4°) Conclusion

Imaginaire technique, représentations socio-techniques, signification d’usage sont autant de notions employées pour souligner l’importance de la dimension symbolique dans nos relations avec les objets que ce soit lors de leur invention ou de leur appropriation.

En effet, il est indéniable, comme l’a d’ailleurs souligné P. Ricœur, que toute action sociale a un caractère symbolique. « Aujourd’hui, aucun sociologue, quelle que soit sa préférence épistémologique ne mettrait en doute le caractère symbolique de l’action sociale, c’est-à-dire le fait qu’elle soit orientée par des significations, des intentions, qui elles-mêmes renvoient à l’ensemble des règles, normes, valeurs qui constituent une culture » 75 . Or l’action technique est aussi sociale et revêt donc un caractère symbolique.

De surcroît, la dimension symbolique devient centrale dans le cas des objets techniques contemporains. Pourquoi ? Parce que d’une part leur devenir est incertain, instable dans un contexte de « profusion » technologique et que d’autre part ils ont un rapport particulier à notre temporalité et donc à l’imaginaire social.

Nous nous proposions dans cette section de faire un point sur ces différentes notions afin de pouvoir définir le contenu des discours d’accompagnement et indirectement leur rôle. Il en ressort que les publicités et les modes d’emploi en tant que discours d’accompagnement présentent et représentent des téléphones mobiles, des usages, des usagers et donc expriment un imaginaire technique qui, selon nous, est, dans une certaine mesure, une ressource dans la construction des significations d’usage.

En résumé, nous désignons par représentations socio-techniques « l’expression matérielle d’imaginaire technique », « les signes socio-techniques » dans les discours d’accompagnement.

Notre objectif est donc d’interroger les représentations socio-techniques des téléphones mobiles dans les publicités et les modes d’emploi et de tenter de comprendre leur évolution. Cette interrogation doit pour être bénéfique s’inscrire dans un questionnement plus global sur l’insertion sociale des objets techniques contemporains. En effet, comment comprendre, interpréter ces représentations sans décrire au préalable le processus dans lequel elles s’inscrivent ? Or l’enjeu et la difficulté de l’analyse de discours résident justement dans cette nécessité de recontextualiser les discours dans des phénomènes sociaux plus larges. Cette approche questionne, en effet, les productions discursives en prenant en considération leurs conditions d’énonciation. Elle postule que les textes, les écrits ne sont pas « coupés du monde ». Ils sont énoncés dans un contexte socio-historique, économique précis qui n’est pas sans incidence sur la forme et le contenu de ces productions discursives. Les discours gardent la trace de leurs conditions d’énonciation. L’analyste doit justement chercher à rétablir ce lien entre un discours et un contexte particulier. Notre perspective est similaire. Elle consiste, en effet, à ancrer deux genres de discours d’accompagnement dans un processus social, celui de l’insertion sociale d’un objet technique contemporain.

Comment s’insèrent les objets techniques dans notre quotidien ? Quand cessent-ils d’être objet de curiosité pour devenir « naturels » dans notre environnement ? Existe-t-il des indicateurs de cette « naturalisation » ? D’un objet technique à l’autre, retrouve-t-on des invariants dans le processus d’insertion sociale ? Ce sont autant de questions auxquelles nous nous proposons d’apporter une réponse.

Comme nous l’avons indiqué en introduction, ces questions, quoique soulevées à travers différents travaux sociologiques, n’apparaissent pas comme la problématique centrale des auteurs sur lesquels nous nous appuyons. Généralement, leurs objectifs premiers sont soit de comprendre les causes des échecs ou des réussites des innovations techniques, soit de comprendre la formation des usages d’objets techniques particuliers. Dans notre perspective, notre objectif principal n’est ni de comprendre les raisons du succès de la téléphonie mobile en France, ni d’étudier les usages sociaux de cet objet technique. Il s’agit plutôt d’analyser l’évolution des représentations du mobile dans les publicités et les modes d’emploi. Nous appréhendons ces deux genres de discours comme des symptômes de l’état d’insertion sociale de cet objet et des véhicules de significations ; ils légitiment la place de cet objet technique contemporain dans la société.

Afin donc de comprendre le rôle que peuvent jouer les discours d’accompagnement dans l’insertion sociale des téléphones mobiles, nous devons dans un premier temps tenter de comprendre le processus d’insertion sociale des objets techniques contemporains.

Notes
75.

Jean-Pierre Sironneau, « Quand la sociologie rencontre l’imaginaire », in IRIS, n° 2, 1986.