Il est difficile de définir le terme « technique » indépendamment d’un contexte particulier. Son utilisation actuelle peut désigner à la fois des artefacts, des produits, des méthodes, des procédés, etc. Pourtant nous ne pouvons nous contenter de relever le caractère polysémique de ce terme. Nous devons tenter d’y voir plus clair pour réussir à définir les objets techniques et pouvoir dire en quoi un objet est technique.
Nous pouvons cette fois encore nous pencher sur l’étymologie de ce terme. Technique vient du grec « tekhnikos », de « tekhnê », signifiant art, métier. Il est issu d’un verbe très ancien, « teuchô », signifiant dans l’Odyssée d’Homère fabriquer, produire, construire.
Toutefois, le terme technique ne sera utilisé comme substantif dans la langue française qu’au 19ème siècle, période de la révolution industrielle, où il désigne les applications pratiques de la science (sens que l’on retrouve actuellement dans l’expression « science et technique »). Notons néanmoins que la forme adjectivale est, quant à elle, utilisée au 18ème siècle dans l’Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers de D. Diderot et J. d’Alembert en tant qu’aspect opératoire et méthodique de l’activité, pour qualifier les procédés des « arts ». Force est de constater que jusqu’au 19ème siècle, la langue française utilise « art » pour désigner des activités et des productions que nous appelons « technique » aujourd’hui.
Dès lors, deux remarques s’imposent :
Nous en concluons qu’il est particulièrement difficile de délimiter les contours de la technique par rapport à d’autres sphères d’activités, notamment l’art et la science.
Toutefois, en nous appuyant sur J. Ellul, nous pouvons considérer que « la technique n’est rien de plus que moyen et ensemble de moyens » 19 . Nous pouvons donc dire que les techniques sont des moyens, qu’elles peuvent être scientifiques ou non, artistiques ou non ; qu’elles peuvent se matérialiser dans une forme particulière, devenant ainsi des objets techniques, des machines.
Rappelons, en effet, que notre étude ne concerne pas la technique au sens large ; elle s’intéresse plus précisément aux productions techniques. L’adjectif « technique » permet ainsi de qualifier ce qui a un caractère de moyen. Au-delà de la distinction avec le phénomène technique, reprenons pour illustrer notre propos la définition de J. Ellul de l’opération technique. « L’opération technique recouvre tout travail fait avec une certaine méthode pour atteindre un résultat. Et ceci peut être aussi élémentaire que le travail d’éclatement d’un silex et aussi complexe que la mise au point d’un cerveau électronique » 20 . Le problème posé par le sens de l’adjectif technique est dû à sa polysémie actuelle. Il peut être employé, aujourd’hui, pour qualifier un métier, opposant ainsi les métiers manuels aux autres, ou pour qualifier un vocabulaire, opposant ainsi un langage spécialisé à un langage commun. A partir de la définition de J. Ellul, nous pouvons considérer que cet adjectif qualifie ce qui revêt un caractère de moyen visant une fin. Toutefois, cette approche comporte un risque : elle peut conduire à adopter une conception purement instrumentale de la technique. Or penser la technique demande de la comprendre comme médiateur et non comme instrument 21 . C’est aussi un mode de rapport au monde.
Voir René Lesné, « Ars et Tekhnê », Le journal des arts déco, n° 16 ENSAD.
Voir Pierre Francastel, Art et Technique aux XIXème et XXème Siècle, Paris, Denoël, 1988 ou Marc Le Bot, Peinture et machinisme, Paris, Klincksieck, 1973.
Voir J. Ellul, op. cit., 1954.
Ibid., p. 6.
Ibid., p. 17.
Idem.
Voir G. Simondon, op. cit.