de J.P. Esquenazi 11 , nous considérons donc que les théories et les questionnements n’arrivent pas au hasard ; ils naissent car nous sommes confrontés à des phénomènes sociaux. Il existe un lien indéniable entre l’émergence de certaines théories et le contexte socio-historique. Les réflexions sur les objets techniques n’échappent pas à cette règle. La première révolution industrielle, notamment, est déterminante dans l’évolution des pensées sur la technique et ses objets. Dès lors, tout en admettant le caractère récent des études sur les objets techniques, nous considérons que le contexte socio-historique doit être pris en compte pour appréhender les approches de la technique.

Une réflexion sur la technique oblige, en outre, à adopter une approche multidisciplinaire. Cette contrainte peut sûrement expliquer une certaine frilosité à l’égard de ce type d’objet. Cela dit, nous avons choisi de ne pas débuter en expliquant que les études sur les objets techniques sont rares. Nous considérons plutôt qu’à l’heure actuelle, elles sont éparpillées dans différentes sciences sociales. Cette caractéristique réclame donc que l’on s’appuie sur des auteurs ayant des origines disciplinaires diverses et que l’on aille puiser dans les approches philosophiques, anthropologiques, sociologiques mais aussi historiques des objets techniques.

Tenter de comprendre ce que sont les objets techniques est le premier travail que nous nous proposons d’effectuer. Afin de mesurer toute la complexité de l’expression « objet technique », nous avons décidé de la déconstruire pour mieux la reconstruire. Nous ne pouvons, en effet, définir cette notion sans au préalable nous pencher sur l’objet et la technique.

Notes
8.

Voir Jacques Ellul, La technique ou l’enjeu du siècle, Paris, A. Colin, 1954 ou Gilbert Simondon, Du mode d'existence des objets techniques, Edition augmentée d’une préface de John Hart et d’une postface d’Yves Deforge, Paris, Aubier, 2001, 333 p.

9.

Voir Patrice Flichy, « La question de la technique dans les recherches sur la communication », Réseaux, 1991, n° 50, pp. 51-62.

10.

Lucien Sfez, Technique et Idéologie, Paris, Seuil, 2002, p. 22.

11.

Jean-Pierre Esquenazi, Espace public, Cours de DEA, Lyon, ENS, 23/10/2000.